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Du modernisme au néolibéralisme et la réponse alternative

Ce sont principalement les approches développementalistes dites « par le haut », d’abord modernistes et plus tard néolibérales, qui ont caractérisé l’après-guerre. En apparence divergente, la première approche (moderniste) est principalement basée sur un dirigisme étatique, contrairement à la seconde (néolibéraliste), qui se définit plutôt par un encadrement législatif de l'État favorisant la croissance de échanges commerciaux accentuant un

environnement de libre marché (Amable, 2017). Elles n’en sont pas moins toutes deux structurantes dans le maintien du rapport de dépendance Nord-Sud.

Guidé par des intellectuels et des scientifiques « éclairés » (Parsons, 1951 ; Hirschman, 1958 ; Hoselitz, 1960 ; Rostow, 1960 ; Lewis, 1966), le modernisme est un courant

développementaliste qui s’est répandu à partir des années 40 et qui revendique l’application d’une approche du progrès à l’image de celle privilégiée dans les pays développés, et ce, à l’ensemble des nations. Cette thèse s’inscrit en rupture avec le traditionalisme, lequel suggère plutôt l’existence immuable de pays sous-développés, autrefois carrément, et péjorativement considérés « arriérés » en termes social, politique et économique (Power, 2014). À ce titre, le discours du président de la Banque Mondiale, James Wolfensohn, prononcé le 1er octobre 1996 à Washington DC résume bien cette perspective longtemps présente dans la

philosophie des institutions vouées au développement des pays du sud :

« Knowledge is like light. Weightless and intangible, it can easily travel the world, enlightening the lives of

people everywhere. Yet billions of people still live in the darkness of poverty – unnecessarily » cité par

Power (2014 :158)

Ainsi, l’approche moderniste est basée sur la présupposition qu’en favorisant la création de conditions économiques, politiques et technologiques favorables, les pays « pauvres » sont en mesure d’atteindre ultimement un niveau de développement équivalent à celui des pays

occidentaux (Gwynne, 2009). Concrètement, il s’agit ici de références à la mise en place de processus économique d’industrialisation, à l’instauration de politiques de bonne

gouvernance ou encore au transfert de connaissances technologiques. Misant par exemple sur une réforme de l’agriculture, ou encore sur des projets d’infrastructures et sur des développements industriels, il s’agit de moderniser les États « en retard » afin qu’ils

s’incorporent et contribuent de ce fait à l’économie mondiale. Le problème réside dans le fait que pour certaines raisons, entre autres que la modernisation a fait face à une forte résistance des populations réceptrices parce qu’elle conduit à une élimination des traditions et de l’héritage culturel (Marglin et Appfel-Marglin, 1990), les conditions favorables ne se sont pas concrétisées. De fait, le transfert réel des connaissances ne s’est pas produit, accentuant plutôt la situation de dépendance initiale dans laquelle les pays se trouvaient avant même d’avoir reçu ladite « lumière » (Sen, 2000).

Le modernisme, dans sa proposition théorique, suggère la création de pôles de croissance économique dont l’objectif est de diffuser la richesse des régions les plus riches, les centres, vers les régions les plus pauvres, les périphéries (Friedmann, 1963). Selon ce paradigme, une partie de la richesse accumulée des régions prospères devrait retourner vers les régions périphériques sous forme d’investissements pour leur développement économique par l’effet de ruissellement, le « trickle down effect » (Hirschman, 1958 ; Myrdal, 1974). Dit autrement, à l’échelle internationale, la proposition moderniste suggère que les pays développés sont plus aptes à valoriser les richesses des pays en voie de développement, et qu’une fois le processus de mise en valeur durablement établi, les surplus de richesse produits par les premiers devraient servir à financer le développement des seconds (Ehrhart, 2004 ; Peet et Hartwick, 2009). Dans le cas des pays en voie de développement, l’approche par ruissellement devrait aussi se faire par une mise en valeur de la part des régions centrales industrialisées des ressources naturelles détenues par les régions périphériques. En réalité, selon Hirschman (1958), le développement par ruissellement n’est pas effectif, car la diffusion de la richesse est inégale et celle-ci est plutôt accumulée dans les régions centrales. Lorsqu’une partie du capital accumulé quitte vers les périphéries, il se concrétise plutôt sous la forme d’aides directes et indirectes afin de répondre aux urgences sans pour autant aider à développer de manière structurante leur économie.

