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Dimension humaine globale : les réfugiés dans le monde

Environ 50 millions de personnes sont qualifiées par le UNHCR de « victimes de déplacements forcés » (UNHCR, 2007). Parmi ces victimes, entre 10 et 18 millions, selon les années, sont enregistrées comme des réfugiés stricto sensu, c’est-à-dire vivant à l’extérieur de leur pays (ibid.). Massivement concentrés en Asie et en Afrique, il faut ajouter à ces réfugiés les 4 millions de Palestiniens qui sont, depuis les années 1940 et 1960, réfugiés dans différents pays du Moyen-Orient (Agier, 2008). Encore doit-on considérer les 25 à 30 millions – selon les estimations – de personnes déplacées internes, soit ces personnes qui ont quitté leur localité d’origine pour cause de violences ou de guerres internes, mais qui sont restées à l’intérieur des frontières de leur pays (UNHCR, 2007). Selon Agier, tous ces chiffres restent approximatifs et sont contestés en permanence : « Ils n’incluent pas un nombre considérable (mais précisément non recensable) d’exilés non déclarés comme réfugiés. » (2008 : 36)

Aujourd’hui, la majorité des réfugiés vivent en exil depuis longtemps, ils sont confinés dans des camps ou cherchent de maigres moyens d'existence dans les centres urbains du monde en développement (UNHCR, 2006). Il existerait actuellement 33 situations de réfugiés qui se prolongent depuis plus de cinq ans. Selon les données du UNHCR, elles représentent en tout 5,7 millions de réfugiés parmi les
9,2 millions de réfugiés recensés dans le monde. La grande majorité de ces exilés se trouve dans les régions les plus pauvres et les plus instables du monde, souvent en raison de l'absence d'intérêt des acteurs régionaux et internationaux. Pris dans ces situations « oubliées », les réfugiés en situation d’exil prolongé ne peuvent pas rentrer chez eux en raison de violences ou de persécutions ayant cours dans leur pays

d’origine. Par surcroît, ils sont confrontés à d'importantes restrictions quant à leurs droits dans les lieux d'asile. D’après le UNHCR (2006), les situations de réfugiés prolongées sont révélatrices d'échecs et de négligences politiques. À ce jour, la situation la plus ancienne de réfugiés en situation d’exil prolongé est celle des réfugiés palestiniens. La situation d’exil qui m’intéresse ici a cela de particulier qu’elle est en soit « emblématique » : exilés depuis le début du conflit de 1948, plusieurs Palestiniens habitent des camps de réfugiés de génération en génération et subissent des discriminations du fait de l’absence d’un statut juridique clair (Amnistie internationale, 2012). Le caractère unique de la situation des réfugiés palestiniens explique d’ailleurs que la problématisation de ma thèse se soit concentrée sur leur complexe réalité.

Selon l’expression de Michel Agier, l’exil des réfugiés palestiniens est telle une « interminable insomnie ». Pour ces réfugiés, le temps se configure par l’attente, l’attente du retour en Palestine.

« L’exilé palestinien entretient la mémoire … En attendant, ce qu’il vit là, dans le camp où il se trouve, n’a pas de sens, pas d’existence dicible, sinon de justifier par la souffrance que provoque cette interminable insomnie la demande de retour – la plainte personnelle devient une composante de la revendication collective; plus encore, celle-ci appelle celle-là. C’est ce qu’incarne la figure du réfugié palestinien rapportée à la mémoire de la Nakba (la "catastrophe" de l’exil forcé de 1948), à la primauté de la "terre natale" sur la "terre de l’exil" et à l’inacceptable présent conçu comme absence de l’ailleurs et attente du Grand Retour. » (2008 : 113)

Avec les déplacements de population les camps forment une réalité certaine. « Les statistiques officielles ne donnent que des images très partielles de la concentration de réfugiés … dans des camps. » (Ibid.: 60) Ceci dit, selon des chiffres du UNHCR (2007), un peu plus de 6,5 millions de réfugiés vivraient en camp de réfugiés. Quant aux Palestiniens, c’est un peu plus de 1,5 million de réfugiés – parmi les 4 millions recensés par l’UNRWA – qui vivent dans une soixantaine de camps dont certains datent de la fin des années 1940 au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans les territoires palestiniens de Gaza et de Cisjordanie (UNRWA, 2012c).

Au Liban, la situation des réfugiés palestiniens est particulièrement complexe. Pour comprendre la relation entre les Palestiniens et le Liban, Kodmani-Darwish (1997) offre un cadre historique articulé en trois temps. Une première période se caractérise par le développement des camps de réfugiés (voir Fig. B.3, Appendice B), période au cours de laquelle les sentiments de la population d’accueil varient entre sympathie, indifférence et hostilité latente. Puis, l’arrivée en sol libanais de l’OLP à la fin des années 1960 souligne le début de la deuxième période. Si la présence de la centrale palestinienne marque l’amélioration des conditions des réfugiés palestiniens, l’émergence de la résistance palestinienne comme centre de pouvoir autonome à l’intérieur du système politique libanais compromet ces avancées. Dans les années 1980, un sentiment anti-palestinien se soude dans la population libanaise de même que dans l’appareil étatique. Pour nombre de Libanais, les Palestiniens sont responsables de la guerre qui déchira le pays pendant 15 ans. Une troisième période se dessine dans les années 1990 alors que la mise au ban des Palestiniens se renforce à travers différentes formes sociales (comme les débats sans fin sur les risques d’implantation, le tawtîn) et juridiques (comme les lois et décrets limitant les droits des étrangers visant implicitement les Palestiniens) (Meier, 2008). Ainsi, tranquillement, les réfugiés palestiniens passent d’hôtes embarrassants à réfugiés des camps puis à ennemis de l’intérieur (Sfeir, 2008).

