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CHAPITRE 3 – Méthodologie

3.6 Méthode d’analyse des données

Concernant l’analyse des données, je dois spécifier d’entrée de jeu que je partage les propos de Tesch (1990) qui affirme que cette étape n’est pas « la dernière phase du processus de la recherche », mais qu’elle s’inscrit plutôt en parallèle et de façon cyclique à la phase de collecte des données. Ainsi, mon matériel a fait l’objet d’une analyse tout au long du processus de collecte de données : mémos après chaque entretien, rapports d’entrevue, dégagement d’idées d’analyse et de pistes à fouiller lors de prochains entretiens ou périodes d’observation, entretiens rétroactifs, etc.

63 Je me suis impliquée auprès d’enfants parce que je ne voulais pas qu’on confonde mon rôle, comme cela

aurait pu être le cas pour une implication auprès d’un groupe de femmes, par exemple.

64 Lors de mon séjour au Liban, je prévois consulter les centres documentaires des principales institutions

travaillant sur la question palestinienne au Liban : l’Institut d’études palestiniennes, l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) et le Centre d’études sur le monde arabe moderne (CENAM).

3.6.1 L’entretien semi-structuré de type récit de vie

De façon générale, j’ai pratiqué l’analyse de contenu afin de traiter mes données. Cette méthode « consiste à classer ou codifier les divers éléments d’un message dans des catégories afin de mieux en faire apparaître le sens » (Nadeau, 1987; cité dans Deslauriers et Mayer, 2000b : 161).

Dans un premier temps, les entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement audio et ont été transcrits intégralement afin d’en respecter le contenu. Cette manière de procéder a permis d’accéder à la forme de discours soutenu par les participantes. Une lecture préliminaire a permis de découvrir les éléments ressortant davantage du discours des femmes et les particularités en lien avec la problématique. Une fois cette première étape complétée, je me suis imprégnée du matériel recueilli par une deuxième lecture qui m’a permis d’avoir une meilleure vue d’ensemble et de choisir les thèmes les plus couramment abordés; de là j’ai pu dégager une unité de classification des informations. De cette façon, il m’a été possible de formuler des conclusions provisoires qui ont, ultérieurement, été confirmées ou infirmées. La troisième étape a consisté au découpage du matériel en unités de sens; il s’agissait soit « d’un mot ou d’un thème (groupe de mots, de phrases ou d’images), […] soit d’un élément d’information ayant un sens complet en lui-même » (Deslauriers et Mayer, 2000b : 165). En fait, cette réorganisation du matériel a mis en évidence les caractéristiques de la situation étudiée soit, dans ce cas-ci, l’expérience d’exil des femmes réfugiées palestiniennes. Précisons que le but de l’analyse des entretiens est d’étudier dans la diversité la plus extensive possible comment s’articule l’expérience d’exil pour les femmes réfugiées palestiniennes.

Mes premières tentatives pour interpréter mon matériau codifié se sont avérées très ardues. Comme le souligne Passerini, « [interpretation] should aim at identifying the patterns in the

contradictions between the content of the stereotypes, on the one hand, and the information which emerges through in-depth interviews and participant observation, on the other »

(1989 : 194). De plus, l’auteure ajoute que ce travail d’exégèse « should be able to recognize

the various levels of expression and eventually find through other sources as well, the historical contexts wherein they make sense. The guiding principle could be that all

autobiographical memory is true; it is up to the interpreter to discover in which sense, where, for which purpose. » (Ibid. : 197)

Le défi, pour moi, se trouvait dans la transformation d’une quantité importante de données brutes en un compte rendu cohérent, certes, mais aussi respectueux des participantes. Je me suis demandée : « Mais qui parle? », et là a jailli le questionnement sur ma légitimité comme chercheure auprès d’une communauté « autre » et comme « porteuse de la voix de ces femmes » (je discuterai amplement de cette question dans la troisième partie de cette thèse). Cette confrontation aux difficultés de l’analyse – avec ce qu’elle soulève de remises en question – m’a amenée à retourner auprès d’une douzaine de femmes afin de discuter avec elles de mon analyse préliminaire.

