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Longue d’environ 28 km, et traversée d’une unique voie routière, la péninsule de Placencia possède ce qui fait défaut au reste du pays en termes d’attractivité touristique balnéaire : de longues plages de sable blanc. En effet, le littoral du Belize est essentiellement composé de

mangroves (à l’exception des Cayes), ce qui l’a préservé du développement des grands projets touristiques qu’ont connu la Caraïbe insulaire et la côte mexicaine du Yucatán. Malgré cette ressource, la péninsule de Placencia a tout de même été épargnée par le

tourisme de masse. Cela s’explique par les raisons historiques et structurelles que nous avons déjà évoquées au premier chapitre, mais également par différentes raisons techniques qui font obstacle à la mise en place d’une station balnéaire, notamment la faible superficie de la péninsule (environ 10km2) et la quantité limitée d’eau potable. Néanmoins, le tourisme est tout de même présent sur la péninsule, et aujourd’hui, cette activité est le principal moteur économique des trois communautés de la péninsule que sont Placencia, Seine Bight et Maya Beach (figure 16).

Figure 16. La péninsule de Placencia et Monkey River

Conception : Luc Renaud Source : Natural Earth (2019)

Fréquentée depuis la période du Classique ancien par les Mayas (250-600 ans de notre ère), la péninsule est alors parsemée de sites de production de sel qui fournissent les populations de la région immédiate (Mackinnon et Kepecs, 1989). Comme la qualité du sel produit sur la péninsule s’avère inférieure au sel produit au nord, dans le Yucatán, l’aire d’exportation de la denrée s’en trouve réduite, voire limitée à l’usage de la population péninsulaire. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que la pointe sud de la péninsule soit colonisée par quelques familles de pêcheurs créoles. Quelques décennies plus tard, des groupes Garifuna s’y installent aussi : ces premiers arrivants sont à l’origine d’une proto-industrie de la pêche qui vise un marché local. À partir des années 1940-1950, favorisées par une demande importante venant des États-Unis pour la langoustine et la conque, l’industrie de la pêche connaît un essor important. Cela, jusqu’à l’effondrement des stocks dans les années 90; un phénomène qui coïncide avec une transition économique vers le tourisme (Key, 2002b).

Cette transition s’avère particulièrement intéressante dans le contexte du développement actuel du tourisme de masse dans le sud du Belize. Mais avant de nous y pencher plus

précisément, poursuivons la mise en contexte de la péninsule de Placencia par la présentation de repères contextuels pour chacune des communautés qui la compose. Cela permettra de mieux définir les dynamiques sociospatiales qui opèrent sur la péninsule. Par ailleurs, même si elles sont à proximité les unes des autres, ces trois communautés possèdent des

caractéristiques fort différentes; conséquemment, leur rapport au tourisme est lui aussi distinct.

Maya Beach

En accédant à la péninsule depuis le nord, on atteint en premier lieu le village de Maya Beach. L’origine de ce lieu, dont la population est composée principalement d’expatriés états-uniens et canadiens, est très récente. En effet, dans les années 60, un Canadien du nom de Robert Gayer fit l’acquisition de plusieurs lots afin de développer un ambitieux plan pour une nouvelle communauté. Le magazine Latin American Report, destiné à informer

« … located only a very short distance from the southern point of Placentia Peninsula which already has going

a most sophisticated land development program for resort and retirement living. The operation, Plantation Palms, Ltd., is under the overall direction of Robert Cayer of Vancouver, B. C., Canada. The first stage of the project calls for subdividing one section of the peninsula called Maya Beach. Roads, lights, water, landscaping - including the planting of Many native fruit trees - has been completed. Canal, leading in from the lagoon side, are being dredged. This will make it possible for a lot owners to dock his boat in front of his home. The Maya Beach section has 263 lots, more than half of which have already been sold, 90% of these la Canadians from around Vancouver where Gayer maintains a sales office (Latin American Report,

1967 : 32) ».

Concrètement, le projet n’a pas vu le jour sous cette forme. Néanmoins, après l’échec et l’abandon du projet de développement, les lots se sont tout de même graduellement vendus. Ainsi, Maya Beach est devenue – quoique dans une version plus modeste que celle rêvée par son initiateur – une communauté bien développée (Harris, 2017). Cette approche de

développement où un promoteur achète une grande parcelle de terrain pour ensuite la diviser en lot pour la revente s’avère emblématique dans la région et elle a toujours cours. De fait, de nouveaux projets de développement apparaissent un peu partout sur le territoire régional et sont pour la plupart dirigés par des groupes immobiliers étrangers.

Maya Beach comptait au dernier recensement de 2010 environ 229 habitants permanents (SIB, 2010). Résolument tournée vers le tourisme et la vie d’expatriés retraités, la

communauté est maintenant un milieu autonome avec, en plus des commerces à vocation touristique, son service d’incendie, une station de police, une épicerie, quelques bureaux d’ONG, des entrepreneurs en habitations, des agents d’immobiliers. C’est sur le territoire de Maya Beach que l’on retrouve les plus imposants complexes hôteliers de la région, ainsi que quelques « gated communities ». Ces nouvelles communautés fermées accueillent autant des touristes que des expatriés, ceux-ci ayant fait l’acquisition de résidences et de terrains.

