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Sous la gouverne impérialiste des Britanniques, le territoire du Honduras britannique (que nous allons dorénavant nommer le Belize) demeure une colonie comptoir jusqu’au milieu du XIXe siècle. En raison des traités conclus avec les Espagnols qui interdisent le

développement de l’agriculture pour fins d’exportation, mais aussi pour répondre aux intérêts des barons du bois, l’économie reste principalement orientée vers l’exploitation forestière (Dobson, 1973 ; Shoman, 2011). À partir des années 1850, sous l’impulsion de la mise en place de la première constitution, le pouvoir métropolitain est établi au sein la colonie. Dès lors, on assiste au développement d’une agriculture de la canne à sucre à plus grande échelle dans le nord du territoire par les réfugiés mayas ; cette lente reconversion de

l’économie relègue l’exploitation du bois au second rang au profit de l’agriculture (Shoman 2010, 2011).

Cette dynamique de reconversion de l’économie s’inscrit dans un cadre plus large de la politique coloniale par laquelle Londres tente de réaffirmer, non sans opposition, un pouvoir plus direct sur ses colonies. Cela intervient non seulement pour des raisons d’ordre

économiques, mais également à des fins politiques : la métropole cherche à contrer l’influence grandissante que les États-Unis exercent dans la région par l’entremise de la doctrine Monroe (Shoman, 2011). Au Belize, l’élite locale, dont la richesse repose sur l’industrie forestière, est d’abord réticente à laisser plus de pouvoir à la métropole. Cependant, elle finit par accepter les orientations économiques métropolitaines en raison d’un conflit qui oppose les bûcherons et les réfugiés mayas dans le nord du territoire. En effet, les activités agricoles des Mayas s’appuient entre autres sur la méthode du brûlis, ce qui détruit inévitablement des ressources en bois, ayant comme conséquence de provoquer des tensions avec les travailleurs forestiers jusqu’à dégénérer en conflit ouvert (Harrison-Buck et al., 2019). Or, ces tensions ont un coût élevé en termes de gestion. C’est dans ce contexte que l’élite locale finit par céder aux pressions de la métropole, et laisse par le fait même à cette dernière le soin d’assurer militairement et financièrement la protection de la colonie (Shoman, 2011). La prise en charge du Belize par la métropole permet aux autorités d’assigner un Gouverneur qui nomme des membres au conseil législatif favorables aux orientations de Londres, ce qui a comme conséquence de modifier les orientations traditionnelles de l’élite locale liée à l’industrie forestière.

En parallèle, les dernières décennies du XIXe siècle marque la chute de la demande du bois pour l’industrie navale à la faveur du fer (Bulmer-Thomas et Bulmer-Thomas, 2012). Cette transformation de l’industrie navale intervient au même moment que l’arrêt du

protectionnisme anglais, permettant à d’autres marchés d’exploitation du bois de gagner la métropole en concurrence ouverte avec l’industrie forestière du Belize. Cela porte un coup énorme à l’activité. Ruinée, l’ancienne élite locale bélizienne se voit dans l’obligation de vendre ses intérêts à ses créanciers basés en métropole, notamment à une firme londonienne qui allait devenir plus tard la Belize Estate and Produce Compagnie. Ainsi, sous l’effet combiné de changements politiques et de la chute de l’industrie du bois, le pouvoir de la métropole se

consolide dans la région ; en contrepartie, le pouvoir des barons du bois, qu’ils détenaient depuis le début du XIXe siècle, est déclassé.

La Belize Estate and Produce Compagnie, qui, comme nous le verrons plus loin, jouera un rôle important sur la scène politique locale durant la période liée à l’indépendance du Belize, consolide lentement son pouvoir foncier et économique dans la colonie (Dobson, 1973 ; Bolland, 1977). Sa mainmise sur le capital foncier du pays est déterminante dans le tournant agricole de la colonie après la chute de l’activité forestière. La Belize Estate and Produce

Compagnie, par ses intérêts liés à la métropole, s’inscrit dans le renforcement de la présence

britannique en Amérique centrale et participe à l’ancrage de la présence de cette puissance coloniale dans la région (Dobson, 1973).

À l’aube du XXe siècle, le caractère distinct régional du Belize ne se limite pas qu’à son univers linguistique. D’une part, contrairement aux entités géopolitiques hispanophones voisines qui sont déjà indépendantes, le Belize est plus que jamais intégré à l’Empire britannique. D’autre part, si les différents états d’Amérique latine subissent l’influence des États-Unis sous la doctrine Monroe, la présence coloniale britannique en limite l’incidence au Belize, à l’exception notable de l’États-Unienne United Fruit Compagny dans l’industrie bananière. Comme l’explique Shoman (2010), le Belize, qui s’est également lancé dans la production de ce fruit par l’entremise de la Belize Estate and Produce Compagnie, n’est pas en mesure de consolider son réseau de distribution devant contrôle monopolistique de la compagnie états-unienne. Cela force les autorités béliziennes à laisser la United Fruit Compagny pénétrer leur marché.

En une centaine d’années, l’élite des barons du bois a donc été remplacée par une nouvelle élite composée d’expatriés européens, ce qui favorise l’implantation d’une culture de

corruption et d’exploitation de la main-d’œuvre participant au développement d’une société inégalitaire (Shoman, 2011). Les injustices socio-économiques résultant de cette culture mettent la table à une dynamique de résistance, laquelle culmine au début des années 1930. On observe alors l’émergence de troubles sociaux, signes précurseurs d’une révolte

mouvements indépendantistes que connaitra par la suite le Belize et qui mèneront (tardivement à l’échelle du continent), à la création d’un état indépendant.