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Résister au débarquement : tourisme de croisière et dynamiques d’appropriation territoriale dans la Caraïbe

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Texte intégral

(1)

Université de Montréal

Résister au débarquement : tourisme de croisière et

dynamiques d’appropriation territoriale dans la Caraïbe

Par Luc Renaud

Département de géographie Faculté des Arts et Sciences

Thèse présentée

en vue de l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph. D.) en géographie

Novembre 2019

(2)

Université de Montréal

Département de géographie – Faculté des Arts et Sciences

___________________________________________________________________________

Cette thèse intitulée

Résister au débarquement : tourisme de croisière et dynamiques d’appropriation territoriale dans la Caraïbe

Présenté par Luc Renaud

A été évaluée par un jury composé des personnes suivantes

Violaine Jolivet Présidente-rapporteuse Patricia Martin Directrice de recherche Bruno Sarrasin Codirecteur Gabriel Fauveaud Membre du jury Frédéric Girault Examinateur externe

(3)

RÉSUMÉ - ABSTRACT

Le tourisme de croisière se démarque du tourisme ayant des assises terrestres par sa nature mobile et extraterritoriale. Ces facteurs favorisent un rapport de force en faveur de l’industrie lorsque vient le temps de négocier ses conditions d’opération lors de la mise en place d’une nouvelle destination. Le but de ce projet de recherche est de mettre en évidence les

dynamiques sociospatiales inhérentes aux relations de pouvoir entre les groupes d’acteurs liés au tourisme de croisières dans l’espace caribéen. Notre attention a été portée sur les

processus de territorialisation induits par le déploiement d’une destination à travers l’étude de cas de la création d’une enclave de croisière à Harvest Caye dans le Sud Belize. Pour ce faire, nous avons développé un cadre conceptuel qui s’appuie d’abord sur la notion de production d’un espace de tourisme de croisière où sont pris en compte les mécanismes néolibéraux de production de l’espace ayant conduit à la mise en place de l’enclave. Ensuite, il porte sur les processus de territorialisation qui ont transformé le Sud Belize en

conséquence au déploiement territorial de ce tourisme dans l’espace de vie des communautés réceptrices. Nos résultats, basés sur de l’analyse de contenu, de l’observation participante et de 42 entretiens semi-directifs, montrent que les relations de pouvoir d’abord favorables à l’industrie du tourisme de croisière peuvent être contrées et permettre aux différents acteurs de l’espace de vie de prendre en charge les processus de territorialisation dans un contexte d’imposition d’un espace de tourisme de croisière. Les processus de territorialisation apparus lors de la rencontre entre l’espace de tourisme de croisière et l’espace de vie témoignent des actions stratégiques simultanées entre les différents groupes d’acteurs. D’une part, celles liées à la tentative d’appropriation territoriale de la part de l’industrie, et ensuite celles associées aux différentes résistances des groupes d’acteurs locaux notamment ceux issus de l’industrie de l’écotourisme. Néanmoins, de part et d’autre, nous avons assisté, directement ou

indirectement, à des actions d’adaptations et de coopérations qui ont érodé la vision conflictuelle des dynamiques territoriales qui caractérisent souvent l’implantation du tourisme de croisière. Enfin, nous soulevons l’hypothèse qu’il existe une phase de territorialisation parallèle au tourisme de croisière, liée à des dynamiques d’appropriation territoriales par le foncier qui s’est exacerbée lors de la mise en place de l’île enclave. Mots-clés : tourisme, croisière, pouvoir, appropriation, territorialisation, résistance, développement, destination, Caraïbe, Belize.

(4)

Cruise tourism is distinct from land-based tourism because of its mobile, derogatory and extraterritorial nature. These factors allow the industry to dominate in the power struggle that plays out when the operating conditions for a new destination are being negotiated. The purpose of this research project is to highlight the socio-spatial dynamics inherent to the power relations between stakeholders in cruise tourism in the space of the Caribbean. We use the case study of the creation of a cruise enclave at Harvest Caye in South Belize to explore the territorialization processes that result when a new destination is established. To do this, we have developed a conceptual framework that is based, first of all, on the idea of the production of a cruise tourism space considering the neoliberal mechanisms of space production when a new enclave is established. The framework then focuses on the processes of territorialization that have transformed South Belize as a consequence of the territorial deployment of this kind of tourism in the lived space of the receiving communities. Our results are based on content analysis, participant observation and 42 semi-structured interviews, and show that the power relations that initially favor the cruise tourism industry can be countered, allowing lived space actors to take charge of territorialization processes in the context of the imposition of a cruise tourism space. The processes of territorialization that emerged when the cruise tourism space and the lived space met are evidence of strategic actions the different stakeholders have taken simultaneously—those related to the industry’s attempt at territorial appropriation and those associated with local stakeholders’ various resistance strategies, especially those evolving in the ecotourism industry. Nevertheless, we have witnessed, directly or indirectly, adaptation and cooperation on both sides that have eroded the conflictual vision of the territorial dynamics that often characterize the implementation of cruise tourism. Finally, we suggest that there is a phase of

territorialization that runs parallel to cruise tourism and that is linked to the dynamics of territorial appropriation brought about by the real estate industry that has been exacerbated as the enclave island was established.

Keywords: tourism, cruise, power, appropriation, territorialization, resistance, development, destination, Caribbean, Belize.

(5)

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ - ABSTRACT ii

TABLE DES MATIÈRES iv

LISTE DES TABLEAUX xi

LISTE DES FIGURES xii

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS xiv

REMERCIEMENTS xv

I

NTRODUCTION 1

- Pourquoi le tourisme de croisière 1

o Déploiement inégal 3

o Silence radio chez les chercheurs 5

- Un tournant critique nécessaire en tourisme de croisière 7 - Question de recherche, objectifs et problématique 10

- Contribution à la recherche 14

- Choix du site à l’étude - Un lieu représentatif et une opportunité unique 16

C

HAPITRE 1 22

- Caraïbe 23

o Fragments coloniaux et héritage commun de la Caraïbe 24

Caraïbe divisée 25

Caraïbe unie 25

- Belize 27

o Colonie anglaise - colonie comptoir 28

o Ancrage régional britannique 30

o Création d’un état moderne 33

o D’une dépendance à l’autre 34

o Migration et mosaïque ethnoculturelle 40

(6)

Créoles 43

Garifunas 43

Mestizos 44

Constellation bélizienne 44

o Singulière construction géopolitique 46

- Tourisme 47 - Tourisme caribéen 50 o Image stéréotypée 51 o Essor régional 52 o Défis de la croissance 54 - Tourisme de croisière 57 o Croissance soutenue 57 - Tourisme au Belize 60 o Prototourisme bélizien 61

o Développement latent et explosion 63

- Tourisme de croisière au Belize 66

CONCLUSION 69

C

HAPITRE 2 72

DÉVELOPPEMENT ET TOURISME 74

- L’autodétermination dans le développement 75

- Du modernisme au néolibéralisme et la réponse alternative 77

- Et le tourisme ? 82

- Et le Belize 86

PRODUCTION DE L’ESPACE 88

- Développement inégal et production de l’espace 88

- Production de l’espace – Nature « vierge » 90

- Tourisme comme producteur d’espace 92

(7)

o Mécanismes économiques 94

§ Marchandisation néolibérale de la nature 94

o Mécanismes politiques 96

§ Contradictions au cœur du fonctionnement du néolibéralisme 96

§ Construction du consentement 98

o Mécanismes culturels 99

POUVOIR 103

- Les trois dimensions du pouvoir 105

TERRIRORIALITÉ 109

- Lieu, espace et territoire – ingrédients de la territorialité 109

- Territorialité 111

- Les espaces de la géographie sociale 113

- La dynamique spatio-temporelle des espaces sociaux 114

- L’interface des dynamiques relationnelles : des lieux en action 120

CONCLUSION 122

C

HAPITRE 3 125

CADRE ANALYTIQUE 125

- Espace du tourisme de croisière 125

o Espace fermé – enclave 126

Extraterritorialité - Antimonde et zone de dérogation 127

Enclave : fonctions et objets 130

Espaces fermés dédiés au tourisme 132

o Espace ouvert – milieu de vie 135

Espaces ouverts et tourisme 136

- Espace du tourisme de croisière et mobilité 138

(8)

