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CHAPITRE II : ENTRÉES THÉORIQUES ET LIENS ENTRE LES DIVERSES RÉ FLEXIONS.

1. LA PÉDAGOGIE DU PROJET

1.1. L’intégration de la pédagogie du projet : prise de décision et cadre théorique.

L’action que nous avons choisie de réaliser pour remédier aux difficultés recensées sur le terrain, était l’intégration de la pédagogie du projet par la médiation des pratiques artistiques de la parole, telles que des représentations théâtrales et un spectacle de chant en FLE. Elle a été conduite à travers différentes formations. La décision d’intégrer des actions de remédiation au cœur de ce contexte a été collective. En effet, avec les enseignants, les chefs des départements de français de la faculté des Lettres et de l’institut supérieur de langues, ainsi que le directeur du CNF, nous nous sommes réunis à plusieurs reprises pour organiser cette manifestation linguistique, culturelle et artistique. Celle-ci s’est déroulée lors de l’école d’été et au cours des formations destinées aux étudiants du département de français durant l’année, en partenariat avec l’Université d’Alep et le CNF.

Pour ma part, j’avais mené des enquêtes me permettant de diagnostiquer le terrain et d’identifier les besoins des étudiants ainsi que leurs avis et propositions relatives à une éventuelle action de remédiation (cf. chapitre un). Chaque enseignant a également proposé son projet, sa thématique, en précisant le niveau des étudiants auxquels il souhaitait appliquer son action de remédiation. Certaines actions exigeaient un travail en binôme de la part des enseignants, étant donné le nombre important d’étudiants prévu, alors que pour d’autres, un enseignant suffisait. En ce qui nous concerne, nous avons réalisé une action de remédiation en binôme, « La chanson française et francophone » et trois autres individuellement.

Cette expérimentation ainsi que les trois autres (des spectacles d’interprétation de fables, de sketchs, de saynètes) dont nous ne rendrons pas compte dans la présente étude, ont été réalisées au département de français à l’Université d’Alep pour différents groupes de niveaux A1, A2 et A2+++ du CECR durant les années 2012, 2013, 2014. Nous avons ainsi proposé l’action de

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remédiation et avons amené les étudiants à réaliser les projets. Ces projets étaient centrés sur la pratique théâtrale et les chansons. Voici leur répartition en termes de volume horaire :

ü Interpréter des fables en classe de FLE : 25 heures ; ü Interpréter des sketchs en classe de FLE : 25 heures ; ü Interpréter des saynètes en classe de FLE : 25 heures. ü Interpréter des chansons en classe de FLE : 70 heures.

Avant de présenter un descriptif général de tous ces projets et avant de détailler celui concernant la chanson française et francophone en chapitre trois, posons les entrées théoriques mentionnées précédemment et les liens entre elles, à savoir, la pédagogie du projet, la didactique de l’oral et les pratiques artistiques de la parole en FLE.

Les raisons pour lesquelles nous avons choisi cette pédagogie de nature artistique de la parole en tant que démarche de remédiation aux problèmes repérés lors des enquêtes vont être abordées successivement tout au long de ce chapitre ; en voici quelques-unes.

- La justification du choix de la pédagogie du projet de nature artistique

Notre choix s’est porté sur la pédagogie du projet comme démarche de notre expérimentation car elle correspond et répond le mieux aux attentes, aux besoins des étudiants et à certains objectifs d’apprentissage. Grâce à cette démarche, les étudiants sont amenés à travailler l’oral, la composante socioculturelle de la langue-culture cibles différemment, par le biais de la réalisation de différentes tâches orales, écrites, des pratiques artistiques de la parole (des pratiques d’entraînement vocal, respiratoire, corporel, d’expressivité, de confiance en soi, etc.) entre autres. Ces tâches sont proposées aux étudiants sous la forme de différents thématiques et corpus et les amènent par la suite à la réalisation du projet à proprement parler, autrement dit, l’action ou la tâche finale.

Les étudiants peuvent être motivés par la réalisation collective d’un projet, d’une action, en lien avec la société, qu’ils peuvent eux-mêmes choisir. Cette réalisation collective à présenter devant un public extérieur à la classe, déclenche chez eux la motivation, l’envie, le défi et le désir de faire, la responsabilité, la créativité, l’autonomie, le ludisme, l’entraide, la coopération, la solidarité, la préparation à la vie en société, la confiance en eux, entre autres. Ainsi, la classe de langue se transforme en une micro-société à part entière, non seulement pour mener à bien le projet, mais aussi, lors de la représentation ou de la socialisation du projet, qui engendre des feedbacks positifs et / ou négatifs du public.

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Les étudiants construisent et développent leurs savoirs (connaissances), savoir-faire (compétences), savoir-apprendre et savoir-être (valeurs, attitudes et personnalité de l’étudiant) ou ce que PIERRA (2006) nomme la subjectivité, grâce à une réalisation collective d’un projet tout en réalisant des tâches de natures diverses et en surmontant des situations problème tout au long de la réalisation du projet.

