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Le tumulte géopolitique des années qui ont suivi l’indépendance de 1981, au cours desquelles le Guatemala poursuit sa rhétorique de revendications territoriales en menaçant d’envahir le Belize – rendant nécessaire la présence de troupes armées britanniques pour assurer

l’intégrité territoriale de l’ancienne colonie – contribue à alimenter un sentiment d’insécurité. Cette situation trouve écho au-delà de la presse locale, pour être relayée à l’extérieur des frontières du pays : les autorités béliziennes sont alors dans l’impossibilité de contrôler la diffusion de cette image négative (contrairement à la situation actuelle en lien aux violences découlant des groupes criminalisés de Belize City26). Évidemment, lorsque le degré de sécurité qui émane d’une destination est faible, peu importe que le phénomène soit réel ou seulement perçu, cela affecte nécessairement l’industrie touristique ; celle-ci reste

extrêmement sensible et fragile à tout risque pour la sécurité (Mansfeld et Pizam, 2006). Ainsi, le climat politique instable qui règne au Belize dans les années 80 a des conséquences sur l’arrivée de touristes dans la région en raison des velléités du Guatemala sur le territoire

26Un des défis actuels du tourisme bélizien, lequel cause des maux de tête aux autorités, est le degré de sécurité

apparent qui doit être démontré pour rassurer les touristes dans le contexte d’une couverture médiatique souvent négative. Pour se faire, les autorités font pression sur les médias nationaux afin qu’ils tempèrent leur couverture de crimes violents, et que soit véhiculée une image plus positive de la sécurité prévalant dans le pays (Duffy, 2002).

bélizien qui sont rapportées dans la presse américaine (Shoman 2011). Finalement, ce n’est que vers la fin de la décennie que l’industrie touristique prend l’essor qui le caractérise toujours aujourd’hui.

La situation géopolitique qui prévaut dans le pays durant les années 80 n’empêche pas pour autant d’importants investissements de la part de la Banque mondiale et du FMI. Ces interventions financières ont simultanément lieu dans plusieurs pays de l’Amérique latine et de la Caraïbe, et s’inscrivent dans une mouvance de néolibéralisation de l’économie avec l’objectif de diversifier les économies régionales en réponse à la crise de la dette en encourageant des secteurs d’exportation non conventionnels, notamment, celui du tourisme27 (Harrison, 2014). Favorisée par l’élection de l’United Democratic Party (UDP) en 1984 – une formation politique créée à partir du NIP en 1973 et nettement plus en faveur du tourisme que le PUP – l’idée consiste à privilégier un développement des infrastructures, non pas pour développer le tourisme balnéaire, mais plutôt pour faciliter l’accès à l’arrière-pays par l’entremise du développement de l’écotourisme (Duffy, 2002).

Dans cette perspective, on constate, dès le au tournant des années 90, que 12,7% du territoire national bélizien est protégé selon les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), incluant tout autant des territoires terrestres que marins (Lindberg et al., 1996). Bien que le développement de la filière de l’écotourisme représente certains bénéfices pour le pays, qui se manifestent par exemple à travers une augmentation notable des visiteurs, ce type de tourisme génère tout de même certains problèmes. Ceux-ci sont principalement liés au fait que l’écotourisme bélizien est intégré à différents réseaux licites ou illicites transnationaux de préservation de l’environnement qui agissent comme des leviers décisionnels et court-circuitent de ce fait les mécanismes locaux de décisions

formelles, et ce, au détriment des intérêts nationaux du Belize. Dit autrement, en raison de la corruption des gouvernements et des ONG étrangères, en raison aussi du manque de transparence politique, des impunités environnementales pour les investisseurs étrangers et les élites locales, le constat s’avère qu’au final, le pouvoir lié à la capacité de préservation de l’écotourisme échappe aux acteurs locaux (Duffy, 2000). Évidemment, cette réalité

27Ce contexte sera abordé plus longuement au chapitre suivant, dans la section portant sur la question du

n’incombe pas seulement au secteur touristique : pratiquement tous les pans de l’économie bélizienne sont également touchés (Vernon, 2013).

