• Aucun résultat trouvé

Lieu, espace et territoire – ingrédients de la territorialité

« What begins as undifferentiated space becomes place as we get to know it better and endow it with

La conceptualisation des notions de territorialité réfère préalablement à ce que l’on entend par le lieu, l’espace et le territoire. Selon Sack (1987), le lieu est défini par une activité qui s’y déroule, et une série de lieux s’inscrivent dans un espace associé à un contexte précis, par exemple l’espace de la rue dans lequel plusieurs activités se déroulent. Cet espace, ainsi que les expériences objectives et subjectives qui s’y rattachent, forme la base d’un territoire. Autrement dit, le territoire est généré par l’espace dans lequel s’inscrit une série d’actions ou d’expériences qui se produisent dans des lieux de relations ou d’interaction sociales

(Raffestin, 1980).

Le territoire est cependant davantage qu’une simple délimitation des espaces. Dès lors qu’existe une délimitation physique ou sociale des espaces, la production du territoire implique nécessairement une action de transposition du pouvoir par lequel il est possible d’exercer un contrôle de ladite délimitation (Sack, 1986). Ce pouvoir peut s’exercer en contrôlant physiquement l’accès à un territoire formel, par définition de nature normative (Germain, 2012), délimité clairement par des frontières physiques; ou encore en provoquant une situation d’inclusion/exclusion à un territoire fonctionnel, par définition de nature sociale et culturelle (Di Méo et Buléon, 2005), et délimité par des frontières symboliques. Le territoire fonctionnel, au pourtour plus dynamique et organique, transcende le territoire formel et s’étend au-delà de la délimitation physique selon la portée des relations sociales le constituant.

Di Méo (1998) précise à propos du territoire fonctionnel qu’il correspond non seulement au résultat d’un déterminisme physique, mais qu’il émerge aussi de multiples choix de société en regard aux contextes culturels, économiques et techniques le définissant. Il devient en

quelque sorte le résultat de facteurs idéologiques et culturels, ceux-ci étant combinés à la politique, à la géographie, à l’histoire et, ultimement, à l’évolution des rapports sociaux entre les acteurs. Ce territoire est donc formé d’espaces subjectifs qui convoquent un sentiment d’appartenance forgé à travers les pratiques et les représentations réelles ou imaginaires de ces mêmes espaces. On peut alors parler d’une construction sociale du territoire, car celui-ci se structure par la jonction et l’association d’espaces subjectifs socialisés dans laquelle se tissent concrètement des rapports de pouvoir entre les acteurs qui les occupent, y compris l’État.

Même s’il n’est pas exclusif, le rôle de l’État en amont reste déterminant dans la création de territoires dans la mesure où celui-ci peut dicter les prémisses des phénomènes d’inclusion et d’exclusion. Considérant que le territoire ne découle pas simplement d’éléments d’ordre culturel, mais aussi de gestes politiques, il importe de bien décortiquer les mécanismes politiques qui affectent non seulement les aspects économiques du territoire, mais également les paramètres sociaux. À ce niveau, l’état est l’acteur dont les gestes – politiques – sont les plus signifiants et influents dans la construction initiale des territoires, dans la mesure où ces gestes sont combinés au caractère social des phénomènes d’inclusion et d’exclusion.

(Delaney, 2005).

Ces éléments liés aux processus de production territoriale, qui sont eux-mêmes par définition une déclinaison de la production des espaces, et qui ont pu être mis en évidence à travers la nature fortement polysémique de la notion de territoire (Giraut, 2008) – phénomènes d’inclusion/exclusion, pouvoir, dimensions objectives/subjectives et influences culturelles/idéologiques – permettent maintenant d’aborder de front la question de la territorialité.

Territorialité

Storey (2009) affirme que la territorialité réfère à l’action de revendiquer un espace. Cette définition simple, mais insuffisante, permet néanmoins de poursuivre la réflexion. Dans cette acception du terme, la nuance entre territoire et territorialité s’avère subtile et suppose la présence de la notion de stratégie ou d’action. Ainsi, si l’on accepte l’idée que des rapports de pouvoir sont impliqués dans la production du territoire, la stratégie, elle, est donc implicitement sous-jacente aux actions de territorialisation. En d’autres mots, un pouvoir est exercé et la territorialité est le fruit d’une stratégie mise en place par ce pouvoir pour créer et produire un ordre social (Sack, 1987 ; Delaney, 2005).