Ils peuvent également dépasser leur inhibition, leur peur de commettre des fautes ou d’être critiqués grâce à ce travail collectif d’utilité sociale qui les motive et les attire.

Le fait de parler une nouvelle langue équivaut à apprendre à se risquer soi-même, c’est-à-dire à mettre sa subjectivité en jeu. En effet, l’apprenant, que PIERRA (2006) nomme le sujet, se met en jeu à travers son corps, sa parole et sa culture (sa personnalité) puisqu’il risque de perdre la face (GOFFMAN : 1974) devant l’enseignant ainsi que devant les apprenants eux-mêmes ou d’autres interlocuteurs. Les étudiants, grâce à cette démarche de projet de nature artistique, sont davantage partants pour mettre en jeu leur subjectivité. Ils libèrent leur corps, leur voix, leur ‘‘je’’ affectif, leur désir expressif et leur plaisir de s’exprimer ; ils parviennent à vaincre leur timidité.

Nous avons choisi la pédagogie du projet par la médiation des pratiques artistiques de la parole comme remédiation aux difficultés recensés via les enquêtes, car à travers cette démarche, l’étudiant peut accéder à un autre « je ». Il entrevoit une nouvelle subjectivité, une nouvelle culturalité, voire, une nouvelle intersubjectivité et interculturalité, à travers le contact avec d’autres ‘‘je’’ et d’autres cultures. Il a accès à une co-subjectivité, ou à ce que PUREN appelle co-action (agir ensemble) et co-culturalité « phénomènes d’élaboration d’une culture commune par et pour l’action collective » (PUREN, 2004a : 20). Il accède à d’autres sons, à d’autres mouvements corporels et il fait émerger les siens.

Les pratiques artistiques de la parole, selon PIERRA (2006), sont une pédagogie de type créatif et coopératif s’appuyant sur le théâtre, les chansons, le plaisir des textes et des langues. Il s’agit d’une situation subjective (le « je » incluant la personnalité de l’apprenant) et inter subjective (avec d’autres apprenants) qui débloque l’expression orale. Par subjective nous entendons, en accord avec PIERRA (2006), le « je » de l’apprenant qui est à la fois le « je » scénique et non scénique, autrement dit, une parole scénique et non scénique due à sa propre manière d’interpréter le texte ou la chanson.

L’intersubjectivité est l’interaction entre tous les « je » qui participent à ce projet pédagogique de nature artistique. C'est-à-dire, les différents « je » des étudiants et de leurs enseignants y compris leurs langages, leurs corps, leurs voix, leurs imaginations, leurs affectivités, leurs

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regards, leurs écoutes, leurs cultures, ajoutant à cela le « je » des textes, qui sont souvent variés, tels que : les poèmes, les contes, les chansons, les scènes théâtrales, entre autres.

Cette capacité à se changer trouve son énergie « du plaisir de la créativité, par les affects, les émotions fondamentales, les possibles déconditionnements psycho - corporels. » (PIERRA, 2006 : 197). À travers la dimension corporelle qu’assurent les pratiques artistiques de la parole, l’apprenant entre dans une situation de co-culturalité non conflictuelle, loin de toute sanction. Il peut alors débloquer son expression orale en se risquant davantage au niveau de son image « mieux appréhendée par le groupe, grâce à la médiation commune du travail scénique » (PIERRA, 2006 : 198) qu’assure, dans notre cas, le projet pédagogique de nature artistique. Si nous rappelons par ailleurs le contexte particulier qui entourait la classe de FLE dans nos classes de FLE à Alep, nous pouvons ajouter qu’une pédagogie du projet de nature artistique de la parole peut aider l’apprenant en situation de guerre à extérioriser sa souffrance, son ennui, et aider sa subjectivité à s’exprimer.

Outre les avantages que nous venons de citer, d’autres éléments théoriques sont venus confirmer que notre choix de pédagogie était le plus adapté.

Selon BORDALO & GINESTET (1993), le choix d’une pédagogie du projet est lié aux bénéfices qu’elle assure au sein du système d’enseignement-apprentissage. Il s’agit d’une manière différente d’enseigner, motivante, basée sur la réalisation d’une action en lien avec la vie en société.

Adopter une pédagogie du projet de nature artistique permet de dépasser les activités traditionnelles, et permet à l’apprenant de réagir et de se confronter à plusieurs problèmes à résoudre au fur et à mesure de son apprentissage pour arriver par la suite à les dépasser au fur et à mesure de la réalisation d’un projet. Ce dernier est basé sur des tâches (ou micro-tâches basées sur des activités orales, écrites entre autres) aboutissant à une action ou ce qu’on nomme aussi une tâche complexe (le projet). Ainsi, cette pédagogie permet à l’apprenant de participer efficacement et réellement à son propre apprentissage, car il réalise des objectifs et comble des besoins. Adopter une pédagogie du projet de nature artistique lui permet d’être en contact permanent avec un groupe, par le biais du travail collectif qu’assure cette méthodologie. Cela lui donne également l’opportunité d’être en contact avec un public extérieur au moment où le projet arrive à la phase de socialisation et par conséquent d’avoir des feedbacks positifs et/ou négatifs donnant sens à son apprentissage. Nous avons ainsi, dans notre projet et dans notre contexte, jumelé les avantages de la pédagogie du projet avec ceux des pratiques artistiques de la parole pour construire et développer des savoirs variés mais aussi pour valoriser la personnalité de l’apprenant (sa subjectivité). Ces avantages seront dévoilés au long de ces

