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Choix du site à l’étude Un lieu représentatif et une opportunité unique Le choix de se tourner vers la Caraïbe pour répondre aux problématiques liées à l’industrie

du tourisme de croisière s’impose en raison de l’ampleur que prend cette industrie dans cette région. À partir de ce constat, plus de 70 ports d’escale auraient pu faire l’objet d’une

recherche, mais c’est vers un nouveau développement portuaire situé dans le secteur de Placencia au sud du Belize que notre regard s’est orienté (figure 1). Le projet en question se nomme Harvest Caye, une île-mangrove d’environ 15 hectares située à 3,5 km au sud de Placencia qui a fait l’objet d’un réaménagement important pour être convertie en île-enclave visant à recevoir les navires de croisière de la Norwegian Cruise Line.

Figure 1. Localisation du site à l’étude

Conception : Luc Renaud Source : Natural Earth (2019)

Ce projet de port d’escale de Harvest Caye fait écho à la volonté du gouvernement bélizien de diversifier l’offre touristique nationale et d’ouvrir le sud du pays aux croisiéristes afin de désengorger la partie nord du pays où se trouve déjà un port d’escale à Belize City. En partenariat avec la Norwegian Cruise Line, le gouvernement bélizien a annoncé en 2013 la construction d’une île-enclave dans la région de Placencia pour accueillir des navires de croisière de grande dimension. Repoussée à maintes reprises pour des raisons techniques et juridiques (BBN, 2016a), l’inauguration de Harvest Caye s’est déroulée le 17 novembre 2016 (Kalosh, 2016). Dans une allocution faite au début du mois de mars 2016 rapportée par Humes (2016), le ministre du Tourisme et de l’Aviation civile, Manuel Heredia Jr., décrivait Harvest Caye de la façon suivante :

« Harvest Caye is expected to be a one-stop fun shop with a seven-acre beach and villas, a 15 thousand

square foot pool with swim-up bar, lounge tables and bar stools, 15 canopy pool cabanas; 130 feet tall Flight house as the central area for a variety of aerial activities including zip lining, suspension bridges, free fall jumps, and stunning views of the verdant hills of the mainland. Guests will also be able to enjoy water sports such as kayaking, paddle boarding and canoeing as well as go onshore for tours. The caye will feature numerous dining and bar options, as well as a shopping village. To further conservation efforts, 10,000 new mangroves have been planted throughout the island to increase the number of natural habitats for birds, young fish and other marine species. »

La transformation annoncée de l’île en enclave touristique est surréelle par rapport à son environnement et emblématique de l’offre touristique que l’on retrouve dans les stations balnéaires typiques de la Caraïbe (figure 2). Ainsi, aux fins de notre recherche, une série de caractéristiques contextuelles favorisent d’emblée le Belize comme terrain d’études pour s’attaquer à la problématique soulevée par le déploiement du tourisme de croisière.

La première, pour la nommer, est la récente ouverture du port d’escale de Harvest Caye dans le sud du pays, qui a commencé ses activités en novembre 2016. La nouveauté de cette île- enclave favorisera une meilleure analyse de l’évolution spatio-temporelle en donnant l’occasion d’observer et de comprendre les impacts de la mise en place du port dans son contexte local et régional. Ensuite, il y a la présence d’un tourisme de faible intensité à Placencia, à proximité de l’île-enclave. Ce village reçoit présentement un volume de visiteurs

Figure 2. Harvest Caye au Belize

Source : Norwegian Cruise Line

qui n’a rien de comparable avec celui de l’arrivée quotidienne de milliers de touristes. Conséquemment, les dynamiques territoriales actuellement induites par l’activité touristique seront perturbées par l’afflux de ces nouveaux croisiéristes, ce qui aura des impacts sur les relations territoriales dans les communautés réceptrices. En troisième lieu, il y a aussi la mise en place d’une deuxième enclave sur la terre ferme située tout près de Mango Creek qui permet d’organiser le transit des croisiéristes vers les différents sites d’excursion. Ici, contrairement à Placencia, l’industrie du tourisme de croisière entre en relation avec une communauté où l’industrie touristique est absente.