o Genèse du modèle 141

o Typologie des espaces du tourisme 144

E – Enclave 146

O1 – Errance formatée 150

O2 – Errance libre ou assistée 152

O3t – Incursion périphérique terrestre 153

O3ma – Incursion périphérique marine 155

Et – Incursion terrestre enclavée et Ot – Incursion terrestre formatée 156

Ema – Incursion marine enclavée et Oma – Incursion marine formaté 157

Etran – Transit enclavé et Otran – Transit formaté 158

O4R -T4 – Antourisme 159

CADRE MÉTHODOLOGIQUE 161

- Étude de cas 156

o Méthode de collecte des données 162

Observation non participante 163

Observation participante 164

Analyse spontanée des données d’observations 166

Collectes de contenu 167

Entretiens semi-dirigés 168

o Méthode d’analyse des données 171

Analyse de contenu 171

Unité de sens et codage 173

CONCLUSION 175

C

HAPITRE 4 176

ESPACES DE VIE DU BELIZE SUD 176

- Contexte 177

o Péninsule de Placencia 177

Maya Beach 179

(9)

Placencia 184

o Mango Creek – Independence 185

o Monkey River 187

o Deep South 190

- Transition touristique de la région de Placencia 193

o Mer nourricière… 194

o Mer destructrice 196

ESPACES DU TOURISME DE CROISIÈRE DU BELIZE SUD 201

- Géants de la mer et tourisme de masse 205

o Première tentative – Punta Placencia de Royal Caribbean 206 o Deuxième tentative – Harvest Caye de Norwegian Cruise Line 210 - Tourisme de croisière - Mécanismes de production des espaces 213

o Marchandisation de la nature 215

o Construire le consentement 219

Difficile consensus du tourisme de croisière au Belize 220

Imposer le consentement malgré les vents contraires 225

Miner la confiance du Sud 228

o Marchandisation culturelle et authenticité 232

Faire appel aux ancêtres : le dügü 233

Authenticité à tout prix 236

CONCLUSION 242

C

HAPITRE 5 247

DYNAMIQUES RÉGIONALES DE L’ESPACE DU TOURISME

DE CROISIÈRE 248

- Première transition territoriale (T0 ®1) – Préparer le verrou 249

o Zones et arènes au temps de la première phase de transition 250

Enclaves de Harvest Caye et de Malacate (E) 251

(10)

Incursions marines (Ema - Oma) 256

Antourisme relationnel de Placencia et de Monkey River (O4R) 257

o Analyse des dynamiques territoriales de la première phase de transition 258

Enclaves de Harvest Caye et Malacate 259

Incursion terrestre du Deep South 263

Incursion marine 268

Antourisme relationnel de Monkey River et Placencia 270

• Monkey River 271

• Placencia 280

- Deuxième transition territoriale (T1 ®2) – Briser le verrou 285

o Zones et arènes au temps de la deuxième transition territoriale 286

Zones verrouillées (E) 288

Zones ouvertes (O2 – O3t – O3ma –Ot – Oma) 289 o Analyse des dynamiques territoriales de la deuxième phase de transition 291

Déverrouillage territorial 293

• Rattrapage de la péninsule 293

• Pression de l’intérieur 297

DYNAMIQUES LOCALES DE L’ESPACE DU TOURISME DE CROISIÈRE 304

- Zones verrouillées 305

o Harvest Caye et Malacate 305

o Le Deep South 311

Nim Li Punit 312

Big Falls 316

Mango Creek 320

- Paradoxe de Placencia 324

o Gestion des acteurs du Sud Belize 326

o Indésirable du nord 328

(11)

C

HAPITRE 6 335

ET À LA FIN CE SONT LES CROISIÈRES QUI GAGNENT? 335

- Fait accompli du tourisme de masse 336

- Emprise du sentier du tourisme durable 340

o Écotourisme – rempart contre le tourisme de masse? 343 o Garder le tourisme de croisière dans le sentier de l’écotourisme 346

- Dynamique de confinement 347

o Sus à la mobilité des opérations de la compagnie de croisière 348

o Harvest Caye – espace de confinement 351

o Péninsule de Placencia – Espace de croisière de niche 353

o Deep South – Espace d’incursions restreintes 357

- Exercice du pouvoir 359

o Contexte pacifique 360

o Usage subtil du pouvoir 365

o Moins qu’une victoire…moins qu’une défaite 375

- L’Éléphant dans la pièce 377

o La nouvelle transition économique du Sud Belize – l’ouragan immobilier 379

C

ONCLUSION 388

- Une transition contrôlée, mais non sans risque 391

- Phases de transitions futures – pistes de recherche et contributions 396 o Contributions spécifiques et pistes de recherches 397

B

IBLIOGRAPHIE 402

(12)

LISTE DES TABLEAUX

Tableau I. Tourisme de croisière et tourisme international 4 Tableau II. Arrivées internationales pour certaines destinations caribéennes et taux

de croissance annuelle post crise financière de 2010 à 2016. 55 Tableau III. Croissance annuelle des arrivées de croisiéristes pour différentes périodes

entre 1995 et 2016. 58

Tableau IV. Arrivées internationales pour le Belize pour certaines années disponibles

entre 1961 et 2018. 61

Tableau V. Arrivé de croisiéristes des sept plus importantes destinations dans la

Caraïbe en 2016 67

Tableau VI. Typologie comparée des zones de l’espace du tourisme de croisière 145

Tableau VII. Phases de collecte des données 162

Tableau VIII. Liste des entrevues effectuées 170

(13)

LISTE DES FIGURES

Figure 1. Localisation du site à l’étude 16

Figure 2. Harvest Caye au Belize 18

Figure 3. Territoire du Belize revendiqué par le Guatemala 35

Figure 4. Migrations historiques au Belize 41

Figure 5 : Arrivés des croisiéristes au Belize 1975-2017 68

Figure 6. Cadre conceptuel 123

Figure 7. Modèles de l’espace du tourisme de Jaakson – Weaver et Lawton 142 Figure 8. Modèle de l’espace du tourisme de croisière 143

Figure 9. Enclave stationnaire à Cozumel – Mexique 147

Figure 10. Enclave portuaire - Barrio La Loma de Roatan – Honduras 148 Figure 11. Île-enclave en milieu vide – Half Moon Beach – Bahamas 149 Figure 12. Croisiéristes dans la zone d’errance formatée à Belize City 151 Figure 13. Croisiéristes dans la zone d’errance à Belize City 142 Figure 14. Embarcation pour incursion marine à Cozumel 155 Figure 15. Croisiéristes au site archéologique ouvert de Xunantunich – Belize 157 Figure 16. La péninsule de Placencia et Monkey River 178

Figure 17. Les communautés Garifunas au Belize 183

Figure 18. Le Deep South 191

Figure 19. Affiche de protestation contre le tourisme de croisière à Placencia 207 Figure 20. Discours « vert » de Norwegian Cruise Line 217 Figure 21. Zone de l’espace de tourisme après la première phase territoriale

(T1) - Ouverture de Harvest Caye 250

Figure 22. Harvest Caye en 2010 252

Figure 23. Zones de l’espace de tourisme après la deuxième phase territoriale

(T2) – Ouverture du Ferry Harvest Caye – Placencia 287

Figure 24. Vedette de Norwegian Cruise Line assurant la sécurité de l’île 307

Figure 25. Indian Creek et Nim Li Punit 315

Figure 26. Zone de Nim Li Punit 316

Figure 27. Big Falls 318

(14)