3.6.2 L’observation participante

Les données recueillies dans le cadre de l’observation participante n’ont pas fait l’objet d’une analyse aussi exhaustive que les entretiens. Mes notes d’observation ont essentiellement servi de repères et de source de validation. J’ai effectué des va-et-vient fréquents entre mon recueil d’observations, mes entretiens et mon expérience du milieu de recherche, ce qui m’a permis de dégager un portrait global du milieu (l’environnement qu’est le camp de réfugiés, les conditions sanitaires, les conditions de logement, l’accès aux ressources essentielles, etc.), mais aussi un portrait des activités dans lesquelles les femmes s’impliquent (auprès de la famille, des ONG locales, etc.). Toutefois, je prévois exploiter ce matériel dans des écrits à venir et donc l’analyser en profondeur dans ce contexte (inventaire exhaustif et examen systématique des données, interprétation par des catégories générales, réflexion sur leur pertinence, etc.).

3.6.3 L’analyse documentaire

En ce qui concerne l’analyse documentaire, je me suis inspirée du modèle de Cellard (1997) qui propose de faire, dans un premier temps, une analyse préliminaire consistant en une étude du contexte dans lequel le document a été écrit, d’une analyse d’identité du ou des auteurs, d’une vérification de l’authenticité du document (si pertinent) et d’une analyse de la nature du document; la deuxième étape consiste en l’analyse proprement dite dans le but d’obtenir

une interprétation du document en lien avec le questionnement de départ. L’analyse documentaire a une visée d’abord descriptive, c’est-à-dire de dégager les droits des réfugiés palestiniens sur les plans international (traités, conventions, etc.) et national (législations, règlements, etc.). C’est essentiellement autour des données sur les lois, règlements et législations libanaises que ma recherche documentaire s’est faite alors que, pendant ma présence au Liban, des modifications au niveau du droit au travail ont notamment été apportées avec des conséquences directes pour les travailleurs étrangers.

Enfin, il importe de souligner que, pour l’analyse, j’ai procédé à la triangulation de plusieurs données, soit au croisement de mes différentes sources (entretiens, observation participante, recherche documentaire).

“[D]ifferent types (and levels) of data reveal different aspects of what is being studied. The point is not to ignore these differences, but to attempt to understand and interpret them. Lincoln and Guba (1985, p. 283) extend this point, while stating the general principle that 'no item of information … should ever be given serious consideration unless it can be triangulated.' This means that the researcher must have multiple occurrences or representations of the processes being studied.”

(Patton, 1980; cité dans Denzin, 1989 : 245)

3.7 Considérations éthiques

Les participantes ont été au centre des préoccupations éthiques, étant à la fois les sources d’information et les sujets impliqués par l’étude. Dans un premier temps, les femmes interviewées étaient à risque d’avoir vécu des événements traumatisants. Ainsi, il est possible que le simple fait de relater les circonstances de tels événements soit douloureux pour elles. Comme chercheur, il est essentiel d’être sensible à de telles situations et d’éviter d’insister sur des thèmes difficiles à aborder. À titre d’exemple, j’ai interrompu puis mis fin à mon entretien avec Samira. Cette dernière me relatait difficilement la perte de son père. Elle avait alors accepté de prendre une pause et avait spontanément poursuivi son récit en prenant le café qu’elle venait de préparer. Vers la toute fin de l’entretien, Samira a évoqué des soucis importants liés à des procédures de divorce. Comme elle pleurait à nouveau, j’ai insisté pour qu’on mette fin à l’entretien. Aussi, j’ai offert la possibilité de répartir l’entretien sur quelques rencontres pour celles se sentant incapables de raconter leur récit en une seule

entrevue; tel a été le cas de Hayat avec qui j’ai fait un entretien de cinq heures mais en deux temps. Il me semblait aussi important de prendre les mesures nécessaires afin de protéger les femmes et de leur assurer un soutien psychologique par l’implication d’un proche, d’un professionnel ou d’un guide spirituel, par exemple. Cette précaution a d’ailleurs été prise avec Samira65. De plus, ma recherche se déroulant en pays étranger, il s’avérait nécessaire de respecter les caractéristiques du milieu et le contexte culturel de ma communauté d’accueil. À cet effet, une sensibilité par rapport aux responsabilités et aux tâches des participantes était indispensable : comme les entretiens pouvaient être longs, à plusieurs reprises j’ai interrompu la discussion afin de permettre à une femme de faire sa prière ou encore de préparer un repas pour des enfants qui ne tarderaient pas à rentrer à la maison.

