• Aucun résultat trouvé

L’interface de dynamiques relationnelles : des lieux en action

Prenons ici pour exemple l’interface située entre une enclave touristique et une communauté locale. Il existe entre l’enclave touristique et la communauté dans laquelle elle s’insère, un jeu de pouvoir où se confrontent le territoire formel, extrêmement délimité, gardé et protégé, et le territoire fonctionnel, dans lequel se déroulent les actions de transgression, d’inclusion et d’exclusion envers le territoire formel (Carlisle et Jones, 2012). Bref, on observe ici des relations de pouvoir. La région frontalière entre ces deux espaces territorialisés peut être identifiée comme une zone d’interface, c’est-à-dire « une zone de contact entre deux systèmes qui tire son homogénéité de l’équilibre entre les influences nationales et globales » (Le Masne, 2012 : 2). Seulement, il nous apparait insuffisant de faire reposer la dynamique complexe de cette zone sur la seule base du territoire fonctionnel, porteur d’influences nationales (ou locales), et en diminuant l’impact du territoire formel, porteur d’influences globales. Nous croyons plutôt qu’elle est construite à partir d’enjeux politiques, sociaux, économiques et culturels induits par les rapports territoriaux générés par l’imbrication de territoires à la fois fonctionnel et formel. En d’autres mots, nous ne pouvons pas définir la zone d’interface de façon dichotomique, c’est-à-dire segmentée d’un côté par un espace à territorialité strictement fonctionnelle portée par les différents espaces de vie, et de l’autre, comme un espace à territorialité strictement formelle portée par la mise en place d’une activité économique et politisée.

En effet, les espaces de vie qui entrent en relation avec les espaces de l’industrie du tourisme de croisière ne sont pas que sociaux et subjectifs, ils sont construits en altérité avec le milieu dans lequel ils s’inscrivent par des « relations réelles et sociales replacées dans leur contexte sociohistorique et spatio-temporel », ceux-là mêmes que Raffestin (1980 : 146) évoque, et qui comprennent à la fois des éléments fonctionnels et formels. De la même façon, les espaces produits par l’industrie du tourisme de croisière sont également à double territorialité. Leur nature fonctionnelle et objectivée est évidente, elles sont le fruit d’une stratégie pragmatique de la part de l’ITC, mais dès lors que ces espaces sont réfléchis, pensés et, enfin, exposés au milieu de vie, même à l’étape de projet à venir, ils sont immédiatement socialement

représentés et médiatisés. Ils deviennent dès lors des espaces réels et sociaux qui impactent les relations territoriales du point de vue social et culturel.

Dans « Introduction à la géographie sociale », Di Méo (2014) s’interroge à savoir si le processus de territorialisation d’un espace peut être envisagé comme le résultat de la multiplication de lieux, et ce, considérant que le territoire regroupe et associe nécessairement différents lieux. De son point de vue, le lieu est le siège des usages et de la réalité, à la fois individuelle et collective, du territoire par un « …double processus d’élaboration fonctionnelle et

symbolique » (Di Méo, 2014, 133). Par ailleurs, nous évoquions plus haut que le concept de territoire « complet » se définit en somme comme un ensemble de lieux produit par une territorialisation non fixée et issue de l’exercice de jeux de pouvoir au sein d’un espace relationnel. L’ensemble des lieux ainsi généré, qui compose le territoire, devient alors l’arène dans lequel les luttes de contrôle et d’appropriation pour l’espace se déroulent : c’est le lien entre le pouvoir et l’espace (Foucault, 1980 ; Massey, 2000 ; Sandoval et al., 2017). Dans une perspective foucaldienne où le pouvoir est multisitué selon une notion de « relations de pouvoir », il convient d’autant plus de considérer dans notre analyse le concept d’interface, où se situent les nœuds et les enchevêtrements sociorelationnels. Il s’agit ici de considérer cette interface comme un espace composé de lieux en relation, plutôt que sur le concept de lieu abordé comme entité indépendante du territoire et de l’espace occupé.

L’exercice de ce jeu de pouvoir crée un espace relationnel composé de lieux dynamiques que nous proposons de nommer « Interface de dynamiques relationnelles ». Notons que dans le contexte d’une analyse des espaces sociaux et des rencontres (empiètements) de

territorialités, l’interface ne porte pas en elle cette notion de discontinuité spatiale que le lieu impose comme entité au sein de l’espace. En effet, un lieu donné peut être en relation avec un autre, il peut également en être coupé : l’enclave théorique en est un exemple. Or, comme nous le verrons, dans la pratique, cette entité territoriale se retrouve dans une relation obligée avec les communautés réceptrices. À cet égard, dans les dynamiques

territoriales qui nous intéressent, aucun lieu défini comme tel n’est en totale rupture avec son environnement, autrement dit avec le territoire composé de lieux divers. Déployés dans l’espace de vie des communautés réceptrices, les différents espaces du tourisme de croisière ne sont donc pas en rupture nette les uns avec les autres, et ce, quels que soient les types de territorialités qui influencent principalement leur genèse. Il est donc souhaitable d’aborder notre analyse spatiale à travers la notion d’interface, c’est-à-dire « d'une ligne ou d'une aire de

contact entre deux espaces, locaux ou régionaux, stipulant aussi, entre eux, la communication et l'échange, le passage » (Di Méo, 2014, 113).

