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Palestiniennes : prises entre changement et tradition

1.6 Dimension humaine spécifique : les femmes réfugiées palestiniennes

1.6.2 Palestiniennes : prises entre changement et tradition

Plusieurs écrits46 s’entendent pour dire que les conflits armés, le contexte de l’exil de même que l’occupation sont des situations propices aux changements. Or, « dans une région du monde où la culture conservatrice et patriarcale élève la femme au rang de symbole », les changements créent des tensions entre « transformation » et « impératif de préservation » (Zahar, 2005 : 98).

Les conflits vécus par nombre de communautés palestiniennes – et cela, que ce soit au Liban, en Jordanie ou dans les territoires occupés – ont contribué à l’entrée des femmes sur la place publique. En conséquence, la conception des rôles dans les sphères privée et publique a subi des transformations notables (Abdo, 1987; Holt, 2007; Latte Abdallah, 2006a, 2006b; Peteet, 1991; Pirinoli, 2007; Zahar, 2005). Holt, qui s’est intéressée aux femmes réfugiées palestinienne du Liban, note que, bien que celles-ci aient grandement souffert pendant la

45 Voir Abdo (1987), Holt (2007, 2011), Latte Abdallah (2006a, 2006b), Peteet (1991), Pirinoli (2007), Sayigh

(2007a) et Zahar (2005).

46 Voir Abdo (1991), Giacaman et Jonhson (1998), Holt (2007), Giacaman et al. (2001), Latte Abdallah (2006a,

guerre civile libanaise, cette période a permis une redéfinition des rôles sexospécifiques attribués aux femmes :

“Many lost the head of the family and became responsible. They had no skills, but they also had benefited and were able to improve their roles. In the same way, after Israeli invasion, many men were arrested and women became responsible for their families. This changed the social dynamics.” (2007 : 258)

Selon Zahar (2005), le bouleversement des rapports de genre est aussi l’une des plus importantes conséquences de l’occupation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Devant l’absence prolongée des hommes, les femmes se sont vu imposer de nouvelles responsabilités, comme celle d’assurer l’approvisionnement de la famille, ce qui les a amenées à se chercher un travail rémunéré. C’est le manque de ressources financières qui, selon cette même chercheure, a facilité l’acceptation d’une telle transformation par la société. Certains écrits ajoutent que les transformations ont non seulement affecté les rapports hommes-femmes mais aussi les relations entre les femmes elles-mêmes. En effet, les rôles et les tâches qui constituaient jusqu’alors le mode de vie des femmes ayant subi des transformations, les valeurs et les aspirations de ces dernières se sont aussi renouvelées (Latte Abdallah, 2006a; Peteet, 1991; Sayigh, 1987).

Des chercheurs précisent que les situations de crise ont permis – particulièrement aux femmes – de défier certains interdits sociaux (Giacaman et al., 2001; Latte Abdallah, 2006a; Sayigh, 1998; Zahar, 2005). À titre d’exemple, Zahar spécifie que lors de la mobilisation populaire de l’intifada les jeunes femmes, tenues avant la guerre d’être accompagnées lors de leurs déplacements, ont pu sortir seules; certaines ont bravé des tabous comme le choix du célibat ou encore du conjoint alors que d’autres ont revendiqué le contrôle de leurs fonctions reproductives.

Bien que des changements et transformations aient été observés, des auteurs notent que les gains des réfugiées palestiniennes demeurent fragiles et leur consolidation aléatoire (Holt, 2007; Latte Abdallah, 2006a; Peteet, 1991; Pirinoli, 2007; Zahar, 2005). « The problem was

to sustain the changes, forged in the heat of the moment, long enough to inform long-term structural and ideological transformations » (Pettet, 1991 : 7). Des chercheurs constatent que

les réfugiées palestiniennes sont prises entre la fidélité à leurs valeurs traditionnelles et leur désir de changement (Caron, 2007; Latte Abdallah, 2006a; Pirinoli, 2007, Zahar, 2006.) Les expériences vécues à travers, notamment, les périodes de conflits armés, les conditions de vie de plus en plus difficiles et le travail rémunéré ont alimenté le dilemme. :