Ce sont les tenants de la théorie de dépendance qui ont très tôt jeté la lumière sur

l’inefficacité relative du processus de développement moderniste (Baran, 1957 ; Frank, 1966, Emmanuel, 1972 ; Amin, 1979). Ils mettent alors en évidence les mécanismes de relation de pouvoir inégal entre le centre et les périphéries, principalement entrainés par un déséquilibre des capacités financières et perpétuant le cycle de dépendance économique caractéristique des relations Nord/Sud. Cette perspective pose un regard critique sur la nature néocoloniale du développement (domination des états occidentaux et des multinationales étrangères). Elle démontre aussi des effets pervers de l’approche moderniste : les pays périphériques du sud se retrouvent empêtrés dans une précarité économique et doivent se résoudre à emprunter aux pays riches des sommes d’argent, pourtant issues de l’extraction de leurs propres richesses, afin de financer leur développement promis (Hartwick, 2009 ; Conway et Heynen, 2014).

De cause à effet, cette réponse économique précarise encore davantage ces pays d’ores et déjà endettés, les rendant vulnérables lors de périodes économiquement instables. C’est ce qui s’est passé dans les années 1970 alors que l’économie mondiale a été frappée de plein fouet par les différentes crises du pétrole qui ont provoqué une situation de stagflation – ralentissement économique couplé d’une forte hausse de l’inflation – résultant de la hausse des prix du pétrole et une baisse de l’activité de l’économie mondiale (Harvey, 2005 ; Steger et Roy, 2010). L’importante hausse des taux d’intérêt qui a suivi dans le but de contrôler l’inflation a donc placé les économies périphériques déjà endettées en situation de défaut de paiement, et celles-ci ont dû se résoudre à répondre aux conditions de remboursement imposées par les créanciers étrangers : la table était mise pour le déploiement de l’idéologie néolibérale.

« I’ve always treated neoliberalism as a political project carried out by the corporate

capitalist class (Harvey, 2016) »

Avec la mise en place du néolibéralisme, un nouveau modèle de développement s’impose, contrôlé par une minorité d’États au sein desquelles des oligarchies financières ont été promues ; ces dernières arrivent à faire prévaloir leur vision d’un capitalisme dérégularisé (McKay, 1990 ; Peet et Hartwick, 2009). Étant simultanément un processus économique et un projet politique, le néolibéralisme s’impose comme paradigme de développement à travers la création d’un système omniprésent de pouvoir diffus, système déterminant dans la

fabrication du consentement (Harvey, 2010), un mécanisme néolibéral de production de l’espace qui sera analysé au cours de cette thèse. En effet, ce système de pouvoir s’appuie sur la notion de persuasion (Dowding, 2006) en cherchant à manipuler directement les

subjectivités, ce qui confère une certaine hégémonie au néolibéralisme (Peck et Tickell, 2002).

La notion de processus, au sens de « néolibéralisation » (la forme active de la théorie du néolibéralisme), est importante à saisir afin d’apprécier la capacité de persistance du

néolibéralisme. Par exemple, malgré l’ampleur des discours anti-néolibéraux, malgré la crise économique de 2008, ou encore des mouvements tels Occupy en 2011, Springer (2016) note que le néolibéralisme réussit néanmoins à se garder à flot et à se moquer des différentes voix qui annoncent sa défaite (Fletcher, 2011, Harvey, 2014). Ceci est possible parce que, comme processus, il arrive à s’émanciper partiellement de sa base théorique pour s’adapter de façon opportuniste aux conditions évolutives, dans le cas qui nous intéresse, de l’économie capitaliste. En d’autres mots, le néolibéralisme a souvent fait la preuve de sa capacité

d’adaptation, et donc de sa pérennité, à l’égard des modulations des contextes dans lesquels il s’inscrit.

Ce modèle persistant poursuit le même rapport de dépendance centre/périphérie que celui induit par le modernisme et se situe à mille lieues du Nouvel Ordre Économique Mondial, notion que l’on peut sommairement décrire comme une série de revendications

commerciales et financières lancée par une coalisation de pays en voie de développement au début des années 70 (Dumas, 1976 ; Clerc, 1997) dans la foulée de la crise économique de cette époque. Il s’agissait du droit d’accéder aux nouvelles technologies sans devoir payer les droits de brevet, de pouvoir exporter à des tarifs douaniers préférentiels, de mettre en place des mécanismes de stabilisation des cours des matières premières, et enfin, d’assurer à ces pays l’accès à des prêts à long terme à faible taux d'intérêt. (Clerc, 1997 : 203).