Figure 29. Marché de Mango Creek et sécurité civile 324

Figure 30. Placencia 325

Figure 31. Pêche de subsistance dans la lagune de Placencia en face de Harvest Caye 336 Figure 32. Tourisme de croisière de niche à Placencia 355 Figure 33. Concours d’écriture écolier visant la promotion de Harvest Caye 372 Figure 34. Lot offert à proximité de Harvest Caye 379

Figure 35. Projet immobilier Rosewood Park 381

Figure 36. Affiche d’agence immobilière sur Harvest Caye 382 Figure 37. Croisiéristes sur le Sidewalk de Placencia 388 Figure 38. Croisiéristes quittant le quai du Hokey Pokey vers Mango Creek 390 Figure 39. Prédominance des fermes de crevettes autour de Placencia 399

(15)

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

BIHL Belize Islands Holdings Limited

BM Banque mondiale

BTIA Belize Tourism Industrie Association

CCL Carnival Cruise Lines

CTO Caribbean Tourist Organization

EIA Environmental Impact Assessment

FMI Fond Monétaire International FVST Fort Street Tourism Village

IDH Indice de développement humain ITC Industrie du tourisme de croisière MLA Maya Leader Alliance

MOU Memorandum of Understanding

NCL Norwegian Cruise Line

NIP National Independance Party

NP National Party

OEA Organisation des États Américains

OMD Objectifs du Millénaire pour le développement ONG Organisation Non Gouvernementale

PAS Programme d’ajustements structurels PIB Produit Intérieur Brut

PNUD Programme des Nations Unies pour le développement PUP People United Party

RCCL Royal Caribbean Cruise Lines

SATIIM Sarstoon Temash Institute for Indigenous Management

TAA Toledo Alcaldes Association

UDP United Democratic Party

UICN Union internationale pour la conservation de la nature WTTC World Travel and Tourism Council

(16)

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier ma directrice de thèse, Mme Patricia Martin qui a fait preuve d’une grande ouverture d’esprit en acceptant de superviser un artiste-géographe qui cherchait à transposer sa démarche intellectuelle dans un projet académique : je lui suis des plus reconnaissant pour m’avoir activement supporté tout au long de ses années d’études. Mes remerciements s’adressent également à mon codirecteur, M. Bruno Sarrasin, qui m’a permis de développer une vision critique du tourisme et qui m’a appuyé avec conviction et

constamment encouragé au fil de mon parcours académique. Vous avez été les architectes de mon succès et encore une fois, merci d’avoir cru en moi.

Évidemment, l’aboutissement de ce projet aurait été impossible sans le support de ma conjointe Éveline Boulva. Je lui dois d’avoir semé en moi la confiance nécessaire pour entreprendre et aller jusqu’au bout d’un projet aussi important. Elle a été à mes côtés à chacune des étapes de ce trajet, non seulement les plus exaltantes, mais aussi lors des moments plus difficiles. Un merci tout spécial à mon collègue cinéaste Martin Bureau, complice intellectuel et grand ami, avec qui j’ai développé, bien avant cette thèse, ma posture de géographe à travers notre démarche artistique commune. Une pensée également pour Caroline Desbiens qui a su m’éclairer dans mes réflexions lors de mes premiers pas dans le milieu académique.

Aussi, je voudrais souligner le support indispensable du Fonds de recherche sur la société et la culture (FQRSC) dont la contribution m’a permis de prolonger mes séjours sur le terrain et par le fait même contribué à la qualité de cette thèse. Je voudrais également souligner la collaboration des différents partenaires au Belize qui ont cru en la pertinence de mes recherches – le Belize Tourism Board (BTB), les différents Village Council du Sud Belize et l’ensemble des acteurs du tourisme avec j’ai eu à travailler. Il me semble très important de mentionner l’accueil reçu au sein des différentes communautés dans lesquelles j’ai séjourné. La générosité des locaux qui m’ont écouté et qui m’ont partagé leurs savoirs afin que je puisse mieux comprendre leur réalité contribuant ainsi à donner une réelle valeur à mon travail. Je pense particulièrement aux gens de Placencia et de Monkey River sans qui il m’aurait été impossible de mener à terme ce long travail.

(17)

La suite de mes remerciements va à celles et à ceux qui sauront se reconnaître dans leur encouragement, leur support et dans les conseils qui ont contribué à rendre mon projet pertinent sur le plan académique, mais surtout gratifiant sur le plan humain. Amis, famille et collègues et chacun d’entre vous qui ont croisé ma route durant les cinq dernières années, vous avez également participé à ma réussite.

(18)

Aux Pauvres (dixit Plume) À ceux du Vieux-Hull et d’Ailleurs

(19)

INTRODUCTION

Pourquoi le tourisme de croisière

La genèse de ce projet de recherche tire sa source d’une réflexion critique portant sur la question plus large des apports réels du tourisme comme activité porteuse d’émancipations pour les peuples qui s’y engagent. Cette question fondamentale est récurrente depuis plusieurs décennies au sein du monde académique, entre autres depuis la parution et la portée intellectuelle du livre « Tourism--passport to development? : Perspectives on the social and

cultural effects of tourism in developing countries » d’Emanuel Jehuda De Kadt publié en 1979, lequel

constitue une véritable remise en question du paradigme postulant les apports bénéfiques du tourisme pour quiconque s’impliquerait dans cette industrie. Loin d’être réglée, cette

question continue de faire l’objet de recherches importantes, s’étant orientée au début des années 2000 vers une épistémologie dite du « tournant critique » qui prit alors son essor dans les sciences sociales (Tribe, 2008). Apportant un souffle nouveau et constructif dans l’analyse des contributions effectives du tourisme comme outil de développement durable1, ce

« tournant critique » n’a toutefois pas atteint le segment plus spécifique de la recherche sur le tourisme de croisière.

Le tourisme de croisière est un phénomène fascinant dans le spectre élargi des

manifestations touristiques à travers le monde. Cette façon de voyager, de prendre le large, de quitter la terre ferme pour partir à la découverte de nouveaux horizons relève d’un imaginaire qui a fait rêver les humains depuis la nuit des temps. Des explorateurs partis à la conquête de terres inconnues, en passant par les aventuriers solitaires voguant en bateaux à voile autour du monde, jusqu’aux récits des premiers fastes et luxueux navires traversant les océans, nous avons été abreuvés d’une narration de la mer, d’un horizon perpétuel et de ses vastes espaces. Ce discours, aux accents coloniaux de conquête, de découvertes et

d’aventures, est aujourd’hui fortement relayé par l’industrie du tourisme de croisière qui a

1Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures

à répondre aux leurs. Le développement durable s’appuie sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de

(20)

construit sa propre narration autour de ces thèmes, question de titiller la fibre du marin en nous ; il va sans dire que cette stratégie fonctionne fort bien.

L’industrie du tourisme de croisière (ITC) est particulièrement intéressante en raison des contradictions qu’elle soulève et qui en font à la fois une activité marginale, simultanément porteuse de rêve et de désillusion selon la positionnalité de celui qui observe, qui vit ou qui subit le phénomène. Du point de vue du touriste, l’expérience à bord de ces grands navires recèle essentiellement des avantages, enfin, pour peu que l’on ne soit pas sensible au mal de mer. Par contre, du point de vue de l’hôte terrestre des navires, le bénéfice n’est pas certain, étant modulé par une panoplie de facteurs qui en nuancent à divers degrés l’appréciation, voire la rentabilité. Quoi qu’il en soit, le tourisme de croisière fascine les gens. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre dans un port à l’occasion d’un jour d’escale, ce que nous avons fait à maintes reprises, pour rapidement constater que la vue des navires de croisière ne laisse personne indifférent : ils provoquent chez les hôtes une gamme de réactions variant de l’admiration à la convulsion. Néanmoins, ce qui nous intéresse ici ne relève pas de cette fascination, dont on observe une présence récurrente dans la culture populaire, autant au cinéma, à la télévision que dans les médias écrits. Notre intérêt initial réside plutôt dans une série de contradictions qui se manifestent principalement à travers les inégalités produites par déploiement du tourisme de croisière dans l’espace, de même que par le peu d’intérêt que ces mêmes inégalités semblent susciter chez les chercheurs, y compris chez les géographes.