Par ailleurs, certaines participantes ayant été sollicitées par l’intermédiaire d’ONG locales, les intervenantes de ces organisations ont été informées du projet de recherche ainsi que des risques éthiques inhérents à ce dernier. Comme chercheure, afficher une transparence concernant les risques et les bénéfices d’une participation était essentiel. Pour ce faire, une lettre de consentement éclairé était prévue et sa lecture66 faisait état des risques et droits des participantes. Aussi, la rigueur professionnelle étant l’exigence éthique la plus fondamentale (Doucet, 2002), il était de mon devoir, lors des entrevues, de vérifier si chacune des répondantes était apte à participer au projet. Outre le consentement éclairé, la confidentialité était aussi une préoccupation majeure. À cet effet, toutes les entrevues et les noms des personnes sont restés confidentiels afin de conserver l’anonymat des personnes et la confidentialité des informations susceptibles de permettre toute identification. Des noms fictifs pour les femmes rencontrées ainsi que pour les organismes référents ont été utilisés lors de la transcription des verbatims. Les informations récoltées ne seront, quant à elles, utilisées qu’aux fins de la recherche67.

65 Samira m’a d’ailleurs indiqué l’existence d’un service d’aide juridique offert par une ONG du camp. J’ai pu

obtenir un entretien avec la responsable afin de voir les problématiques particulières rencontrées par les femmes lors de démarches de séparation ou de divorce.

66 J’ai réfléchi à l’idée de remettre un exemplaire de cette lettre d’explication/de consentement à la recherche de

même qu’aux conséquences de la circulation d’un tel document. Dans le cadre de ma précédente recherche, le comité d’éthique avait souligné qu’il était plus sécuritaire pour les femmes de leur lire le document de consentement plutôt que de leur demander une signature. J’ai donc privilégié l’idée de lire le document.

67 L’interprète est aussi soumise au respect de la confidentialité et un document explicatif lui a été présenté à cet

Quelques notes sur le caractère « risqué » inhérent au milieu de recherche : après un examen attentif des risques (dangers, difficultés) impliqués dans un tel projet, et en gardant à l’esprit que j’avais un bon réseau de contacts dans le camp (de même qu’à l’extérieur), j’ai décidé que la situation était suffisamment sécuritaire pour effectuer ma recherche68. Le fait d’avoir été au Liban peu avant l’éclatement de la guerre avec Israël à l’été 2006 me rendait consciente du caractère imprévisible de cette partie du Moyen-Orient, le Liban demeurant un point névralgique dans l’échiquier politique de la région. Ceci dit, le camp de Bourj El Barajneh a rarement été au cœur de conflits comme c’est le cas dans les zones plus au nord de même que plus au sud du pays. Si j’ai été témoin d’épisodes de violence (essentiellement des conflits interfamiliaux dans le camp ainsi qu’une altercation entre un étranger et des jeunes du camp), je n’ai jamais senti d’hostilité à mon égard ou que ma sécurité était compromise.

3.8 Limites de l’étude

La barrière linguistique est une limite à considérer dans mon projet de recherche. En effet, il m’est impossible de consulter le matériel scientifique produit en arabe ou en hébreu et non traduit en anglais ou en français, et cela a pu me priver de données pertinentes sur la problématique étudiée. Cependant, j'ai lu les écrits d’auteurs comme Rita Giacaman, Nahla Abdo et Suad Joseph, qui sont des chercheures d’origine arabe, de même que ceux, traduits de l’hébreu, de Ilan Pappé et Benny Morris.

Mes connaissances de la langue arabe (niveau débutant à intermédiaire) ne m’ont pas permis de conduire un entretien seule, bien que j’arrivais à saisir ici et là des éléments du discours dans la langue originale. Pendant l’année et demie de mon séjour au Liban, j’ai pris des cours d’arabe à raison de cinq heures par semaine (lecture, écriture, conversation), ce qui m’a permis de me débrouiller aisément dans mes activités quotidiennes et de tenir une conversation simple.