Selon les écrits consultés, le vécu des réfugiés palestiniens est « fragmenté selon l’expérience géopolitique et le statut légal du Palestinien dans son pays d’accueil » (Peteet, 1996 : 27). Les situations en Jordanie, au Liban et dans les territoires palestiniens sont celles rapportées dans la littérature40. Chaque auteur, à sa manière, fait la lumière sur la façon dont sont traités les

réfugiés palestiniens dans ces pays d’accueil et les décrivent comme étant « marginalisés » (Latte Abdallah, 2006a; Peteet, 1991; Sayigh, 2001), « exclus » (Holt, 2007; Peteet, 1991, 1996) et même « dominés » (Abdo, 2002; Joseph, 2000b; Pirinoli, 2007; Sayigh, 2007c).

40 Pour la Jordanie, voir les travaux de Latte Abdallah (2004, 2006a, 2006b) et Zureik (1997); pour le Liban,

voir Abbas et al. (1997), Al Husseini (2003), Caron (2007), Cervenak (1994), Halabi (2004), Holt (2007, 2011), Hudson (1997), Peteet (1991, 1996, 2001), Sayigh (1995, 1996a, 1996b, 1998, 2000, 2002a, 2002b, 2007a, 2007b, 2007c) et Suleiman (2006); pour les territoires palestiniens, voir Abdo (1987, 2002), Giacaman (1988), Giacaman et Johnson (1998), Giacaman et al. (2001), Joseph (2000b), Pirinoli (2007) et Zureik (1997).

Les conditions de vie dans les camps sont qualifiées de difficiles par de nombreux chercheurs41 : pollution, surpopulation, précarité, instabilité, insécurité, pauvreté (voir

Appendice C pour des photos du camp). De tous les pays d’accueil, c’est au Liban que la situation des réfugiés palestiniens est considérée la plus précaire (Holt, 2007, 2011; Sayigh, 2001, 2007b; Zureik, 1997). Holt résume ainsi la situation :

“Palestinians refugees in Lebanon – and women in particular – are a disadvantaged minority in a generally inhospitable environment. The Palestinian presence is increasingly resented … and the refugees exist within a political and social limbo, with few civil, political or human rights and little hope for the future.” (2007 : 249)

Dans la littérature recensée, certains auteurs notent le statut exceptionnel des Palestiniens vivant en camp de réfugiés (Latte Abdallah, 2006a; Peteet, 1996; Pirinoli, 2007; Sayigh, 1987, 1996b; Zureik, 1997) : « Palestinians in camps form a special marginal sector within

both host and diaspora Palestinian societies. » (Sayigh, 1987 : 182) Plusieurs facteurs

contribuent à cette marginalisation : isolement dans des camps, multiples crises (sanitaires, du logement, de l’éducation, de l’emploi, mais aussi guerres ou sièges), opposition israélienne au retour des réfugiés palestiniens ou à l’indemnisation, refus de reconnaître aux réfugiés palestiniens – au Liban notamment – des droits civiques, etc. Conséquemment, les réfugiés palestiniens des camps sont souvent relégués à des positions subalternes dans leur société d’accueil et sont régulièrement victimes de discrimination, d’oppression et de restrictions (Sayigh, 1996b).

Sayigh (1996b) précise que, dans les camps, les femmes forment un groupe particulièrement affecté par le contexte de vie difficile. Elles sont plus vulnérables aux maladies sérieuses provoquées par la pauvreté, l’alimentation insuffisante, les mauvaises conditions de logement, l’eau rarement potable de même que les traumatismes vécus lors de la guerre. Abdo (1987, 1991), Latte Abdallah (2006a) et Sayigh (1998) notent que, devant les conditions économiques, politiques et sociales médiocres des camps, le mariage précoce des jeunes filles est perçu comme un moyen de survie pour la famille afin que soit diminué le fardeau financier.

41 Voir Abbas et al. (1997), Caron (2007), FAFO (2003); Giacaman (1988), Halabi (2004), Holt (2007), Latte

Enfin, en parcourant la littérature sur les réfugiés palestiniens vivant en camp, on constate que : 1) la situation d’exil qui se prolonge et leur statut de réfugiés favorisent le maintien de rapports sociaux inégalitaires (avec la communauté d’accueil ou l’occupant); 2) le vécu des Palestiniens en camp de réfugiés est caractérisé par un milieu de vie pollué et surpeuplé, précaire et instable mais aussi violent et discriminatoire; et 3) les femmes sont un groupe particulièrement affecté par les conditions de vie difficiles des camps.

1.6 Dimension humaine spécifique : les femmes réfugiées