La thèse proposée s’inscrit dans une approche spatiale où les stratégies socio-territoriales, le déploiement dans l’espace et les jeux d’échelle des relations entre les différents groupes d’acteurs impliqués seront pris en compte pour mettre en évidence les processus de

territorialisations de la mise en place d’une activité touristique à l’échelle des communautés. De ce fait, tout en faisant appel à une approche multidisciplinaire qui sollicite des notions propres à plusieurs champs d’études liées aux sciences humaines (sociologie, développement, sciences politiques, études culturelles), cette thèse s’inscrit résolument dans le domaine de la géographie du tourisme.

Le tourisme, parce qu’il s’inscrit dans l’espace et dans la mobilité, qu’il transforme de façon unique l’environnement dans lequel il se déploie, qu’il implique des flux humains, matériels,

(21)

financiers et idéologiques, et enfin parce qu’il participe à construire socialement notre vision ainsi que notre relation au monde, est un phénomène géographique (Che, 2017). En ce sens, le tourisme a fait l’objet d’une longue tradition en recherche géographique notamment du côté français, laquelle s’est cristallisée à partir des années 80 avec la publication de travaux importants (Lozato-Giotard, 1987, 2003 ; Cazes, 1992, Knafou et al., 1997) et dans les années 2000, principalement avec les travaux du MIT (2002, 2005, 2011). Quant au milieu de la recherche anglophone, bien que les premières thèses remontent aux années 50 (Weiler et al. 2012), c’est à partir des années 2000 que le « Tourism Geography » a connu un renouveau disciplinaire qui nous apparaît d’intérêt dans le cadre de notre recherche. C’est à ce moment que la géographie du tourisme a pris le tournant épistémologique poststructurel en

embrassant le « Cultural Turn » qui a influencé la recherche en sciences sociales (Ateljevic et al., 2017 ; Hall, 2013). L’implication de ce tournant dans le cadre de cette recherche sera abordée un peu plus loin.

Cette thèse, tout en participant aux approches épistémologiques structurelles et poststructurelles en géographie du tourisme – compréhension des phénomènes économiques, politiques, socioculturels spatialisés – adhère aussi à de nouvelles

préoccupations liées aux pratiques touristiques. Mentionnons notamment les pratiques qui considèrent les questions de résilience des destinations ou des communautés hôtes (Lew, 2015), soumises au processus globalisant du capitalisme contemporain (Hollinshead et al., 2009 ; Fletcher, 2011). Bien que nous abordions des processus plus globaux qui permettent de bien comprendre la mise en place d’espaces de tourisme de croisière, nous proposons une lecture du tourisme de croisière orientée vers ses implications territoriales à l’échelle des communautés. L’intérêt de cette thèse réside donc dans le fait que seront mises en évidence des dynamiques socio-territoriales à l’échelle des espaces de vie propres au tourisme de croisière, une approche qui se démarque des analyses déjà connues portant sur le tourisme ayant des assises terrestres, notamment le tourisme balnéaire.

Déploiement inégal

Selon l’Organisation mondiale du tourisme, l’activité touristique a connu une croissance continue au cours des dernières décennies : au chapitre du nombre d’arrivées de

(22)

touristes internationaux, la croissance prévue sera de 7% de 2017 à 2018 (UNWTO, 2018) bien au-delà de la croissance moyenne estimée en 2015 à 3,3% annuellement jusqu’en 2030 (UNWTO, 2015). L’ITC, quant à elle, montre une forte croissance annuelle de passagers d’environ 6,63% depuis 1990 qui devrait se maintenir jusqu’en 2020 (CMW, 2019). Malgré le poids relativement marginal du tourisme de croisière par rapport à l’ensemble du tourisme international, la situation camoufle l’importance réelle de cette industrie dans certaines régions, notamment la Caraïbe. Dans cette région où le tourisme de séjour est un secteur important de l’économie, l’industrie des croisières est extrêmement stratégique, voire vitale. À titre d’exemple, parmi les vingt-quatre marchés caribéens du tourisme recensés par la Caribbean Tourist Organization (CTO), seize reçoivent davantage de touristes de croisière que de touristes voyageant par avion (CTO, 2015). Le Belize fait partie de ce groupe, ayant reçu en 2018 un total de 1 208 187 arrivées de passagers de croisières (+19,9% par rapport à 2017) contre 489 261 arrivées via des entrées terrestres de touristes (+14,6% par rapport à 2017) (BTB, 2019). Le tableau I permet de constater l’importance relative du tourisme de croisière comparativement au tourisme international pour l’année 2017.

Tableau I. Tourisme de croisière et tourisme international

Tourisme de croisièrea Tourisme internationalb

Croissance/an. 6,4%c 7%d

Arrivées internationales 118 millionsc 1,401 milliardd Retombées internationales 134 milliardsc 1451 milliardsd Arrivées – Caraïbe 23,9 millionse 30,6 millionse Arrivées – Belize 1 005 934f 489 261f

a Nombre depassagers qui débarquent dans un port donné pour une escale (non comptabilisé dans les arrivées internationales). b Nombre de touristes qui se déplacent dans un autre pays que leur lieu de résidence dans le but d’exercer une activité non rémunérée, et ce pour une période de moins de 12 mois. c (CLIA, 2019) – d (UNWTO, 2019) – e (CTO, 2018) – f (BTB, 2019)

De prime abord, lorsque l’on observe ces chiffres, on se rend rapidement compte que, dans l’absolu, le tourisme de croisière demeure une activité mineure. En effet, en 2018, l’arrivée de touristes internationaux dans le monde était de 1,4 milliard (UNWTO, 2019), ce qui

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uniques2. À une échelle moindre, les 118 millions d’arrivées de croisiéristes sont effectués par 24,7 millions de passagers. Ici, ce qui est problématique ne relève pas tant du nombre de touristes concernés, mais bien plus de la forme économique que prend l’industrie et de l’impact territorial induit par ces dizaines de millions de personnes en raison de leur concentration spatiale et temporelle.

À un opposé du spectre de fréquentation, on retrouve des destinations comme la voie maritime du Saint-Laurent au Québec qui, malgré une surreprésentation médiatique, ne reçoit environ que 200 000 arrivées annuelles de touristes de croisières, en comparaison aux millions de touristes de séjours. En d’autres mots, il s’agit pour ce territoire d’une goutte d’eau dans le fleuve du tourisme, dont découlent de ce fait des impacts territoriaux minimes. Par contre, à l’autre opposé, un port d’escale comme celui de Belize City reçoit plus d’un million de croisiéristes annuellement alors qu’on ne recense environ que 300 000 touristes de séjours qui mettent pied par voie terrestre ou aérienne dans ce minuscule pays de 350 000 habitants. Ce sont ces inégalités et leurs impacts consécutifs qui ont orienté notre attention sur ce pays marqué par une forte concentration de touristes de croisière. Cela dit, il importe de considérer que le tourisme dans son ensemble est un phénomène en pleine expansion. En portant une attention particulière au segment du tourisme de croisière, dont la croissance, elle, explose carrément, nous pensons qu’il y a lieu de s’intéresser à des territoires qui font l’objet d’une densité d’activités liées au débarquement du tourisme de croisière.