« Les gains glanés au début de l’intifada s’estompent au fur et à mesure que la durée du soulèvement s’allonge. En l’absence d’un État-providence, la famille redevient une institution focale pour pallier la détérioration des conditions socio-économiques ambiantes […] La fermeture des universités et des écoles contribue également au renforcement de l’emprise familiale sur les jeunes femmes ». (Zahar, 2005 : 100)

D’autres facteurs entravent la consolidation des gains féminins comme la montée de l’Islam fondamentaliste et les divisions au sein de divers groupes de femmes (Zahar, 2005). C’est toutefois la rhétorique palestinienne nationaliste à l’égard des femmes véhiculée par les organisations politiques palestiniennes qui est l’élément le plus mentionné dans la littérature (Abdo, 1991; Giacaman et Johnson, 1998; Giacaman et al., 2000; Latte Abdallah, 2006a; Peteet, 1991; Pirinoli, 2007; Sayigh, 2007a; Zahar, 2005).

“The Palestinian national movement has fluctuated between a discourse of modernity and a discourse of tradition in its positions and practice toward women and women’s activism. Similar to other national movements in the Third World, advancing a 'modern' role for women was viewed as important to widen political participation and resistance. At the same time, the role of woman as custodians of Palestinian identity and heritage was a linchpin of nationalist ideology … The platforms of Palestinian political organizations reflected, and continue to reflect, this dualism.”

(Giacaman, Jad et Johnson, 2000 : 144)

En outre, Giacaman et Johnson condamnent le manque de démocratie au sein des organisations politiques palestiniennes. Ces chercheurs mentionnent que seul un petit groupe possède un réel pouvoir de décision et que les besoins des femmes ne sont que peu considérés :

“A general lack of understanding prevails among the leadership concerning the problems, aspirations, and views of the different sectors of the population involved in politics, especially women and the youth; and these sectors are unable to express themselves and influence decision making.” (1998 : 227).

Joseph (2001a) ajoute que l'absence d'un État palestinien freine l’émancipation des femmes palestiniennes.

Selon Sayigh (2007a), le mouvement de résistance palestinien, comme d'autres mouvements anti-colonialistes du XXe siècle, a érigé la tradition en élément clé de la lutte. L’entrée des femmes dans la vie publique a été acceptée par le mouvement mais à la condition qu’elle ne menace en rien les systèmes de valeurs et les rôles prescrits aux femmes dans l’arène privée (Zahar, 2005). Ainsi, « la "vraie" Palestinienne est surtout la garante de la reproduction culturelle et communautaire : elle est plus valorisée en tant que gardienne des valeurs palestiniennes et mère de combattants ou de martyrs qu’en tant qu’actrice à proprement parler de la libération » (Pirinoli, 2007 : 78). En effet, dans un contexte de guerre de libération et de révolution, l’impératif nationaliste prime et, par conséquent, la mobilisation des femmes reste essentiellement une mobilisation nationaliste (Abdo, 1991; Joseph, 2001; Pirinoli, 2007; Zahar, 2005). La rhétorique nationale palestinienne ayant transformé les femmes en symboles de la continuité et de l’authenticité, apporter des changements à cette image est d’autant plus difficile que ce serait s’attaquer aux bases symboliques sur lesquelles la société palestinienne s’est construite (Abdo, 1991; Giacaman et Jonhson, 1998; Pirinoli, 2007). Selon Giacaman et Johnson, « [c]ultural behavior and diehard attitudes are difficult,

and sometimes impossible to shake » (1998: 228).

Après avoir parcouru la littérature sur les femmes réfugiées palestiniennes, trois éléments importants émergent :

1) Bien que la participation de plusieurs Palestiniennes dans la lutte nationale ait donné « une voix » aux femmes, les tâches et les rôles occupés par celles-ci sont limités par des valeurs patriarcales toujours dominantes dans la communauté. Les positions de leadership au sein du mouvement national sont réservées aux hommes;

2) Les besoins, problèmes et préoccupations spécifiques aux femmes palestiniennes demeurent secondaires dans « l’agenda politique », soit dans la lutte nationale palestinienne;

3) L’idéologie politique dominante instrumentalise les Palestiniennes et utilise l’enfantement – les femmes sont des productrices de combattants – pour les maintenir dans la sphère de la reproduction ainsi que celle du domestique.