L’écotourisme, définit comme un ensemble des activités touristiques pratiquées en milieu naturel dans le respect de l'environnement, et contribuant au développement de l'économie locale (Larousse, 2018), a longuement caractérisé l’offre touristique du pays. Dès le premier véritable plan de développement touristique mis en place en 1998 – communément appelé le « Blackstone Report » du nom de la boite de consultant qui l’a produit – jusqu’aux orientations actuelles pour 2030, le pays continue de véhiculer une vision touristique, du moins sur papier, qui privilégie les préceptes d’un développement durable (Duffy, 2002 ; Berendse et Roessingh, 2007 ; Belize Government, 2010, 2011). En somme, les ressources naturelles sont encore au centre de l’offre touristique, et leur préservation est considérée comme stratégique pour soutenir ce secteur vital de l’économie.

Cependant, ces orientations n’empêchent pas le développement en parallèle d’une industrie du tourisme de croisière, dans une coexistence qui devient rapidement problématique et contradictoire à l’égard des recommandations du « Blackstone report » (Launchpad Consulting, 2005). En effet, ce document soutient que le Belize devrait privilégier un tourisme

responsable, promouvoir le pays comme une destination d’écotourisme (Diedrich, 2006) et, surtout, éviter de succomber à l’attrait du tourisme de masse afin de ne pas affecter

l’authenticité et la pérennité de la destination (Berendse et Roessingh, 2007). À la défense des autorités béliziennes, le « Blackstone report » ne s’attarde nullement au tourisme de croisière, effleurant à peine le sujet de cette industrie qui demeure à l’époque fort marginale.

Lorsqu’une nouvelle politique touristique est lancée en 2005, le développement de l’industrie touristique échappe alors clairement à l’esprit du rapport « Blackstone » et, de surcroît, il dépasse déjà les limites proposées dans la nouvelle politique. En effet, cette politique évoque tout juste l’idée d’autoriser le développement d’un tourisme de croisière de niche impliquant quelques milliers de croisiéristes annuellement et, surtout, elle suggère d’éviter le

dépassement des 140 000 visiteurs de séjours au risque de mettre en péril la destination (BTB, 2005). Cependant, au lancement de la Politique, le pays accueille d’ores et déjà 237 000 touristes de séjours annuellement, comparativement à 133 000 en 1995. En ce qui concerne

le tourisme de croisière, l’explosion est encore plus spectaculaire : des quelque 14 000 croisiéristes estimés au début des années 90 par Ramsey et Everitt (2008), on en compte 851 000 en 2004. Devant ces constats, il est autorisé de douter de la véritable motivation sous- jacente aux rapports, compte tenu du fait que les chiffres qui y sont mentionnés sont largement dépassés dès le moment de leur publication.

La période de 2002-2003 marque un véritable changement de paradigme dans la destinée touristique du Belize avec l’ouverture du port d’escale de Belize City. Même si le tourisme de séjour poursuit une progression régulière pour dépasser les 400 000 arrivées de séjour en 2017, l’ouverture de ce port d’escale implique, elle, l’arrivée massive de croisiéristes qui transforme durablement les dynamiques territoriales. Alors que les relations

traditionnellement établies entre les touristes et la population locale se développent sur une base intime et relativement authentique, le « bout du monde » devient plus que jamais accessible à la masse via les croisières. En somme, l’esprit d’aventure et de découverte qui caractérisait un voyage au Belize se transforme en une nouvelle expérience que l’on pourrait qualifier de « McDonalisée », pour reprendre le néologisme de Ritzer (1983), évoquant en cela l’esprit de la production à la chaîne standardisée. Pensons par exemple aux visites organisées par l’ITC dans l’arrière-pays, dont l’expérience est prévisible, efficace et hautement contrôlée. Bien sûr, comme nous le verrons plus loin dans l’analyse de notre étude de cas, l’accessibilité à l’ensemble du territoire bélizien par les croisiéristes reste limitée par divers facteurs et, de ce fait, le phénomène de « McDonalisation » demeure lui aussi restreint au nord du pays. De son côté, le « Deep South » bélizien est encore trop éloigné pour être accessible aux croisiéristes et il demeure à l’abri de toute transformation. Ce, du moins, jusqu’à un certain mois de novembre 2016.