Silence radio chez les chercheurs

Le tourisme de croisière se démarque du tourisme ayant des assises terrestres par sa nature : mobile, dérogatoire et extraterritoriale (Wood, 2000 ; Klein, 2006 ; Timothy, 2006).

Considérant ces particularismes, cette activité touristique trouve dans l’économie néolibérale un contexte particulièrement favorable à son développement ce qui conforte le déploiement de ses activités. Globalement, ce secteur est en mesure de profiter pleinement de l’ensemble des mécanismes économiques et politiques permettant d’accumuler le capital. Par exemple,

2 Estimation de Gilles Caire, maître de conférences HDR en Sciences économiques à l’Université de Poitiers, spécialiste en

économie de la protection sociale et en économie du tourisme, dans une entrevue à France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/du-grain-a-moudre-mardi-23-janvier-2018

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l’industrie du tourisme de croisière jouit d’une position oligopolistique (Dehoorne et Petit-Charles, 2011) alors que 80 % du marché se concentre entre les mains de trois entreprises :

Royal Caribbean Cruise Lines (RCCL), Carnival Cruise Lines (CCL) and Norwegian Cruise Line

(NCL) (Pinnock, 2014). Ces conditions sont particulièrement propices à nourrir les inégalités centres/périphéries, qui font régulièrement l’objet d’analyses critiques, avec des effets sur la territorialité et les relations sociales (Pinnock, 2012). Malgré ce constat, la littérature critique portant sur le tourisme de croisière est ténue et peu documentée en comparaison avec les nombreuses publications produites chaque année par les facultés de tourisme, de marketing ou d’ingénierie.

En fait, en reprenant la méthodologie de Tribe (2008), qui a analysé la progression de la recherche critique en tourisme à travers la banque de données CABI Leisure Tourism, nous ne retrouvons que 65 publications sous la rubrique « croisière » et « géographie » entre 1974 et 2018. De ces publications, 19 ont été publiées au cours des trois dernières années, ce qui démontre un nouvel intérêt pour des analyses géographiques du tourisme de croisière. Or, très récemment, seule l’une de ces récentes études, portant sur les impacts socioculturels du tourisme de croisière dans le Sultanat d’Oman (Gutberlet, 2016), oriente son analyse autrement que vers les besoins spécifiques de l’industrie et soulève des réserves quant à son déploiement. Dans l’ensemble, on relève somme toute peu de travaux de géographes qui traitent du tourisme de croisière hors des intérêts premiers de l’industrie, et qui visent à soulever des questions quant à la nature problématique et inégalitaire de ses activités.

Parmi les rares travaux critiques, soulignons l’article de Sheller (2009) sur le thème de la mondialisation, plus spécifiquement en lien avec la notion d’espace. Elle s’intéresse au phénomène de la création d’une nouvelle spatialité, déterminée par le néolibéralisme

économique dans les Caraïbes, en contestant la légitimité de l’industrie des croisières suivant l’hypothèse de leur participation à la transformation de l’espace régional. En effet, dans cette région, l’industrie est fortement déterritorialisée par le fait que les principales compagnies sont incorporées dans des pays extérieurs à la zone caraïbe. Grâce à leurs pavillons de complaisance, les navires peuvent se soustraire aux règlements et aux lois des pays visités, notamment en matière de protection de l’environnement et des conditions de travail. En parallèle, une compétition s’est accentuée entre les destinations, et parfois même entre les

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ports d’un même pays, visant le développement de leurs infrastructures portuaires

respectives afin d’attirer les compagnies et, potentiellement, de stimuler l’économie locale. D’importantes sommes d’argent sont ainsi dépensées par des pays sans que le retour sur l’investissement soit à la hauteur des sommes consenties (Klein, 2017).

Toujours du côté des géographes, l’article de Scherrer et al. (2011) s’intéresse à l’impact des excursions proposées par les croisiéristes sur des sites d’importances culturelles pour des groupes d’autochtones en Australie. L’afflux mal géré des touristes qui débarquent sur ces sites cause des dommages environnementaux tout en heurtant la sensibilité culturelle des autochtones. Dans une perspective moins critique, Jaakson (2004) a mis à contribution sa capacité d’analyse spatiale pour proposer un modèle d’espace de tourisme décrivant le débarquement de touristes de croisière dans un port. Il caractérise, définit et détermine une nomenclature des zones situées en périphérie des ports d’escale afin de mieux saisir la mobilité des touristes.

Un tournant critique nécessaire en tourisme de croisière

Dans le contexte du tournant critique entrepris à la fin du siècle dernier, la recherche sur le tourisme de croisière a mis un certain temps à réagir, mais des appels à produire des travaux démontrant les faiblesses et les limites de l’industrie du tourisme de croisière ont été lancés (Vogel, 2011, Klein, 2012). Par « tournant critique », nous évoquons les questions se rapportant à une série de domaines à confronter : relation de pouvoir, émancipation,

idéologie, hégémonie, pouvoir discursif, domination culturelle (Kincheloe et McLaren 2011). Malgré les divergences épistémologiques suscitées par ce tournant à l’égard des approches structurelles liées aux forces déterministes de l’économie capitaliste (Ateljevic et al., 2007 ; Bianchi, 2009 ; Hall, 2013), ces approches dites culturelles contestent le paradigme

positiviste. Ce dernier tend d’ailleurs à occulter plusieurs problématiques incombant à l’activité touristique : inégalité, marginalisation, violence, accaparement territorial, exploitation, acculturation, etc. (Bramwell et Lane, 2014).

Pour répondre à la question de recherche que nous formulerons plus loin, nous adhérons aux postures de Germain (2012), Aldhuy (2008), Di Méo (1998) et Britton (1991) qui

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soutiennent que les paradigmes épistémologiques propres aux approches structurelles et poststructurelles se complètent et doivent être mobilisées dans l’explication des phénomènes sociaux. Donc, en combinant une vision critique qui tient compte de l’influence des forces structurantes à la base des aspects matériels et productifs du tourisme avec les concepts et les théories qui s’ouvrent à des explications socioculturelles basées sur le constructivisme et l’interprétativisme, il devient possible d’embrasser une approche critique proposant de meilleures explications des enjeux liés au tourisme. Nous exposerons plus en détail au chapitre suivant les éléments qui caractérisent notre approche critique.

S’il est difficile d’évoquer ici un réel « tournant » pour la recherche en tourisme de croisière, nous pouvons cependant déceler une intention de remettre en question cette activité, faisant voler en éclats le consensus d’une industrie sans reproche3. À titre d’exemple, soulignons l’apport de travaux liés aux questions de développement économique et territorial (Showalter, 1995 ; Wilkinson, 1999 ; Klein, 2006 ; Clancy, 2008 ; Macpherson, 2008 ; Dehoorne et al., 2008 ; Logossah, 2011 ; Muñoz et al., 2015, Saarinen, 2016), à la globalisation et l’extraterritorialité (Wood, 2000, 2004, 2006 ; Timothy, 2006 ; Sprague-Silgado, 2017), aux relations avec les ports et les communautés (Seassaro, 2001 ; London et Lohmann, 2014 ; Kerswill et Mair, 2015 ; Battle-Batiste, 2017) et enfin, à l’environnement (Johnson, 2002 ; Krenshaw, 2009 ; Klein, 2010, 2011 ; Caric, 2012).

Ainsi considérée, la recherche critique sur le tourisme semble avoir pris un envol certain depuis une dizaine d’années. Cependant, comme nous l’avons souligné plus tôt, le tourisme de croisière demeure encore trop absent des recherches critiques effectuées par des

chercheurs intéressés par l’ITC. Pourtant, l’industrie des croisières est en pleine expansion et occupe une place de plus en plus importante au sein du tourisme en général. Son

extraterritorialité lui confère une posture inédite dans le spectre des différentes formes de tourisme, ce qui ne diminue en rien la portée et l’importance de ses impacts territoriaux.