La présence de plusieurs sites naturels dans la région gérés en collaboration avec les

communautés locales dans une perspective de tourisme durable est une autre caractéristique à prendre en compte. Ces sites seront confrontés à un changement de dynamiques

territoriales avec l’affirmation du tourisme de masse. Ainsi, en plus de l’arrivée de visiteurs, ces communautés feront face à un changement dans la nature même de la gestion des activités touristiques. Par exemple, la communauté de Monkey River, située à quelques kilomètres au sud de Harvest Caye, est incluse dans l’étude, car elle est pressentie pour accueillir les croisiéristes qui viendront y faire des excursions d’observation de la faune et de la flore en amont de la rivière. Monkey River est une communauté de pêcheurs de 150 habitants dont une partie de la population complète ses revenus en proposant des excursions lors desquelles il est possible de remonter la rivière pour pratiquer l’observation de la faune,

principalement des singes hurleurs. Dans le contexte de l’implantation du port de Harvest Caye, ces guides locaux, dont la clientèle est normalement constituée de touristes de séjour, entreront en concurrence avec les voyagistes, lesquels négocient des contrats d’exclusivité avec l’industrie du tourisme de croisière. Enfin, comme dernière caractéristique notable qui suscite notre intérêt, il y a la présence, au nord du pays, d’un autre port d’escale développé dès 2002 et qui a maintenant atteint une phase avancée dans son développement. Sans envisager une étude comparative, le port de Belize City sera néanmoins un point de

référence pratique pour l’analyse et les réflexions portant sur l’ouverture du port de Harvest Caye.

En plus de ces caractéristiques, qui favorisent d’emblée le choix du Belize, un facteur plus englobant a lui aussi attiré notre attention sur le cas de ce petit pays. Contrairement à plusieurs régions de la « planète touristique » qui cherchent à s’émanciper graduellement du tourisme de masse, ou du moins à le rendre plus durable (Weaver, 2014), le gouvernement du Belize a fait le pari récent d’embrasser une activité touristique – l’industrie du tourisme de croisière – laquelle n’est pourtant, et d’aucune manière, reconnue pour sa contribution au développement durable. Ceci entre directement en contradiction avec le développement de l’industrie touristique au Belize, qui avait jusqu’à présent favorisé un tourisme responsable (Diedrich, 2010, Palacio, 2013). Ce changement de cap dans l’approche des politiques nationales en matière de tourisme est intéressant pour notre étude, car le Belize représente dans l’espace caribéen un des rares territoires encore épargnés par le tourisme de masse. En effet, ce pays n’a jamais développé la filière « grands hôtels tout inclus » et le nombre

d’arrivées de touristes internationaux est toujours resté faible comparativement à ses voisins. Ainsi, le tourisme au Belize est encore de nos jours de faible intensité.

L’ensemble de ces constats fait de ce pays un lieu privilégié pour répondre à la problématique posée en amont et ainsi contribuer à l’avancement de la connaissance

concernant les dynamiques sociospatiales des relations de pouvoir entre les groupes d’acteurs lors de la création de nouvelles destinations de croisière. Pour ce faire, nous proposons cette thèse composée en six chapitres.

Le premier chapitre se divise en deux grandes sections. La première s’attarde au Belize à travers le prisme de sa création géopolitique singulière et du contexte colonial spécifique dans lesquels les éléments historiques et culturels propres à l’espace caribéen se sont combinés pour faire émerger cette entité étatique. La deuxième section porte sur l’objet « tourisme » et sur ses multiples déclinaisons tant comme activité économique au sein de l’espace caribéen que dans le contexte spécifique du Belize.

Le deuxième chapitre présente d’abord une discussion sur la notion de développement, ce qui nous amène à interroger le concept dans le cadre de la pratique du tourisme au Belize. Ensuite, nous présentons le cadre conceptuel sur lequel sont basées nos analyses. Nous nous attardons plus spécifiquement aux mécanismes de production de l’espace, aux différentes notions de relations de pouvoir et, enfin, aux déclinaisons du concept de territorialité.