Aujourd’hui, sous l’égide du paradigme néolibéral, les mécanismes qui régissent les rapports inégalitaires Nord/Sud ont bien été mis en évidence (Larrain, 1989 ; Hartwick, 2009 ; Pieterse, 2009, Bianchi, 2011). Les conditions de remboursement imposées par les bailleurs de fonds occidentaux ont pris la forme de programmes d’ajustements structurels (PAS), aussi

connus sous le nom de Consensus de Washington (Harvey, 2005 ; Conway, 2014). Ces programmes, institués sous l’égide du Fonds Monétaire international (FMI) et de la Banque Mondiale (BM), consistent en une série de mesures visant à « redresser » les économies en difficulté : discipline fiscale, incitatifs fiscaux pour les investisseurs, réorientation des dépenses publiques (santé, éducation environnement, etc.), accroissement de la mobilité du capital, privatisation des entreprises d’État et dérèglementations du secteur privé (Peet et Hartwick, 2009).

Avant de s’intéresser aux alternatives, il faut souligner le fait que les processus à la source des rapports inégaux liés au néolibéralisme ne s’opèrent pas qu’à l’échelle des nations. Ceux-ci se reproduisent également à l’échelle des rapports sociaux et deviennent importants dans la détermination de certains types de rapports de domination entre individus différenciés. La compréhension de ces échelles dans l’implantation de rapports inégalitaires est centrale lorsque vient le temps de saisir les mécanismes de relations de pouvoir entre des groupes d’acteurs. Par exemple, à travers le néolibéralisme, il s’opère à l’échelle des individus une forme de colonisation de la sphère privée dont, comme le soulignent Lapointe et Bélanger (2019), découle une réification des rapports sociaux. S’appuyant sur Brown (2015), ces auteurs affirment qu’apparaît, dans ce processus de colonisation, une aliénation : « (…) produite par l’intégration des codes disciplinaires du capital et du marché à l’intérieur même de l’individu et de son identité (Lapointe et Bélanger, 2019 : 5 ». Cette codification induit une hiérarchisation des individus, laquelle facilite l’instauration des niveaux de différenciation sociale dans les rapports nord/sud, exacerbant, entre autres avec le cas du tourisme, des rapports de pouvoir entre les hôtes et les visiteurs (Scheyvens, 2007 ; Salazar, 2017). En assignant des positions et des identités aux individus, notamment liées aux classes sociales, à l’ethnie ou au genre qui sont médiatisés à travers le filtre de l’idéologie capitaliste, s’installe donc un rapport de domination qui reproduit les relations inégalitaires sur lequel le

néolibéralisme s’appuie (Fraser et Jaeggi, 2018). Dit autrement, la réification des rapports sociaux dans le contexte du capitalisme soutient les processus de fabrication du

consentement néolibéraux à différentes échelles, ceux-ci étant internalisés sur le plan individuel dans les actions concrètes de mise en relation.

Cela dit, par leur critique des inégalités centre/périphérique véhiculées par le modernisme et le néolibéralisme, les tenants des théories critiques du dépendantisme contribuent à inspirer des modèles de développements dits « alternatifs31 ». Dans le contexte actuel, l’objectif de ces modèles est de répondre, ou du moins de faire obstacle aux idéologies économiques, sociales et environnementales qui résultent d’un modèle de développement promulgué par le

modernisme et le néo-libéralisme. Basés davantage sur une relance de la croissance par le bas, dite « bottom up », les modèles alternatifs ont été inspirés par le rapport Brandt de 1980, celui de l’UNICEF de 198732 et par le rapport Brundtland de 1987.