3 Plusieurs des monographies consacrées au tourisme de croisière (Papatheodorou, 2006 ; Papathanassis et al.,

2012 ; Vogel et al., 2012, Papathanassis, 2016) ainsi que la très forte majorité des publications académiques relaient les intérêts de l’industrie. Il faut cependant signaler que la deuxième édition de Cruise Tourism (Dowling et Weeden, 2017) a su ouvrir ses pages à des auteurs plus critiques et cela fait foi d’une forme de transition dans les approches académiques sur le secteur.

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En effet, ce type de tourisme favorise la création d’espaces relationnels autour des ports, dans l’arrière-pays, mais également dans l’ensemble de l’espace régional et national des territoires hôtes où apparaissent des jeux de pouvoir inédits, des collisions entre des classes sociales, des questionnements sur les principes d’ethnicité ou de genre. Les croisières ne sont pas une simple forme de déplacement ou un produit touristique banal : elles impliquent des interrelations et des répercussions spatio-temporelles qui commandent un regard critique. Ceci dit, il reste à déterminer dans quel contexte ou dans quelle approche une recherche critique peut se développer, d’autant plus que les zones de déploiement de cette industrie évoluent rapidement : alors qu’elle était initialement limitée à la zone caraïbe, elle est de plus en plus présente ailleurs dans le monde. L’extension de ses activités implique constamment de nouvelles zones géographiques, toujours plus exotiques, intrigantes et invitantes pour les touristes (zones polaires, Asie, Océanie, Québec).

Il est évident que la question environnementale demeure primordiale et centrale dans l’étude du tourisme de croisière ; c’est d’ailleurs une des préoccupations qui apparaît le plus souvent dans la littérature sur le sujet. La pollution marine par les rejets d’eaux usées, les déchets résiduels laissés sur place, la fragilisation de milieux naturels par la présence en trop grand nombre de croisiéristes, la dégradation des environnements côtiers en raison du

développement d’infrastructures portuaires, font effectivement partie de problématiques majeures directement liées à cette industrie (Johnson, 2002). Aussi, il existe des

problématiques sociospatiales - exclusion territoriale, marginalisation socio-économique, inégalité dans les relations de pouvoir – que le tourisme de croisière exacerbe tout autant vu la nature du déploiement de ses activités : étonnamment, ces problématiques sont quasi absentes de la littérature en tourisme et davantage en géographie.

Ainsi, le développement effréné de l’industrie des croisières se déroule sans remise en question malgré les impacts apparents que cette industrie provoque considérant la

production d’espaces inédits dédiés au tourisme et qui viennent affecter la relation que les communautés entretiennent traditionnellement avec leur territoire. Par la géographie sociale, avec les outils théoriques et conceptuels qu’elle mobilise, nous voulons porter un regard autre sur cette activité afin d’interroger le bilan triomphaliste des acteurs de l’industrie et des acteurs locaux sur lesquels ils s’appuient pour se déployer plus aisément. Si les pays

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économiquement développés doivent eux aussi faire face aux défis que posent le

développement rapide et la présence accrue du tourisme de croisière (Dupré, 2009), il reste que les pays en voie de développement ne bénéficient pas des mêmes outils contextuels pour gérer l’implantation et la gestion des ports de croisière de même que le débarquement

continuel des bateaux de croisières (Renaud, 2017). Ce sont ces pays qui sont les plus vulnérables aux stratégies économiques des multinationales de l’ITC et c’est pourquoi nous avons choisi de porter notre attention sur un pays économiquement marginalisé : le Belize.

Ce débarquement est de deux natures. Il s’agit, d’une part, d’arrivées massives de milliers de touristes, concentrés dans l’espace et dans le temps, qui viennent se saisir d’un territoire à des fins récréotouristiques. D’autre part, il s’agit de la pénétration, via la mise en place d’un port d’escale, de l’idéologie néolibéraliste au sein d’un espace social « inaltéré », ce qui s’insère dans un mouvement plus global d’expansion territoriale du capitalisme (Harvey, 2010). Ce cheval de Troie qu’est le navire de croisière (Macpherson, 2008) contient en son sein les éléments capitalistes de transformation de l’espace et il s’agit, pour les communautés hôtes, de trouver en contrepartie les stratégies et les approches les mieux adaptées pour faire face aux défis socio-territoriaux soulevés par le tourisme de croisière.

Question de recherche, objectifs et problématique

Le but de ce projet de recherche est de mettre en évidence les dynamiques sociospatiales liées aux relations de pouvoir entre les groupes d’acteurs de l’industrie du tourisme de croisières dans l’espace caribéen en portant notre attention sur les processus de

territorialisation impliqués par le déploiement d’une destination. Chaque nouvelle destination de croisière se développe en effet dans un contexte spécifique, où se rencontrent différents processus de territorialisation dont la redéfinition est au cœur des questions d’exclusions territoriales. Cela suppose nécessairement des incidences économiques et socioculturelles pour les populations hôtes. À ce sujet, il faut comprendre et considérer le fait que l’ITC est caractérisée par une mobilité et une extraterritorialité qui la distingue du tourisme à assises exclusivement terrestres (Wood, 2000 ; Timothy, 2006). Associées à un paradigme

économique néolibéral, mais aussi à un contexte sociopolitique colonial spécifique à la région, ces caractéristiques confèrent à l’ITC un rapport de force économique et politique

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particulièrement avantageux, lui permettant de négocier plus facilement les conditions d’utilisation des territoires lors de l’instauration de ses activités ; ce, au détriment des communautés réceptrices (Patterson et Rodriguez, 2004 ; Logossah, 2007 ; Vogel, 2011 ; Pinnock, 2012). En effet, la mobilité et l’extraterritorialité de l’ITC font en sorte qu’elle peut facilement briser les liens géographiques qui la rattachent aux destinations avec lesquelles elle entre en relation. De ce fait, si les conditions de déploiement de ses activités ne répondent pas à ses attentes commerciales, elle conserve la possibilité de déplacer ses activités vers d’autres territoires (Lester et Weeden, 2004).

En considérant cette problématique où les rapports de force s’avèrent inégaux entre l’industrie du tourisme de croisière et les communautés réceptrices à travers la notion centrale de territorialité, nous posons la question de recherche suivante :

Comment les relations de pouvoir entre les groupes d’acteurs et la distribution spatiale du pouvoir affectent les processus de territorialisation des espaces de vie des communautés locales lors du déploiement de l’industrie du tourisme de croisière ?

En prenant comme point d’ancrage cette question, nous chercherons dans un premier temps à déterminer comment les groupes d’acteurs « renégocient » leur territorialité dès lors qu’une nouvelle activité touristique se déploie sur leur territoire. Ce questionnement interviendra en considérant d’emblée les territorialités formelles et fonctionnelles qui entrent alors en relation dans une dynamique structurelle répondant aux objectifs et aux orientations de groupes spécifiques d’acteurs. Dans un second temps, il s’agira de déterminer quels groupes d’acteurs et par quelle stratégie ceux-ci sont davantage en mesure d’imposer leur territorialité pour obtenir les bénéfices qui se rattachent aux relations et au contrôle territorial, de même qu’aux territorialités qui en émergent.

Le projet s’appuie sur un concept issu de la géographie sociale, où les relations territoriales sont établies entre une territorialité formelle – politiquement créée et imposée – et une territorialité fonctionnelle – socioculturellement vécue (Di Méo et Buléon, 2005). Cela répond à l’objectif général, qui consiste à saisir la nature des relations territoriales, entre territoires formels et fonctionnels, et ce, à différentes échelles, au sein d’espaces autant

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régionaux que locaux. En effet, ces espaces sont le théâtre de zones de résistances stratégiques (Carlisle et Jones, 2012) entre le territoire vécu par les acteurs locaux et le territoire créé et imposé par l’ITC en collaboration avec l’État. Nous souhaitons ainsi

déterminer comment se réorganisent ou se transforment les différentes territorialités qui sont mises en relation afin de mieux saisir les dynamiques d’exclusion territoriale à la base des inégalités socio-économiques (Stonich, 1998 ; Saarinen, 2006).