Afin d’analyser les différentes dynamiques territoriales liées à la mise en place du tourisme de croisière, nous proposons dans le troisième chapitre un modèle d’espace du tourisme de croisière. Tenant compte des concepts de mobilité et du déploiement des activités du tourisme sur le territoire, ce modèle caractérise l’espace du tourisme de croisière grâce à une nomenclature qui lui est propre ; il rend compte des différentes déclinaisons territoriales qui émergent lors de la mise en place d’un port d’escale.

Le quatrième chapitre aborde la notion d’espace de vie et d’espace de tourisme dans le contexte spécifique du Belize. La première partie s’attarde à décrire l’espace de vie du Sud Belize et propose également une lecture des transitions socioéconomiques qui ont fait de la région un pôle touristique important. La seconde partie s’intéresse d’abord aux événements qui ont favorisé une transformation des activités touristiques vers le tourisme de croisière ; ensuite, elle s’intéresse aux différents mécanismes économiques, politiques et culturels qui ont amené plus spécifiquement à la production de l’espace du tourisme de croisière.

Le cinquième chapitre est quant à lui consacré aux dynamiques territoriales qui apparaissent à la suite de production de l’espace de tourisme de croisière décrit au chapitre précédent. D’une part, nous nous intéressons aux dynamiques régionales du déploiement des activités du tourisme de croisière à travers deux temps de transition territoriale. D’autre part, nous

nous immisçons dans les dynamiques territoriales à l’échelle locale afin de comprendre comment elles se déclinent dans les zones spécifiques de l’espace du tourisme de croisière. Le dernier et sixième chapitre sera consacré à une discussion qui s’appuiera sur les analyses des deux chapitres précédents. Nous mettrons en évidence le rôle de la présence de

l’industrie de l’écotourisme en amont du développement du tourisme de croisière dans le Sud Belize. Cette présence antérieure d’un tourisme de séjour dit durable participe aux dynamiques de relation de pouvoir entre les groupes d’acteurs lors du déploiement du tourisme de croisière en entrainant une dynamique de confinement particulière dans les processus de territorialisation. Nous avançons également que la mise en place de l’île- enclave pourrait être à l’origine d’une dynamique d’appropriation de l’espace de vie du Sud Belize par des acteurs transnationaux beaucoup plus intenses que le tourisme de croisière en soi par l’entremise du développement immobilier.

CHAPITRE 1

Tel qu’évoqué dans l’introduction, certaines caractéristiques propres au tourisme de croisière induisent des rapports de force inégaux entre les groupes d’acteurs issus de l’industrie du tourisme de croisière (ITC) et ceux issus des communautés locales. Néanmoins, ce ne sont pas les seuls déterminants qui guident la direction que peut prendre le développement d’un port d’escale. En effet, à la nature extraterritoriale et mobile de l’ITC ainsi qu’au contexte néolibéral dans lequel elle se déploie, s’ajoutent encore d’autres spécificités qui viennent aussi moduler les rapports de force entre les différents groupes d’acteurs mis en présence. Les travaux de London et Lohmann (2014) ont mis en évidence des facteurs liés à la diversité des contextes économiques et géographiques qui prévalent dans une destination lors de la mise en place d’un port d’escales, auxquels s’ajoutent des déterminants de nature politique et culturelle. Ces derniers sont le résultat d’un cadre contextuel propre à chaque destination, nécessairement en cause dans l’évaluation et le choix des stratégies à déployer par les différents groupes d’acteurs dès lors que se manifeste l’émergence d’une nouvelle territorialité. De fait, à travers l’étude de cas du port d’escale de Harvest Caye, nous ambitionnons de déceler, de comprendre et de décrire ces différentes stratégies afin de pouvoir ensuite les articuler et les mettre à profit dans d’autres espaces géographiques et dans d’autres contextes. Mais pour y arriver, il convient d’avoir une lecture géohistorique appropriée du contexte dans lequel se construit et progresse le tourisme de croisière au Belize.