Ces rapports appelaient à une réduction des disparités nord-sud en misant sur l’importance du développement humain – tant dans ses composantes physiques, mentales et sociales – incluant par exemple des valeurs liées au bien-être, plutôt qu’en privilégiant des mesures et des approches de nature strictement économique (Gasper, 2014). En plus de sa composante humaine, le développement alternatif porte logiquement une attention particulière à

l’écologie et à la question de durabilité. Plus récemment, les approches alternatives se développent et sont promues à travers les grands principes des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations-Unis, stipulant qu’en termes de développement durable, le développement économique doit notamment tenir compte des ressources

régionales environnementales et socioculturelles, c’est-à-dire éviter de se cantonner aux seuls indicateurs traditionnels de croissance économique (Saarinen et Rogerson, 2013). Le

dénominateur commun des OMD, de même que tout ce qui a trait aux approches alternatives, réside dans l’atteinte d’une réduction de la pauvreté par l’émancipation économique et sociale.

Et le tourisme ?

Suivant la perspective du modernisme, le tourisme est envisagé comme un vecteur de croissance économique pouvant favoriser l’employabilité, la captation de capitaux étrangers

31L’usage de ce terme est critiquable dans la mesure où il ne s’agit pas nécessairement d’une alternative à la

notion de croissance économique, mais plutôt d’une alternative à la façon dont la croissance s’effectue pour lutter contre la pauvreté, par exemple à travers la protection de l’environnement.

32L'Ajustement à visage humain : protéger les groupes vulnérables et favoriser la croissance (Cornia et al.,

par des investissements en infrastructures ; qui plus est, il est considéré comme un moyen de valoriser l’humain moderne et de permettre, ce faisant, une transformation positive des sociétés rurales en les intégrant aux circuits économiques dominants (Britton, 1982 ; MacCannell, 1999 ; Sheller, 2004). Dans ce contexte, l’approche moderniste est

principalement associée à la vision d’une expansion bénéfique du tourisme de masse dans (et pour) les pays en voie de développement, approche défendue par plusieurs auteurs

(MacNaught, 1982 ; Sharpley, 2003 ; Aramberri, 2010). Certes, il est honnête de mentionner que le tourisme a produit des succès économiques ponctuels, par exemple au Vanuatu avec l’exploitation de la cérémonie Ghol33 ou encore avec le développement du Mana Island

Resort aux Îles Fidji (Aramberri, 2010). Succès mesurés par l’auteur dans la perspective de la prise en charge des projets par des acteurs locaux. Cependant, le développement touristique moderniste, par l’entremise du tourisme de masse, est basé sur une structure de type « top-

down » souvent majoritairement contrôlé à partir de l’étranger et dont une grande partie des

richesses générées est évacuée hors des destinations34 (Britton, 1991 ; Grandoit, 2005 ; Dodman, 2009 ; Vainikka, 2013) notamment par des taux élevés de fuites de capitaux et par le rapatriement des profits (Sharpley et Telfer, 2014).

De son côté, l’approche néolibérale considère que le tourisme doit faire l’objet d’une croissance économique basée sur une dérégularisation et une libre circulation des capitaux, favorisant ainsi le maintien de la relation centre/périphérie. Une des portes d’entrée du néolibéralisme dans le tourisme est liée aux difficultés économiques de certaines destinations. Tel que mentionné précédemment, plusieurs pays dits sous-développés ont connu

différentes crises financières à partir des années 70 et ont conséquemment été soumis à des PAS35, dont un des dispositifs opératoires consiste à libéraliser l’économie et à favoriser les investissements étrangers. Le Belize n’a d’ailleurs pas échappé à cette règle (Moberg, 1992) ; nous aborderons ce point plus en détail un peu plus loin.

33Il s’agit d’un rite de passage où les jeunes hommes se lancent du haut d’une plate-forme de 25 mètres

attachés par les chevilles avec des lianes de manière à ce que leur chute soit brusquement arrêtée à quelques centimètres du sol.

34Selon la nature de la discussion, la destination peut prendre une des dimensions proposées par Kadri et al.

(2011) soit celle de projet anthropologique, économique, d’aménagement ou de gestion urbaine. La dernière dimension ne s’applique pas nécessairement à la discussion sur le tourisme de croisière qui se trouve parfois loin des zones urbanisées ou occupées.