68 Sur les conseils de Palestiniennes du camp, je gardais toujours un montant d’argent liquide suffisant pour me

permettre de fuir rapidement (par exemple pour payer le transport jusqu’aux frontières). J’avais aussi élaboré un plan de sortie du camp avec des personnes-contacts à l’intérieur et à l’extérieur du camp.

Le travail avec une interprète amène certes son lot de difficultés et de défis, malgré le fait que mon interprète ait de longues années d’expérience avec différents chercheurs. Par exemple, elle prenait parfois l’initiative de demander des précisions; nous avons alors convenu qu’il était préférable qu’elle me fasse part d’abord de la confusion et qu’on clarifie par la suite. Aussi, lors d’un entretien, elle a réagi aux propos blasphématoires de la participante. Je suis intervenue en insistant sur le fait qu’elle devait permettre à cette femme de communiquer ses idées dans les mots qu’elle choisissait. Cette anecdote est tout de même révélatrice de la « censure » qui peut s’opérer au sein de la communauté autour de certains thèmes ou propos. Chacun des entretiens était suivi d’une courte période de partage des impressions et difficultés rencontrées, ce qui nous a permis de nous ajuster l’une et l’autre. Mes connaissances de l’arabe s’améliorant avec le temps, j’ai pu constater que je saisissais de plus en plus le contenu des récits et donc, ma compréhension de l’entretien69.

69 Quelques entretiens au hasard ont fait l’objet d’une vérification partielle de la traduction afin de valider le

DEUXIÈME PARTIE

RÉSULTATS

Introduction générale

L’expérience d’exil des femmes réfugiées palestiniennes au Liban se voulait le point central de cette thèse. Or, si ceci semblait de prime abord une « chose simple », l’expérience personnelle des femmes m’est longtemps restée difficile d’accès; elle a dû être lentement, patiemment découverte. Les femmes racontent et décrivent volontiers les événements de leur parcours, mais leur expérience en tant que femme – en tant que « je » – reste souvent dans l’ombre d’un récit au « nous », de l’histoire collective des réfugiés palestiniens au Liban. Dans cette partie présentant les résultats de la recherche, je laisse ces deux discours s’exprimer. Je crois d’ailleurs que c’est essentiellement le message dont ces femmes m’ont chargée : en référence à mon rôle de chercheure, une grande majorité d’entre elles m’ont demandé de présenter leur réalité en tant que groupe – c’est-à-dire comme réfugiés palestiniens, comme réfugiés palestiniens des camps – mais aussi comme femme… deux caractéristiques qui pèsent lourd dans leur vie. Je veux donc mettre au jour ces histoires tant individuelles que collectives, mais si ce « je » féminin s’est souvent fait plus discret dans les récits, j’espère le faire ressortir davantage des récits qui m’ont été livrés. En fait, précisons que ce n’est pas seulement moi, de ma posture de chercheure, qui m’efforce de le sortir de l’ombre : on peut observer dans le discours des femmes que le « je » s’affirme (ou tente de le faire) de plus en plus au fil des générations, des femmes de la nakba à celles de la thawra70

et, enfin, aux femmes de « la génération nouvelle71» ou, en arabe, al jîl al jadîd…

Il est à noter que dans ce chapitre des résultats j’adopte deux modes d’écriture : une grande place est faite à la voix des femmes, à leurs récits, à leurs expériences, mais je me permets aussi d’intégrer la mienne. Je trouve que cela rejoint à la fois mon positionnement féministe et l’approche que j’ai adoptée tout au long de mon processus de recherche, soit celui du dialogue. En optant ici pour ce va-et-vient entre différents points de vue, je recrée en quelque sorte ce climat. Certains éléments ne sont pas soulevés par les femmes et je me permets de le

70 J’emprunte ces formulations, « génération de la nakba » et « génération de la thawra », à Rosemary Sayigh

(2007b), qui utilise ces qualificatifs pour parler des femmes qui sont nées en Palestine et ont atteint la maturité en exil et de celles qui sont nées au Liban et ont atteint la maturité pendant la Révolution.

71 Je fais référence ici aux femmes nées pendant la Révolution et qui ont atteint la maturité dans les années

faire sous forme de questionnements ou de réflexions; je trouve que cette façon de faire alimente l’analyse, la discussion, et propose aussi une vision différente de la leur.