Pour ce faire, nous allons poursuivre en procédant à l’analyse de deux objets. Premièrement, celui du « Belize » comme tel, que nous décrirons à travers le prisme de sa géopolitique singulière. Notons déjà que celle-ci s’est déroulée dans un contexte colonial spécifique où des éléments historiques et culturels se sont nourris mutuellement jusqu’à la création officielle du pays. Entité certes modeste en dimension, le Belize est néanmoins doté d’une identité particulière, aujourd’hui porteuse d’influences géopolitiques qui dépassent en proportion ses humbles assises territoriales. Deuxièmement, nous porterons notre attention sur l’objet « tourisme » et sa déclinaison « croisière ». Plus spécifiquement, nous chercherons à mettre en lumière leur nature néocoloniale et la façon dont ils s’insèrent dans l’espace régional caribéen, puis dans le cadre précis du Belize. Cependant, avant toute chose, quelques

remarques s’imposent sur la notion même de Caraïbe, un espace géographique et culturel dans lequel nous inscrivons le Belize pour traiter du tourisme.

Caraïbe

Il est difficile de comprendre adéquatement l’entité Belize sans une mise en contexte régionale relative à l’environnement caribéen, lequel exerce sur lui une influence identitaire certaine, particulièrement lorsqu’est considérée la forte présence des groupes ethniques créoles et garifunas dans le pays. Cette contextualisation s’avère d’autant plus importante que l’industrie du tourisme de croisière au Belize est fortement influencée dans sa construction sociale par la caribéanité de sa zone côtière, porte d’entrée du tourisme de masse.

Mais aussi, afin de mieux comprendre l’interface entre l’espace de l’arrière-pays

mestizo/maya et la côte créole/garifuna, où s’inscrivent les espaces du tourisme de croisière à l’étude, nous proposons quelques éléments d’explications concernant notre angle

d’approche vis-à-vis la Caraïbe : un espace régional vecteur d’influences internationales du tourisme au Belize. Mentionnons d’emblée que l’espace caribéen s’est construit à travers un mélange de processus géopolitiques, historiques et économiques, ainsi qu’à partir d’une construction sociale et culturelle, ce qui en teinte fortement la perception (Sheller, 2003). Ainsi, il existe une différence entre la Caraïbe géopolitique et la Caraïbe imaginée que nous proposons d’explorer.

Dans le cadre de notre recherche, l’utilisation de « Caraïbe » au singulier sera privilégiée. Ce choix n’a pas pour objectif d’amoindrir la diversité propre à la région, il suggère plutôt un parti pris à l’endroit d’une Caraïbe unie et forte, à l’inverse de plusieurs Caraïbes, divisées et vulnérables aux prédations de toutes sortes, spécialement dans le contexte mondialisé et néolibéral de l’économie. Certes, d’un point de vue géographique et historique classique, la Caraïbe se déploie au pluriel. Cette pluralité est d’une richesse insoupçonnée qui s’inscrit en totale opposition avec la vision monolithique de la Caraïbe, formatée par le marketing

touristique sur la base de clichés généralistes. Reste que la pluralité caribéenne se révèle aussi comme un tendon d’Achille pour la région dès lors qu’arrive le temps de mettre en place un bloc de pouvoir face à la dynamique territoriale opérée par le monde extérieur, c’est-à-dire

hors caraïbe4. Le Belize (dont nous dresserons les contours spécifiques un peu plus loin dans ce chapitre) s’inscrit également dans cette pluralité. De fait, nous préférons nous appuyer sur un héritage colonial commun de la région (Cruse, 2014) qui nous porte à associer davantage le Belize à l’ensemble caribéen qu’à la réalité centrale américaine ; de plus, nous relativisons les paradoxes géopolitiques dont l’espace caribéen a hérité étant donné les dynamiques coloniales régionales et qui ont mené à une désunion de ces territoires.