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Guerre, après-guerre ou entre-deux-guerres?

CHAPITRE 4 – D’une catastrophe à l’autre : nakba, manfa, harb

4.2 Guerre, après-guerre ou entre-deux-guerres?

Le thème de la guerre occupe une place prépondérante dans la majorité des récits de vie. Les différents sièges du camp de Bourj El Barajneh servent de références temporelles aux divers événements de la vie des femmes : mariage, naissances, etc.

“During the sieges, it wasn’t allowed for us to get out of the camp so I started to work at Haïfa hospital as a nurse. During the first one-month siege, I wasn’t married but I got engaged during the 10-day siege, and during that siege my mother-in-law got injured. Then, by the 45-day siege, I was married.” (Khadija, 54 ans)

Encore aujourd’hui, la crainte quotidienne d’une potentielle guerre ou d’un conflit plane toujours.

“Many people in the camp feel unsafe, they feel something is going to happen … People are thinking about the war all the time, I mean, the idea that a war might happen again with the Israelis or even a civil war… So people don’t feel comfortable about the situation here … We are not really living, we are constantly nervous and tense; it’s like living in a circle, it’s difficult.” (Roula, 56 ans)

À maintes reprises pendant mon séjour on m’a répété : « Il y aura une autre guerre dans un avenir rapproché ». Depuis 1990, le Liban n’a certes pas été exempt de conflits armés : en 2006 avec Israël, en 2007 au nord du Liban dans le camp palestinien de Nahr El Bared… C’est dire que ces femmes vivent de façon permanente dans un climat d’entre-deux-guerres. Puis il y a ce paradoxe autour de la guerre : on ne veut pas de la guerre, de ses souffrances, mais en même temps on concède que c’est avec la guerre qu’il y a parfois des changements – du moins, qu’un monde de possibilités s’ouvre aux femmes, à leur famille. La guerre amène aussi de l’aide de l’extérieur, elle fait d’une communauté souvent oubliée « des personnes visibles ». Devant le constat que la négociation ne fonctionne pas, du moins pas assez pour permettre la fin de l’exil palestinien ou simplement quelques améliorations aux conditions de vie, est-ce qu’on en vient à souhaiter une guerre? Noura, 50 ans, soulève cette même question :

“I hear it many times from many people, they say: 'Our situation during war was much better than now'. You heard this, I’m sure… The international community should 'really' look at this carefully. My question to them is: 'Do you encourage people to get involved in wars? It’s by this way that they can get your attention…' In 2006, because there was the Israeli war in Lebanon, everyone was here. Again, during the Nahr El Bared conflict in 2007, same thing. Naher El Bared is a war that attracted donors! So, you want people to wish they’d be like Naher El Bared’s people? And I actually hear this from people. This is unfortunate … we don’t really look at what’s happening with people, we don’t analyze the situation, only blood

attracts attention and this is horrible! Suffering doesn’t mean anything, people are now wishing for a war! … People think that war brings attention, money and assistance… But I understand this position.” (Noura)

Est-ce dire que le statu quo est intolérable, pire que la guerre elle-même? Ce n’est certes pas la majorité des femmes qui tient un tel discours, mais elles sont quelques-unes à se questionner… ou je dirais plutôt à dénoncer l’absurdité de souhaiter une guerre pour que les choses changent. Il y a une réelle exaspération exprimée par plusieurs femmes. Continuons sur cette idée de paradoxe et de guerre : on verra plus loin, dans mon dernier chapitre de résultats, que la guerre en est truffée. D’abord, si elle a amené d’indescriptibles souffrances, elle a aussi été une période charnière pour les femmes : pour certaines jeunes femmes de l’époque, la guerre est associée à la liberté et à la découverte. La guerre est une période de chaos lors de laquelle les règles traditionnelles (concernant les questions de genre, notamment) sont moins rigoureusement observées. En sont facilitées les sorties du camp, en temps normal restreintes, et la rencontre avec le monde extérieur. Puis, un autre paradoxe lié à la guerre est la violence qu’elle engendre. Alors que la violence sous plusieurs formes – intrafamiliale, discriminatoire, etc. – est souvent condamnée par les femmes, la violence qui serait le fruit d’une guerre pour reprendre la terre de Palestine est jugée comme légitime par la grande majorité des femmes rencontrées, toutes générations confondues. Mais une telle violence n’est-elle pas vue comme de l’auto-défense, auto-défense face à une vie en camp de réfugiés qui ne s’améliore pas, à un exil qui se prolonge, à un conflit israélo-palestinien qui semble sans issue, aux voix qui ne sont pas suffisamment entendues? Plusieurs femmes m’ont demandé : « Mais quel autre choix nous reste-t-il? »

Une fois leur récit sur la guerre terminé, les femmes abordent les années de reconstruction, mais on se voit alors rapidement plongé dans la réalité quotidienne du camp de Bourj El Barajneh. L’expression de la désolation devant leur situation, en dépit des efforts déployés pour rebâtir leur existence et leur environnement, teinte le discours de nombreuses femmes, où émergent alors les difficultés et les luttes quotidiennes qui marquent la vie en camp de réfugiés. D’ailleurs, pour les réfugiés palestiniens du Liban, la période suivant la guerre civile est marquée par la mise au ban de la communauté à travers différentes formes sociales (comme les débats sans fin sur les risques d’implantation, le tawtîn) et juridiques (comme les

lois et décrets limitant les droits des étrangers visant implicitement les Palestiniens) (Meier, 2008). Ainsi, tranquillement, les réfugiés palestiniens passent d’hôtes embarrassants à réfugiés des camps puis à ennemis de l’intérieur (Sfeir, 2008).Or, qu’en est-il de cette vie en camp de réfugiés après maintenant 64 ans d’exil? Quel sens les femmes palestiniennes lui donnent-elles?

CHAPITRE 5 – Survivre en camp de réfugiés : entre le