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Pour conforter notre choix pédagogique, nous devons comprendre tout ce qu’implique et permet la pédagogie du projet. C’est pourquoi nous allons définir le projet, délimiter ses caractéristiques, puis présenter une typologie du projet, en ayant recours aux travaux de BOUTINET, HUBER, TILMAN et BROCH.

1.2. Définition du projet

Le GRAIN (cité par TILMAN, 2004), définit le projet en tant que « tâche définie et réalisée en groupe, issue d’une volonté collective, aboutissant à un résultat concret, matérialisable et communicable, présentant une utilité sociale » (2004 : 37).

Le contact avec un public extérieur, autrement dit la socialisation du produit réalisé, permet ainsi d’évaluer sa pertinence et de pouvoir l’améliorer en prenant en compte les feedbacks reçus. Dans cette optique, HUBER précise que « c’est l’effet de ‘‘feed-back’’, qui est au cœur du processus d’évaluation du projet. Si l’utilisateur apprécie la réalisation, ses acteurs en recevront une reconnaissance sociale valorisante » (2005 a : 19).

Ainsi, nous constatons que le projet est basé sur deux idées. La première est la projection vers

l’avenir, c’est-à-dire, réfléchir à ce que nous voulons faire ou devenir dans le futur, prévoir et

concevoir des actions à réaliser en ayant conscience du chemin à parcourir pour y arriver. La seconde est l’idée de la mise en valeur, d’une idée, d’un produit, d’une action, autrement dit, du résultat de la projection. Cette mise en valeur se réalise en socialisant le produit fini. La phase de socialisation du produit signifie le présenter devant ou à un public extérieur, selon le type de produit réalisé.

Les apprenants, afin de résoudre leurs problèmes dans l’enseignement-apprentissage du français, peuvent par le biais du projet, élargir leurs compétences, leurs capacités à travers le contact avec des situations-problème, mais aussi, en ayant des échanges enrichissants avec leurs camarades et enseignants. Il est en de même pour l’enseignant qui, lui, opte pour de nouvelles stratégies et de nouveaux outils pédagogiques dans le but de résoudre certains problèmes au sein de sa classe de langue.

Dans un projet pédagogique, le public extérieur est assimilé à un évaluateur, au même titre que l’enseignant ou l’équipe pédagogique. Au moment où les apprenants reçoivent des retours positifs, leur image personnelle se transforme positivement et il s’ensuit une valorisation large de leurs capacités et de la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes. La réalisation du projet et sa socialisation offrent un « ‘‘effet en retour’’ qui permettra l’évaluation collective de l’action

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menée », et en cas de retours positifs cela « renforcera l’image de soi de chacun des acteurs et mettra en mouvement leurs représentations ». (HUBER, 2005 a : 19).

Nous présentons, dans les lignes qui suivent, quelques caractéristiques du projet, au fil de ses différentes phases de réalisation.

1.2.1. Les caractéristiques du projet

Le projet entre phase de socialisation et notion de défi

HUBER attribue au projet le caractère de socialisation dont nous avons parlé précédemment. Ce caractère donne au projet sa singularité et les apprenants reprennent goût à leur apprentissage. En distinguant le projet des autres outils pédagogiques, il permet aux apprenants de se motiver davantage, d’être plus impliqués et prêts à prendre des risques. HUBER précise qu’ « un projet, c’est avant tout la réalisation d’un produit. Ce produit doit faire l’objet d’une socialisation, c’est-à-dire viser un destinataire extérieur au groupe-classe. Cette socialisation transforme l’environnement dans certaines de ses dimensions sociale, économique, culturelle, politique…selon la nature du projet » (HUBER, 2005 b : 14).

HUBER (2005 a) aborde la notion de défi que provoque le projet en précisant qu’il est présent tout au long de sa réalisation, incitant par la suite les apprenants à déployer des efforts supplémentaires et à mobiliser toutes leurs compétences et leur énergie afin de mener à bien cette action.

Le projet entre idéalisme et réalisme

FICHTE11 (cité par BOUTINET, 2012 : 23) attribue au projet deux caractères : l’idéalisme et le réalisme. L’idéalisme désigne la subjectivité de l’acteur du projet et sa perception vis-à-vis du projet, en revanche le réalisme c’est la réalité qu’il envisage lors de la réalisation de son projet, y compris les imprévus ou les insuffisances.

FICHTE associe ainsi le projet aux trois niveaux contribuant à sa réalisation.

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