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Palestiniennes : engagées envers la cause palestinienne

1.6 Dimension humaine spécifique : les femmes réfugiées palestiniennes

1.6.1 Palestiniennes : engagées envers la cause palestinienne

À travers mon parcours de la littérature, la lutte nationale et la survie du peuple palestinien apparaissent comme des priorités dans le discours de nombreux chercheurs42 qui se sont intéressés aux femmes réfugiées palestiniennes. Dans la lutte pour assurer la survie de leur communauté – voire de la nation palestinienne –, les femmes palestiniennes ont un rôle capital à jouer. Les écrits démontrent qu’elles sont engagées à la fois dans la sphère domestique mais aussi dans les sphères sociale, politique et économique.

42 Voir Abdo (1987, 1991, 2002), Giacaman (1988), Giacaman et Johnson (1998), Giacaman, Jad, et Johnson

(2001), Joseph (2000b, 2001a), Holt (2007, 2011), Latte Abdallah (2006a, 2006b), Peteet (1991, 1996, 1997, 2001), Pirinoli (2007) et Sayigh (1987, 1998, 2004, 2007a).

1.6.1.1 Rôle de reproduction

De nombreux auteurs43 ont fait état du rôle de reproduction (sociale, culturelle, etc.) des femmes. Celles-ci sont considérées comme « la colonne vertébrale des camps et donc comme les gardiennes des valeurs et de la culture "authentiques" » (Pirinoli, 2007 : 76). La sociologue Nahla Abdo précise que la construction d’une telle association entre maternité et survie du peuple palestinien est l’expression d’une réalité vécue en camp de réfugiés :

“Expulsion from the homeland and refugeeism in foreign territories provided the impetus for the mother-nation relationship. Confined to the camp with little, if any, social or economic mobility, Palestinian women focused their energies on maintaining and reproducing Palestinian children (children, that is, with a national identity). With stories, images, values, etc., which came from Palestine prior to its occupation, the whole process of socialisation in the refugee camps has been based heavily on nationalist symbols.” (1991 : 26)

L’association maternité/survie de la nation a pris une place telle dans la communauté palestinienne qu’elle est devenue un élément pivot dans la culture populaire (Abdo, 1991; Pirinoli, 2007; Zahar, 2005). Le folklore national palestinien (chansons, poèmes, etc.) en témoigne. En effet, les femmes de la communauté palestinienne y sont décrites comme

gardiennes de la mémoire de la Palestine; piliers d’une famille garante de la préservation de

l’identité palestinienne; mères de nombreux enfants destinés à lutter par les armes et par le poids démographique contre la spoliation de la terre; femmes courageuses et endurantes assurant les liens et la vie quotidienne dans les conditions ardues de l’exil (Abdo, 1987, 1991; Latte Abdallah, 2006a; Peteet, 1997; Pirinoli, 2007; Zahar, 2005). Plusieurs auteurs notent même que la mère palestinienne est élevée au rang d’icône de la nation (Abdo, 1991; Joseph, 2000b; Peteet, 1997; Pirinoli, 2007; Sayigh, 2007a; Zahar, 2005). L’image de la mère

de martyr présente dans la littérature palestinienne symbolise une mère héroïque :

“She’s the middle-aged woman, usually in her national embroidered dress, who is often in the demonstrations. She has invented effective tactics for saving children in danger … By expanding her mothering role to encompass all other children, she has dissolved herself in the wider nation. The actions of such women have given rise

43 Voir Abdo (1987, 1991), Giacaman et Johnson (1998), Latte Abdallah (2006a, 2006b), Peteet (1991, 1997),

to the national heroine known in the literature as 'Um al-Shaheed' or the 'Mother of martyr'.” (Abdo, 1991 : 25)

La maternité et la glorification de la mère de martyr ont dès lors été intégrées au mouvement national, mais aussi à la construction idéologique de la lutte armée :

“Motherhood and the glorifying of the 'mother of the martyr' were incorporated in the national ideology of the movement, and particularly in the ideological construction of its armed struggle. Since armed struggle needs not only sacrifices but the will to sacrifice as well, this strengthening of the will was expressed in rewarding 'motherhood'.” (Ibid. : 26-27)

L’anthropologue Suad Joseph précise que la politique a, pour ainsi dire, envahi la sphère domestique et confiné les femmes palestiniennes dans un rôle de reproduction en en faisant des « productrices de combattants » (2001 : 36).