La vie dans cette portion de la péninsule se fait en retrait des zones situées plus au sud. Si ce n’est que pour participer à la vie sociale de Placencia, les habitants de Maya Beach et les touristes ont très peu de relations avec le reste de la péninsule. Ces derniers trouvent tout ce

dont ils ont besoin directement sur place et, si nécessaire, ils se rendent dans la capitale Belmopan pour y effectuer leurs achats ou bien régler leurs dossiers administratifs.

Seine Bight

À Seine Bight, quelques modestes gîtes ont poussé à l’extrémité nord du village. Mais de façon générale, la communauté n’a pas de lien direct avec le tourisme ou les étrangers, indépendamment de la main-d’œuvre qu’elle fournit à l’industrie touristique de Placencia et de Maya Beach. Il existe bien sûr des hôtels de luxe de part et d’autre du village, situés sur les territoires de Maya Beach et de Placencia, mais le territoire de Seine Bight comme tel n’a jamais fait l’objet d’un développement touristique planifié. Ce constat est particulièrement frappant lorsque l’on traverse le village pour se rendre à Placencia, après avoir vu Maya Beach. Succédant aux pompeuses constructions d’expatriés millionnaires et aux « resorts » de luxe qui parsèment cette communauté, la transition se fait rapidement, sur quelques

centaines de mètres, pour arriver au village de Seine Bight. Ici sont regroupées des baraques en bois sur pilotis semi-délabrées49; ici flotte dans l’air une odeur de poulet grillé et flâne une meute de chiens sur la rue principale; des enfants courent un peu partout après un ballon, de la musique joue à tue-tête au restaurant du coin. Dans ce village, on se trouve

momentanément plongé dans une ambiance locale hors tourisme. Il va sans dire qu’aussi rapidement qu’elle est apparue, cette atmosphère disparaît du moment que l’on quitte la ville, toujours en direction du sud, vers Placencia. Bien vite, on retrouve de nouveau le faste des hôtels, mais surtout un formatage touristique.

La très grande majorité de la population du village de Seine Bight, évaluée à 1166 habitants en 2010 (SIB, 2010), est composée de Garifuna. Au cours des dernières années, plusieurs familles latinos et quelques familles mayas se sont installées au village pour se rapprocher de leur lieu de travail dans l’industrie touristique. Le village possède la plupart de ses services essentiels (police, pompier, dispensaires), dont des écoles, évitant ainsi aux enfants de devoir

49Quoique les demeures puissent sembler modestes de l’extérieur, l’intérieur des maisons Garifunas de Seine

Bight n’a rien à envier à leur voisin de Placencia. Selon un participant du village à notre étude, il appert simplement que les Garifunas sont moins enclins à montrer leur richesse de l’extérieur; un trait culturel selon lui.

se déplacer à Placencia. Bref, on peut caractériser Seine Bight comme un petit village simple de la côte caraïbe, bordé d’une plage de sable blanc et intouché par le tourisme, ce qui lui confère un statut extrêmement rare pour un espace caribéen, mais qui le transforme de ce fait en un objet de convoitise de la part des spéculateurs de l’industrie du tourisme de séjour.

La destinée de ce village Garifuna est particulièrement intéressante dans le contexte de la péninsule. Le site actuel de Seine Bight est occupé depuis la fin du XIXe siècle par le peuple caribéen des Garifunas qui avait initialement atteint de Belize depuis le Honduras50 afin de travailler dans l’industrie du bois de cajou (Key et Pillai, 2006). Après avoir occupé un site tout près de Placencia à leur arrivée sur la péninsule, ils s’installent finalement à Seine Bight (littéralement l’Anse à la senne), qui est constitué d’une étroite bande de terre bordée d’une longue anse sableuse du côté de la mer des Caraïbes. Peuple insulaire à l’origine, les garifunas n’ont jamais occupé l’intérieur des terres. Au Belize, on les retrouve à plusieurs endroits sur le long de la côte (figure x), exception faite de la communauté de Georgetown. Les

Garifunas ont longtemps survécu grâce à la pêche et à une agriculture de subsistance. Bien avant de fournir une main-d’œuvre à l’industrie touristique, les femmes et les hommes du village ont gagné leur vie en travaillant dans les fermes fruitières de la région (Escure, 1997).

De façon générale, le peuple Garifuna a su garder vivantes ses traditions culturelles. Pour cet aspect, il faut se rappeler que les ancêtres des Garifunas actuels ont été déportés par les Anglais au XVIIIe siècle et que leur migration forcée les a dispersés un peu partout le long de la côte caribéenne de l’Amérique centrale. Dans ce contexte colonial répressif, ils se sont appuyés, comme mode de survivance, sur un système social fortement axé sur les valeurs de cohésion communautaire, ce qui a contribué à la pérennité de leur identité culturelle (Palacio, 1998). Certes, ce « Fidelity system » qui est aussi de nature économique agit comme un

mécanisme de cohésion culturelle, d’allégeance et de loyauté envers le groupe au lieu de l’individu (Key, 2002a). Malheureusement, de nos jours, il semble que la langue garifuna peine à se maintenir dans la plupart des communautés en raison de la proximité

géographique et sociale entretenue avec les populations créoles. De plus, l’ensemble de la culture garifuna est actuellement mise sous pression, spécialement à Seine Bight, par le