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Création et transformation du camp de Bourj El Barajneh

CHAPITRE 5 – Survivre en camp de réfugiés : entre le réel et le symbolique

5.1 Création et transformation du camp de Bourj El Barajneh

importe de préciser quelques données sur la diaspora palestinienne au Liban. Dans l’exil, les Palestiniens d’origine rurale – ou urbaine pauvre – vont rapidement former une communauté marginale au sein de la société libanaise et de sa scène politique (Sayigh, 2002a). La création des camps de réfugiés, entre 1948 et 195678, a contribué à départager les Palestiniens issus de ces couches sociales moins favorisées de ceux provenant de familles bourgeoises qui vont, quant à eux, intégrer la communauté d’accueil libanaise sans trop de difficulté (Sfeir, 2008; Sayigh, 2002a). Graduellement et encore aujourd’hui, les différents camps palestiniens au

78 Seule la nouvelle partie du camp de Rashidieh au sud du Liban a été construite en 1963. Dans le langage

commun, il est souvent question du « old and new camp of Rashidieh ». La plus vieille partie du camp a été érigée par le gouvernement français en 1936 pour accommoder les réfugiés arméniens qui avaient fui au Liban. Dès 1948, le site a accueilli ses premiers réfugiés palestiniens. Une nouvelle partie a quant à elle été annexée et construite par l’UNRWA en 1963, cette fois pour accueillir des Palestiniens ayant dû être évacués d’un camp de la région de Baalbek.

Liban deviennent des lieux de résistance à la fois à la misère des réfugiés, à la société d’accueil et à l'oppression exercée par les autorités libanaises.

Dans les premières années suivant la création des camps, « on a assisté à la reproduction exacte de la société palestinienne au sein des camps qui se sont progressivement construits par agrégation de fragments de village où les réseaux de solidarité traditionnels se sont maintenus pendant un certain temps » (Djebbi, 2006: 18). Malgré les nombreuses épreuves, le camp de Bourj El Barajneh a résisté au temps et aux guerres; c’est un lieu que les réfugiés palestiniens ont marqué par leur présence collective et organisée.

“All the people here are doing their best, they have good relationships between them. In fact, not everyone does, to be honest but still, they’re trying to keep on and they’re trying to improve their life in the camp… like, we are trying to improve our houses, to make it better, we’re always keeping our houses clean … It’s true that when people first came to the camp, they were living in tents. Then, they started to improve their life and their houses, so the houses became made of Zinco boards and then, cement… It took a lot of efforts from our people to improve their situations but we had to. Now … people are still trying to improve their lives.” (Ronda, 58 ans)

Cet espace qui a pris forme avec la présence palestinienne s’est transformé avec les années. D’abord, une vie s’est organisée dans le camp : habitations, écoles, espaces de commerce, ONG, centre médical, etc. Dans l’exil, une vie politique s’est graduellement développée avec la création de l’OLP en 1964 – et davantage avec l’arrivée au Liban, en 1969, de la centrale palestinienne – puis l’émergence de différentes factions politiques. La mobilisation politique palestinienne dès la fin des années 1960 a amené un lot de fedayîn originaires d’autres villages et régions de la Palestine, modifiant ainsi la société relativement homogène des premières années. En conséquence, la communauté s’est développée de façon inégale selon les perspectives qui se sont ouvertes pour certains. Ces changements ont amené des divisions au sein de la population du camp et ont contribué à l’apparition d’une hiérarchisation sociale.

“In the past, when the Palestinians first came here in the camp, we were all on the same level: you had a house, I had a house, you had a tree, I had a tree… We were all depending on UNRWA’s help, you didn’t have more money than I did. But when the Revolution came, some people rose up and other went down. So because of the different class levels in the society and also because of power issues, it broke the people apart, I mean the community apart.” (Sou’ad, 72 ans)

La guerre civile libanaise a aussi occasionné des milliers de déplacements et de départs de familles palestiniennes et, conséquemment, des modifications au sein de la population du camp : les habitations libérées ont été relouées à des Palestiniens puis à des groupes de nouveaux migrants. Cette nouvelle présence dans le camp s’est accentuée dans les années 1990; ces migrants sont majoritairement des demandeurs d’asile ou des travailleurs sans papiers (Doraï, 2008). D’ailleurs, pour les personnes en situation illégale, les camps sont des refuges qui les mettent à l’abri des contrôles policiers79.

Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement des réfugiés palestiniens qui vivent dans le camp. L’inflation au Liban et les difficultés économiques ont contribué à faire des camps des espaces populaires : le camp de Bourj El Barajneh est maintenant un espace de mixité sociale où vivent Palestiniens mais aussi Libanais, Syriens, Irakiens, Sri Lankais, Bangladais, Soudanais, etc. Le brassage de la population palestinienne avec celles d’autres communautés a contribué à redéfinir ce lieu qu’est le camp de réfugiés palestiniens (ibid.).

Dans le discours de plusieurs femmes, il est donc souvent question des changements qu’a subis le camp depuis sa création. Les bases de la société des premières années ne sont plus; le camp abrite maintenant des migrants et cette présence non palestinienne est venue bousculer les codes, la composition et les fondements de la communauté. Les réactions sont partagées : on passe de l’accueil au rejet et à la méfiance.

“These people from different nationalities, we treat them as human beings and I’m sure that because of some poverty issues in their own country they moved here to live

… They have their own customs and habits and we have our own also. We even

protect them sometimes because recently, I had a fight with a man because he tried to harass one of the Sri Lanki women that lives near my place… so I had a fight with this man because these people are also human beings, it’s not polite and it’s not our culture to treat people in a different way.” (Sou’ad, 72 ans)

“These people from other nationalities that live in the camp, they were already poor in their own countries and they came here to Lebanon to find some work. But the life outside the camp is expensive so they chose to come to the camp because the rent is cheaper… but me, as a person, I disagree with them being here: it’s our temporary

79 Les autorités libanaises n’ont pas droit d’ingérence dans les camps palestiniens; ces espaces deviennent donc

homeland here and we don’t want intruders in this property. But what can we do, people need to live! … But me, I would never rent my house to any stranger … And another important issue is that we don’t know why these people came here … like, what’s their purpose here? Why live in the camp? Now, we feel that it’s not our camp anymore, it’s 'their' camp so for me, it’s a dangerous thing, I don’t like it at all.” (Hayat, 62 ans)

Pendant sa présence au Liban, l’OLP a fourni du travail à près de 65 % des Palestiniens et a assuré le financement de nombreuses structures sociales et éducatives (ibid.). Ainsi, le départ de la centrale palestinienne dans les années 1980 – à quoi s’ajoute l’amenuisement du fonds de l’UNRWA (Djebbi, 2006) – aura des conséquences majeures sur la situation économique des Palestiniens des camps. Si des organisations politiques sont toujours présentes dans le camp, certaines femmes ont rapporté que le soutien social apporté par ces groupes est souvent dispensé en fonction d’affiliations partisanes.

“In the past, people were with the Revolution so they were having salaries, they had permanent salaries and UNRWA was giving some rations to people so we only had to buy fruits and meat… Everything was cheap in the past, everything we needed, we could buy it. So there were some free things and with my dad’s salary, we could afford for the other needs […] In the past, the population of the camp wasn’t as important as nowadays… There were spaces between houses, there was some space in the camp… The population wasn’t like today, we were much less… Now, people don’t have any work, population has increased, life is difficult and everything is expensive so people are busy with their life, they’re struggling to earn their 'own' life and that’s why social life has decreased a lot… Nowadays, people are far away from each other.” (Kholoud, 42 ans)

“The problem is that if you belong to a party, they help you but they don’t help the others, they don’t even 'see' the others. This is the main problem in our society, help is not for everyone, it’s for the person who belongs to 'this' party so it’s not because he’s my neighbor that I should help him.” (Hayat, 62 ans)

Si les milieux associatifs et caritatifs contribuent à alléger le fardeau du quotidien, le soutien provient essentiellement de la famille, principale institution pérenne dans l’exil. Toutefois, les liens familiaux et la solidarité communautaire, qui représentaient pour les réfugiés palestiniens des éléments fondamentaux à la survie durant les premières années de l’exil, sont depuis les années 1990 fragilisés par la lourdeur des responsabilités quotidiennes et le dénuement dû à la pauvreté grandissante de bien des familles.

“In the past, we used to sleep and our doors were open. If we were eating an orange, everyone was eating from that orange, nobody was going to sleep hungry. All the neighbors were caring for each other, they were looking for each other, so we were all a big family. And now, we lock our doors and if you wake up, you can see the thieves above your head… So people stopped caring for each other, they don’t like each other, people are living apart from each other. What has changed now is people’s conditions of living, not their mentality or them as people. Now, all the people are running after their daily bread, they are busy thinking about how to improve their own lives … So that’s why people have changed: they’re running after their daily bread.” (Basma, 41 ans)

Une rupture après la guerre civile se fait donc remarquer alors que les récits des femmes se concentrent sur les difficultés rencontrées et la vie dans le camp de Bourj El Barajneh.