Proposée de cette façon, l’interface est donc une ligne ou une aire de contact composée de lieux simultanément discontinus et imbriqués; en d’autres mots un « espace » de dynamiques relationnelles et de lieux qui sont le siège de rencontres et d’articulations entre territorialités; un « espace où les relations de pouvoir entre les différents groupes d’acteurs influencent le façonnement même de l’interface. Dès lors, au gré des dynamiques établies entre les divers lieux composant l’interface, mais aussi entre les espaces en jeu, il se crée constamment de nouveaux lieux de rencontres, redéfinis par une restructuration temporaire des différentes instances qui composent les territorialités, car rien n’est fixé, ni dans l’espace, ni dans le temps. Au final, territorialiser n’est pas uniquement un acte de multiplication des lieux, c’est aussi un continuum d’actes qui dynamisent ces lieux, en fonction de leur genèse et considérant leur restructuration constante.

CONCLUSION

La figure 6 se veut un résumé de notre modèle conceptuel. Elle met en évidence les groupes principaux de concepts qui nous apparaissent pertinents à l’étude des processus de

territorialisation ou nous allons intégrer la notion de temporalité que nous avons discutée plus haut. Le cadre s’inscrit dans le contexte englobant de l’histoire et des spécificités du tourisme de croisière dans la Caraïbe que nous avons présenté au chapitre précédent. Ces éléments contextuels à l’échelle globale médiatisent la production d’un espace de tourisme de croisière et vont également avoir des influences sur les processus de territorialisation qui affecteront l’espace de vie à l’échelle locale au temps initial (T0) qui est défini comme le temps précédent la mise en place d’un espace de tourisme de croisière imposé vers un temps nouveau (T1) le marqueur temporel de nouvelles instances apparaissent après la phase de transition territoriale (T0® 1) marquée par la mise en place de stratégies territoriales de la part

des différents groupes d’acteurs impliqués. À la suite du (T1), une nouvelle phase de transition territoriale suivra (T1® 2) pour atteindre un temps (T2), etc. L’introduction du

Figure 6. Cadre conceptuel

Conception : Luc Renaud

Notre cadre conceptuel nous permettra donc au chapitre 4 de mettre en évidence les mécanismes de production d’un espace de tourisme de croisière, étape préalable des processus de territorialisation qui apparaitront une fois qu’aura débuté le déploiement des activités du tourisme de croisière dans le Sud Belize, ce que nous analyserons au chapitre 5. Pour ce faire, nous proposons en amont, au chapitre 3, un modèle de l’espace de touriste de croisière. Une fois que les mécanismes de production de l’espace du tourisme de croisière seront compris, ce modèle permettra de conceptualiser l’espace de vie du Sud Belize en tant qu’entité spatiale transformée par le déploiement des nouvelles activités touristiques,

permettant une analyse des processus de territorialisation qui vont apparaitre à la suite de la mise en place du territoire formel imposé.

Non seulement, le modèle facilitera la compréhension enchevêtrements des relations de pouvoir entre les acteurs à l’échelle fine des lieux touchés par déploiement du tourisme de croisière, mais il permettra aussi d’établir une lecture régionale des transformations

territoriales qui sont amenées par le déploiement de l’activité du tourisme de croisière dans le Sud Belize. En effet, ce ne sont pas que les micro-espaces du tourisme de croisière qui sont dynamiques dans leur genèse et leur évolution; c’est également l’ensemble de la région qui est soumise à des transformations dynamiques liées aux processus de territorialisation. Ainsi, au final, l’observation et l’analyse de l’ensemble de ces phénomènes permettent aussi une lecture à plus grande échelle des territoires et des influences qu’ils subissent autant par des acteurs régionaux que globaux.

CHAPITRE 3

En fermeture du chapitre précédent, nous avons constaté que la notion d’interface

relationnelle est centrale dans le jeu des relations de pouvoir entre les tenants des différentes territorialités. Il s’agit de lieux et de zones où interagissent les processus de territorialisation de différente nature. Cependant, pour mobiliser cette notion et la rendre utile dans la compréhension des relations territoriales, il est nécessaire de situer ces interfaces au sein de l’espace du tourisme de croisière. Ceci a comme objectif de saisir efficacement la spatialité et la localisation du pouvoir, en d’autres mots, de déterminer les arènes où les territorialités entrent en contact ; ce que nous ferons en proposant un modèle des espaces de tourisme de croisière.

Avant de procéder à cet exercice, il nous apparaît nécessaire de définir en amont, et de façon plus précise, la nature des espaces qui seront pris en compte dans ce modèle analytique. Il s’agit donc pour la première partie de ce chapitre de conceptualiser les types d’espaces mobilisés dans l’étude et, ensuite, de proposer un modèle dans lequel les relations

territoriales qu’elles abritent sont appréhendées de façon à y déceler les dynamiques à la base de la compréhension des enjeux de reterritorialisation et de distribution du pouvoir.

La deuxième partie de ce chapitre sera consacrée à décrire l’approche méthodologique sur laquelle nous nous appuyons dans le cadre de nos analyses des espaces de tourisme et des relations de pouvoir qui les médiatisent.