Pour atteindre cet objectif, il faudra d’abord, en amont, développer une compréhension historique des dynamiques géopolitiques, économiques, sociales et culturelles à l’échelle de la Caraïbe et tout particulièrement du Belize : le rôle de ces dynamiques est central dans

l’évolution, voire dans la transformation des territoires formels et fonctionnels (Di Méo, 2014). Ensuite, il s’agira de bien comprendre le développement de l’industrie touristique et plus spécifiquement celui de l’industrie du tourisme de croisière dans la Caraïbe et au Belize. Cette connaissance du tourisme permettra de mieux expliquer la mise en place des rapports de force entre les acteurs, ce qui consiste en un facteur central dans la compréhension des rapports territoriaux (Pinnock, 2012).

Puis, de façon plus précise, le projet se décline en trois sous-objectifs spécifiques en lien avec le but et la question de recherche :

1. Définir les différentes zones de l’espace concerné par le déploiement de l’ITC afin de développer un cadre analytique des mécanismes de production d’une espace de tourisme de croisière et des processus de territorialisation de l’espace régionale et locale. Il s’agit de :

§ Proposer un modèle d’espace du tourisme de croisière qui permet de situer et de caractériser l’influence spatiale de l’ITC afin de déterminer les zones de relations entre les groupes d’acteurs et la distribution spatiale du pouvoir pour situer les lieux d’enchevêtrement des relations de pouvoir à la base de la production de l’espace du tourisme de croisière et des processus de

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2. Mettre en évidence les mécanismes de production de l’espace de tourisme de croisières et les dynamiques de territorialisation liées aux stratégies déployées par les différents groupes d’acteurs à l’échelle régionale et locale. Il s’agit de :

§ Proposer une lecture des mécanismes politiques, économiques et

socioculturels qui interviennent dans la production d’un espace de tourisme de croisière.

§ Expliquer les stratégies territoriales des différents groupes d’acteurs dans les processus de territorialisations amenés par la rencontre de l’espace du tourisme de croisière et de l’espace de vie des communautés réceptrices.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, la problématique de recherche postule que les caractéristiques spécifiques au déploiement de l’industrie du tourisme de croisière induisent un rapport de force en sa faveur. Nous considérons tout particulièrement l’intermédiaire efficient de son extraterritorialité et de sa mobilité géographique, à la fois dans une

conjoncture économique néolibérale et un contexte sociopolitique colonial. Ces particularités liées au développement de l’ITC s’avèrent idéales pour assoir des stratégies d’accaparement territorial et entrainer l’exclusion des acteurs les plus vulnérables des différentes sphères d’influence socio-territoriales. Par vulnérabilité, nous entendons le fait que certains acteurs ont des pouvoirs de négociation fortement amoindris, ou qu’ils ne sont pas en mesure de développer des relations de pouvoir qui les avantages, car ils se situent hors des circuits économiques et politiques (Church et Cole, 2007) en se trouvant plutôt dans des situations socioculturelles marginalisées. Ces acteurs vulnérables sont les plus susceptibles de subir une forme ou une autre d’exclusion territoriale.

Au final, cette exclusion ne se limite pas qu’à des impacts économiques, mais elle a

également des effets négatifs sur les rapports socioculturels qu’entretiennent l’ensemble des populations hôtes à l’égard de leur territoire et de leur environnement. En somme,

l’exclusion des franges les plus marginalisées de la population, par le déploiement de

l’industrie du tourisme de croisière et la transformation des dynamiques territoriales, affecte une capacité globale de territorialisation de la part des différents acteurs touchés. Elle limitera la capacité de territorialisation qui se fait par la prise en charge de leur territoire

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formel et fonctionnel, celle-ci étant à la base des questions d’équité et de justice sociale, ou plus précisément, de justice sociospatiale (Di Méo, 2014).

Comme nous le verrons, le déploiement territorial de l’ITC ne se fait pas sans impacts sur la production et la reproduction des espaces de vie du territoire national bélizien. Le discours en faveur du développement de cette activité – impliquant un passage obligé via le tourisme, d’une économie régionale vers une intégration à une économie de marché mondialisé – semble occulter la force et l’ampleur de ses impacts socio-territoriaux, et cela, malgré le fait qu’elle ne fournit somme toute que des retombées économiques relativement marginales. Nous aborderons cette problématique en tenant compte du contexte spécifique dans lequel le tourisme s’inscrit à l’échelle régionale, tout en considérant que le tourisme de croisière est une industrie qui participe à la transformation des économies nationales et à la production d’espaces sans toutefois avoir démontré à ce jour une amélioration du niveau des bénéfices positifs et structurants dans l’espace caribéen. Ceci est au cœur de notre problématique dans la mesure où, face au fait accompli de la présence du tourisme de croisière dans le sud du Belize, il faut maintenant chercher comment juguler et s’adapter à une situation présentant un fort potentiel de création d’injustices et de fragilisation des acquis pour les populations locales.

Contribution à la recherche

La contribution à la recherche se décline en deux orientations. La première concerne les connaissances qui seront développées sur la Caraïbe, et qui contribueront à une meilleure compréhension des impacts économiques et socioculturels relatifs à la mise en place d’un port d’escale dans cet espace régional. La seconde orientation concerne la notion de

« territoire », que nous voulons mobiliser d’une façon originale afin de renouveler la capacité à répondre aux problématiques actuelles de territorialité, de stratégies d'appropriation

territoriale et de construction des inégalités socio-économiques par des processus d’exclusion à l’échelle des communautés dans le cadre du tourisme.

Comme nous l’avons évoqué plus haut, la géographie s’est peu intéressée au tourisme de croisière et à la nature particulière de cette activité ; de ce fait, l’industrie du tourisme de

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croisière n’a que très peu été soumise aux différents cadres théoriques, conceptuels et méthodologiques de la géographie sociale. Lorsque des problématiques liées au tourisme de croisière ont été abordées par des géographes, tout comme par des chercheurs d’autres disciplines d’ailleurs, cela s’est avant tout fait par le biais d’une approche positiviste (Vogel, 2011). Les études spatiales portant un caractère plus critique sont donc peu nombreuses (Jaakson, 2004 ; Patterson et Rodriguez, 2004 ; Clancy, 2008 ; Dehoorne et al., 2009 ; Sheller, 2009 ; Scherrer et al., 2011).

Conséquemment, cette recherche permettra de pallier le manque de connaissances au sujet des liens qui existent entre les stratégies territoriales, la construction des inégalités socio-économiques causée par l’appropriation de territoires et la spécificité de l’industrie du tourisme de croisière (Tribe, 2008 ; Vogel, 2011). Nous croyons qu’une meilleure

compréhension de ces processus stratégiques d’implantation et de déploiement de pouvoir s’avère primordiale pour donner aux acteurs locaux des outils leur permettant de mieux se prémunir contre les stratégies d’appropriation territoriale développées par l’industrie du tourisme de croisière et qui constituent le point de départ de mécanismes d’exclusion socio-économique.

Le cadre analytique qui sera proposé et qui repose sur une nouvelle proposition des concepts territoriaux liés à l’étude spatiale du tourisme a donc pour ambition d’être utile à la

compréhension de problématiques larges qui vont au-delà du tourisme de croisière. L’état actuel de certaines approches analytiques territoriales (enclave, bulle touristique, corridor touristique) manque en effet de flexibilité et nous pensons que la création d’un outil d’analyse à la fois précis et modulable est nécessaire pour favoriser la compréhension d’autres problématiques touristiques.