Tout comme le territoire, la territorialité se décline à partir de fonctions sociales, voire de constructions sociales où son analyse « n'est possible qu'à travers une saisie des relations réelles replacées dans leur contexte sociohistorique et spatio-temporel » (Raffestin, 1980 : 146). Il s’agit donc d’un « système de relations qu’entretient une collectivité avec l’extériorité

et/ou l’altérité à l’aide de médiateurs » (Raffestin, 1982 : 170) où l’espace se définit en termes de représentations socialement construites et, en dernier lieu, médiatisées par la société (Aldhuy, 2008).

Pour faire écho aux notions de territoire formel et fonctionnel (Sack, 1986 ; Di Méo, 1998), la dualité des visions sur la territorialité – d’un côté, objective, organisationnelle et stratégique et de l’autre basée sur les constructions sociales et symboliques – se confond à travers

l’émergence d’une territorialité qui serait simultanément matérielle et idéelle (Di Méo et Buléon, 2005). La territorialité matérielle est avant tout géopolitique et imposée, ou fixée (Sack, 1986 ; Melé, 2009). Elle est forgée par une économie globale, stratégiquement confortée par une finalité de domination où la notion de pouvoir est centrale. De plus, elle s’inscrit dans la production d’un territoire dans lequel l’espace est objectivé afin de maintenir politiquement un ordre économique et social. Cette territorialité objective est aussi dite formelle, à l’instar de la notion de territoire formel, car il y a création de frontières physiques (Germain, 2012).

La territorialité idéelle est celle de la représentation et de l’organisation sociale des

populations qui habitent le territoire. Ici, le territoire est produit à partir d’un espace subjectif qui se vit au gré des besoins sans nécessairement tenir compte des frontières physiques. Cette subjectivation des espaces produit une territorialité qui s’appuie sur une représentation et une pratique du territoire dont les origines se trouvent dans les éléments culturels de la population et qui ignorent partiellement les limites territoriales imposées par une territorialité matérielle (Di Méo, 1998). Autrement dit, la territorialité se pratique à la fois de façon

matérielle, ou formelle, par la création de frontières plus ou moins étanches suivant les intentions de contrôle sous-jacentes ; et de façon idéelle, ou fonctionnelle, dès lors que le territoire est produit par les représentations ainsi que par la pratique de relations sociales (Germain, 2012).

Ces concepts de territoires formels et fonctionnels, ainsi que les territorialités matérielles et idéelles qu’ils induisent, sont simultanés et deviennent utiles à la compréhension des relations socio-territoriales d’espaces impactés par leur mise en relation avec une nouvelle activité économique, elle-même productrice d’espaces. Il s’agit d’outils conceptuels permettant

d’expliquer comment un espace préexistant et initial est altéré par l’imposition d’un nouvel espace, imposé ou proposé, et comment se reconstruit l’ensemble des nouvelles relations territoriales ; en d’autres termes, ces outils permettent d’expliquer l’évolution

spatiotemporelle des territoires.

Plus spécifiquement, pour nous, il s’agit de comprendre comment le tourisme de croisière opère une production de l’espace par le déploiement de ses activés et comment celle-ci, par l’entremise des relations de pouvoir qui sont induites, vient modifier les territorialités de l’espace de réception. Ce processus d’empiètement a des conséquences sur les relations socio-territoriales. Il s’avère déterminant pour savoir lesquels des groupes d’acteurs de l’espace de vie, ou de l’espace du tourisme de croisière, seront au final en mesure d’imposer leur influence sur les processus de territorialisation renouvelés et en tirer les bénéfices qui leur conviennent. Avant d’aborder plus précisément la question de cet empiètement et des rencontres qu’il génère, mais aussi d’étudier comment cela se traduit spatialement et quelles en sont les conséquences sur les territoires, il est nécessaire de spécifier les notions d’espace qui sont en jeux.