1.6.1.2 Engagement par l’implication dans les sphères sociale, économique et politique

Nombre d’écrits consultés44 montrent que la participation politique des femmes réfugiées palestiniennes ne se limite pas à la sphère de la reproduction mais qu’elle prend au contraire de multiples formes. Les femmes s’affilient à des partis, comités populaires, coopératives de production, associations de femmes, organisations philanthropiques ou religieuses, etc. Lors de la première intifada en 1987, les femmes des camps ont été intensivement impliquées dans le soulèvement, et cela, aussi bien dans la rue que dans la sphère formelle de la politique (Pirinoli, 2007).

Selon Joseph (2001), les femmes palestiniennes sont plus susceptibles que les hommes de se livrer à des pratiques politiques particulières, et cela, compte tenu des connaissances qu’elles ont des ressources de la communauté de même que des réseaux d’entraide y existant. Les femmes palestiniennes occupent « important emotional roles and help create social

solidarity. They may gather and pass on information to their man, persuade and cajole men to join factions, act as decoys and dramateurs. Women link factions, kin, and political

44 Voir Abdo (1987, 1991), Giacaman et Johnson (1998), Giacaman et al. (2001), Joseph (2001), Peteet (1991),

groups. » (Ibid. : 38) La participation à l’effort de guerre sous ces formes constitue en

quelque sorte une extension de leurs rôles domestiques.

La participation d’un certain nombre de femmes palestiniennes à la lutte armée est aussi relevée dans nombre d’écrits en sciences sociales (Abdo, 1987, 1991; Joseph, 2001; Peteet, 1991; Pirinoli, 2007; Sayigh, 1987, 1998; Zahar, 2005). « Elles sont soldates, kamikazes et prisonnières [et], en allant au front, elles s’exposent aux mêmes conséquences que les hommes (emprisonnement, torture, exécutions). » (Zahar, 2005 : 95) Pour ces femmes, il y a toutefois un prix à payer pour ce type d’engagement alors que leur statut dans la communauté change et qu’il devient désormais ambigu. Peteet précise :

“Women’s activism has not always been accompanied by a concomitant positive transformation in status. Women in the military only seem to gain in status if they go beyond what is expected and achieve martyrdom, are wounded, carry out incredibly heroic acts, or abide by high moral standards. But the collectivity of women has gained in status. Palestinians now see women as capable, active nationalists … But it is as individuals that women endure an ambiguous status. National crisis may have legitimized women’s new activities, yet tensions and ambiguity as to feminity do ensue from this rather sudden appearance in public politics. When women blur the lines, when they become 'no longer women' due to their exposure to other men and Resistance activities, their status as feminine is questioned.” (1991 : 152-153)

Sayigh parle même de « dommages irréparables » (2002a : 331) pour ces femmes. Elles ressentent une vive contradiction du fait qu’on a glorifié leur engagement dans la lutte mais que, dans l’après-guerre, le discours dominant dans la communauté demande que les femmes reprennent leur rôle traditionnel.

“Thus militancy has had an uneven impact on women’s status … Those unfortunate not to have had the opportunity or inclination for heroism may be labeled 'loose women'. They are often the bitt of jokes by men many of whom feel that women who worked with the national movement must have something wrong with them, since they are not married.” (Peteet, 1991: 156)

L’entrée de la femme sur la place publique ne s’est pas faite uniquement par le biais de l’engagement politique ou de sa participation à l’effort de guerre; ses activités économiques ont aussi servi cette même fonction. Cela est particulièrement vrai lorsque la guerre dure

longtemps, comme cela a été le cas au Liban et dans les territoires occupés. Dans ces deux situations, la dislocation du tissu socio-économique est venue compromettre la survie de nombreuses familles. La mort et l’emprisonnement des hommes ayant transformé les femmes en chefs de famille, ces dernières sont devenues responsables de l’approvisionnement et de la survie des leurs (Abdo, 1987; Zahar, 2005).

Plusieurs auteures45 s’entendent donc pour dire que le mouvement national palestinien et la guerre ont joué un rôle de catalyseurs de changement dans la communauté palestinienne, et ce, aussi bien dans la vie privée que dans la vie publique des femmes palestiniennes. Pour Sayigh, cette mobilisation à la fois politique et économique a ouvert un nouveau champ d’expression pour les femmes palestiniennes et « leur a donné une "voix" » (2007c : 86). Ceci dit, d’autres chercheurs précisent tout de même que la pleine participation aux diverses sphères de la Révolution, en particulier au niveau du leadership, continue d'être en grande partie réservée aux hommes (Abdo, 1987; Peteet, 1991; Giacaman et al., 2000).