En somme, en plus de contribuer à une meilleure connaissance spécifique du tourisme de croisière caribéen, plusieurs éléments développés dans la thèse seront susceptibles de contribuer à une meilleure compréhension du tourisme de croisière ailleurs dans le monde, par exemple au Québec (Canada), où cette activité est en plein essor (Croisière Saint-Laurent, 2014). Mais encore, il va sans dire que le développement et le renouvellement des

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connaissances portant sur les dynamiques sociospatiales seront utiles pour étudier d’autres formes de tourisme concernées par le développement touristique.

Choix du site à l’étude - Un lieu représentatif et une opportunité unique

Le choix de se tourner vers la Caraïbe pour répondre aux problématiques liées à l’industrie du tourisme de croisière s’impose en raison de l’ampleur que prend cette industrie dans cette région. À partir de ce constat, plus de 70 ports d’escale auraient pu faire l’objet d’une

recherche, mais c’est vers un nouveau développement portuaire situé dans le secteur de Placencia au sud du Belize que notre regard s’est orienté (figure 1). Le projet en question se nomme Harvest Caye, une île-mangrove d’environ 15 hectares située à 3,5 km au sud de Placencia qui a fait l’objet d’un réaménagement important pour être convertie en île-enclave visant à recevoir les navires de croisière de la Norwegian Cruise Line.

Figure 1. Localisation du site à l’étude

Conception : Luc Renaud Source : Natural Earth (2019)

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Ce projet de port d’escale de Harvest Caye fait écho à la volonté du gouvernement bélizien de diversifier l’offre touristique nationale et d’ouvrir le sud du pays aux croisiéristes afin de désengorger la partie nord du pays où se trouve déjà un port d’escale à Belize City. En partenariat avec la Norwegian Cruise Line, le gouvernement bélizien a annoncé en 2013 la construction d’une île-enclave dans la région de Placencia pour accueillir des navires de croisière de grande dimension. Repoussée à maintes reprises pour des raisons techniques et juridiques (BBN, 2016a), l’inauguration de Harvest Caye s’est déroulée le 17 novembre 2016 (Kalosh, 2016). Dans une allocution faite au début du mois de mars 2016 rapportée par Humes (2016), le ministre du Tourisme et de l’Aviation civile, Manuel Heredia Jr., décrivait Harvest Caye de la façon suivante :

« Harvest Caye is expected to be a one-stop fun shop with a seven-acre beach and villas, a 15 thousand

square foot pool with swim-up bar, lounge tables and bar stools, 15 canopy pool cabanas; 130 feet tall Flight house as the central area for a variety of aerial activities including zip lining, suspension bridges, free fall jumps, and stunning views of the verdant hills of the mainland. Guests will also be able to enjoy water sports such as kayaking, paddle boarding and canoeing as well as go onshore for tours. The caye will feature numerous dining and bar options, as well as a shopping village. To further conservation efforts, 10,000 new mangroves have been planted throughout the island to increase the number of natural habitats for birds, young fish and other marine species. »

La transformation annoncée de l’île en enclave touristique est surréelle par rapport à son environnement et emblématique de l’offre touristique que l’on retrouve dans les stations balnéaires typiques de la Caraïbe (figure 2). Ainsi, aux fins de notre recherche, une série de caractéristiques contextuelles favorisent d’emblée le Belize comme terrain d’études pour s’attaquer à la problématique soulevée par le déploiement du tourisme de croisière.

La première, pour la nommer, est la récente ouverture du port d’escale de Harvest Caye dans le sud du pays, qui a commencé ses activités en novembre 2016. La nouveauté de cette île-enclave favorisera une meilleure analyse de l’évolution spatio-temporelle en donnant l’occasion d’observer et de comprendre les impacts de la mise en place du port dans son contexte local et régional. Ensuite, il y a la présence d’un tourisme de faible intensité à Placencia, à proximité de l’île-enclave. Ce village reçoit présentement un volume de visiteurs

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Figure 2. Harvest Caye au Belize

Source : Norwegian Cruise Line

qui n’a rien de comparable avec celui de l’arrivée quotidienne de milliers de touristes. Conséquemment, les dynamiques territoriales actuellement induites par l’activité touristique seront perturbées par l’afflux de ces nouveaux croisiéristes, ce qui aura des impacts sur les relations territoriales dans les communautés réceptrices. En troisième lieu, il y a aussi la mise en place d’une deuxième enclave sur la terre ferme située tout près de Mango Creek qui permet d’organiser le transit des croisiéristes vers les différents sites d’excursion. Ici, contrairement à Placencia, l’industrie du tourisme de croisière entre en relation avec une communauté où l’industrie touristique est absente.

La présence de plusieurs sites naturels dans la région gérés en collaboration avec les

communautés locales dans une perspective de tourisme durable est une autre caractéristique à prendre en compte. Ces sites seront confrontés à un changement de dynamiques

territoriales avec l’affirmation du tourisme de masse. Ainsi, en plus de l’arrivée de visiteurs, ces communautés feront face à un changement dans la nature même de la gestion des activités touristiques. Par exemple, la communauté de Monkey River, située à quelques kilomètres au sud de Harvest Caye, est incluse dans l’étude, car elle est pressentie pour accueillir les croisiéristes qui viendront y faire des excursions d’observation de la faune et de la flore en amont de la rivière. Monkey River est une communauté de pêcheurs de 150 habitants dont une partie de la population complète ses revenus en proposant des excursions lors desquelles il est possible de remonter la rivière pour pratiquer l’observation de la faune,

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principalement des singes hurleurs. Dans le contexte de l’implantation du port de Harvest Caye, ces guides locaux, dont la clientèle est normalement constituée de touristes de séjour, entreront en concurrence avec les voyagistes, lesquels négocient des contrats d’exclusivité avec l’industrie du tourisme de croisière. Enfin, comme dernière caractéristique notable qui suscite notre intérêt, il y a la présence, au nord du pays, d’un autre port d’escale développé dès 2002 et qui a maintenant atteint une phase avancée dans son développement. Sans envisager une étude comparative, le port de Belize City sera néanmoins un point de

référence pratique pour l’analyse et les réflexions portant sur l’ouverture du port de Harvest Caye.

En plus de ces caractéristiques, qui favorisent d’emblée le choix du Belize, un facteur plus englobant a lui aussi attiré notre attention sur le cas de ce petit pays. Contrairement à plusieurs régions de la « planète touristique » qui cherchent à s’émanciper graduellement du tourisme de masse, ou du moins à le rendre plus durable (Weaver, 2014), le gouvernement du Belize a fait le pari récent d’embrasser une activité touristique – l’industrie du tourisme de croisière – laquelle n’est pourtant, et d’aucune manière, reconnue pour sa contribution au développement durable. Ceci entre directement en contradiction avec le développement de l’industrie touristique au Belize, qui avait jusqu’à présent favorisé un tourisme responsable (Diedrich, 2010, Palacio, 2013). Ce changement de cap dans l’approche des politiques nationales en matière de tourisme est intéressant pour notre étude, car le Belize représente dans l’espace caribéen un des rares territoires encore épargnés par le tourisme de masse. En effet, ce pays n’a jamais développé la filière « grands hôtels tout inclus » et le nombre

d’arrivées de touristes internationaux est toujours resté faible comparativement à ses voisins. Ainsi, le tourisme au Belize est encore de nos jours de faible intensité.

L’ensemble de ces constats fait de ce pays un lieu privilégié pour répondre à la problématique posée en amont et ainsi contribuer à l’avancement de la connaissance

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Figure

Tableau I. Tourisme de croisière et tourisme international
Figure 1. Localisation du site à l’étude
Figure 2. Harvest Caye au Belize
Figure 3. Territoire du Belize revendiqué par le Guatemala
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