Dans ce contexte, le rôle des États se transforme en cherchant à attirer davantage

d’investisseurs afin de stimuler le développement du secteur privé. À cet égard, les outils et les stratégies privilégiés par les États prennent généralement la forme d’incitatifs divers. Le Belize, par exemple, a fait voter une loi exemptant la Norwegian Cruise Line de toute

imposition fiscale pour les 25 premières années d’opérations de la nouvelle escale de Harvest Caye. Les gouvernements nationaux perdent donc une partie de leurs revenus et de leurs fonctions comme régulateur économique, laissant la place (et une marge de manœuvre économique enviable) aux entreprises étrangères, expertes dans le secteur du tourisme (Telfer, 2014). La Banque Mondiale (BM) n’est pas étrangère à ce glissement du contrôle des ressources. À titre d’exemple, malgré l’abolition d’une branche dédiée précisément au

tourisme à la fin des années 70, la BM a financé le tourisme grâce à des prêts émanant de certaines de ses agences internes, offrant des programmes visant le développement des infrastructures de transport et pouvant être indirectement liés au tourisme (Hawkins et Mann, 2007). En somme, les pratiques néolibérales participent à consolider les inégalités centre/périphérie en permettant un contrôle accru des multinationales étrangères sur les industries touristiques nationales. On peut donc considérer que l’émergence du tourisme alternatif au tournant des années 80 intervient en parallèle à l’avènement de l’approche néolibérale : il s’agit là d’une réponse à la persistance des inégalités, laquelle est nourrie simultanément par les paradigmes dépendantistes et modernistes.

Cette persistance est particulièrement prégnante dans le contexte caribéen. Pour l’illustrer, le tourisme est souvent évoqué comme la nouvelle économie de plantation de la région

(Weaver, 1988 ; Cruse, 2011), faisant ici référence à l’époque coloniale. La Caraïbe est une fois de plus cannibalisée, mais cette fois-ci par l’industrie touristique (Sheller, 2003 ; Cruse, 2014) et par l’entremise d’un modèle de développement touristique basé sur la domination de multinationales étrangères (Britton, 1982) qui accentue les disparités nord-sud (Britton, 1991 ; Hall 2007). Il est entendu que le tourisme caribéen s’inscrit dans un contexte

d’appropriation territoriale qui s’appuie sur les principes d’accumulation du capital nécessaire à la vitalité même du capitalisme (Harvey, 2005).

Les processus qui sous-tendent la nature économique de tourisme caribéen produisent de ce fait des espaces de consommations qui restructurent les dynamiques économiques, mais

aussi les relations sociales, culturelles et ontologiques des hôtes, d’où la métaphore du cannibalisme. Cependant, différentes initiatives s’instaurent graduellement, visant à briser le lien de dépendance entretenu entre les pays développés et les destinations sous-développées de la Caraïbe. Par exemple, déjà, dans les années 70, des initiatives ont comme objectif de créer des entreprises domestiques en tourisme, mais cela, dans un contexte où la capacité financière et organisationnelle des destinations est limitée (à l’exception du Mexique) ; ici encore, le lien de dépendance envers les partenaires du Nord reste important. En effet, comme le souligne De Kadt (1979), à cette époque, les destinations concernées sont dans l’obligation d’emprunter afin de développer leur industrie touristique nationale. Et comme les bailleurs de fonds sont issus des pays développés, la conséquence est de maintenir le cercle vicieux de la dépendance pour ces États en voie de développement, tout

particulièrement dans le contexte des crises économiques liées à la dette – tel qu’évoqué plus tôt. Mais dans les faits, peu importe la réussite, ou non, de ces initiatives, l’idée d’instaurer des approches alternatives pour briser le paradigme de la dépendance est lancée.

Le tourisme alternatif a comme objectif de développer une industrie en réponse aux besoins et aux attentes des communautés locales suivant une approche « bottom-up », c’est-à-dire suivant la mise en place d’initiatives locales, gérées par le pouvoir local. Ce type de tourisme englobe tout ce qui n’est pas tourisme de masse et fait clairement écho au concept de durabilité : backpacking, green, slow, pro-poor, nature-based, eco, etc. Il est basé sur trois principes : premièrement, limiter l’exploitation des ressources et protéger l’environnement local ; deuxièmement, s’assurer d’une pérennité des activités touristiques en respectant la capacité du milieu ; troisièmement, mettre l’emphase sur la communauté et soutenir la prise en charge de celle-ci en développant la force du capital social (Saarinen, 2006).

Le tourisme alternatif se présente donc comme une avenue intéressante pour plusieurs communautés. Cependant, il est nécessaire de comprendre que son développement ne peut