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Les origines dřune cohabitation houleuse : de la difficulté de composer avec la

II. DES ORIGINES DES TENSIONS À LA PRISE DE CONSCIENCE DES

2.1 Les origines dřune cohabitation houleuse : de la difficulté de composer avec la

La ratification du Traité de Paris en 1763, soit deux siècles avant la mise sur pied de la Commission Laurendeau-Dunton, annonçait le début dřune cohabitation parfois houleuse entre francophones et anglophones dans les colonies britanniques dřAmérique du Nord. Les conflits furent légion, les tensions vives et les tentatives dřassimilation afin de mettre un terme à la dualité nřatteignirent pas leur but. La réconciliation, à laquelle peu dřhistoriens se sont intéressés, sřest difficilement taillé une place dans lřhistoire canadienne. Pourtant, elle fut bien présente, prenant souvent davantage la forme de discours sur la réconciliation que dřactions politiques réelles en faveur de la réconciliation. Lřhistoire du pays semble rythmée par une alternance entre entreprises de réconciliation entre les deux communautés culturelles principales et volontés de pacification, représentées surtout par un désir de certaines élites de mater la différence. Lřessayiste John Saul affirme quř « un observateur objectif peut reconnaître les origines de la réconciliation au Canada dans lřActe de Québec de 1774142. » Toutefois, même si les sujets dřorigine française jouissent dřune liberté religieuse accrue avec la promulgation de lřActe de Québec, la juriste Eugénie Brouillet rappelle que « lřensemble des mesures adoptées entre la Conquête et […] 1774 avait pour objectif leur assimilation lente et douce, mais bien calculée143. »

La donne nřest toutefois plus la même en 1791, où lřinstauration de lřActe constitutionnel assure aux sujets dřorigine française la reconnaissance juridique de leur souveraineté collective. Cet Acte se veut un pas consenti en direction de la réconciliation en reconnaissant la dualité canadienne à travers la création de deux assemblées législatives électives, une au Bas-Canada et lřautre au Haut-Canada. Les francophones, majoritaires au Bas-Canada, peuvent ainsi bénéficier dřun certain pouvoir politique. À la suite de lřépisode révolutionnaire de 1837-1838, la situation change et le désir dřassimilation afin de mettre un terme au problème de la dualité culturelle, source de tensions inépuisable, ressurgit,

142 John Saul, Réflexions d’un frère siamois : le Canada à la fin du XXe siècle, Montréal, Boréal, 1998, p. 281.

143 Eugénie Brouillet, La négation de la nation. L’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien, Québec, Septentrion, 2005, p. 109. Coll. « Cahiers des Amériques ».

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appuyé par le rapport de Lord Durham qui recommande lřunion des deux Canadas afin de mettre un terme aux remous dans la colonie.

Lřexpression de la diversité culturelle sřavère toujours une problématique complexe dans les systèmes politiques et le Canada dut très tôt composer avec la présence dřune communauté francophone unie, désireuse dřêtre représentée dans lřespace public. Comme le souligne Ramsay Cook : « Since there was not one nation but two, the result was

federalism144. » En effet, le choix de la fédération, système cherchant comme le rappelle François Rocher, « à concilier lřunité et la diversité au sein dřun espace politique ou dřune société donnés145 », sřimposait étant donné les différences marquées, notamment en ce qui a trait à la culture, à la langue et à la religion, entre les colonies désirant sřunir. Ainsi naquit le Canada, dřun compromis entre le besoin dřunité, afin de se tenir notamment face à la menace de lřannexion aux États-Unis, et le besoin de diversité, commandé surtout par la présence du Canada francophone, qui aspirait à lřépanouissement de son identité culturelle particulière.

La fondation du pays elle-même se fit dans un contexte de crise et dřabsence de convergence entre les conceptions de deux des Pères de la Confédération, John Alexander Macdonald, conservateur qui devint chef de la section haut-canadienne du gouvernement en 1856146, et Georges-Étienne Cartier, chef du Parti conservateur du Canada-Est. Tandis que Cartier articulait une conception « véritablement fédéraliste147 » du régime politique canadien, cřest-à-dire une conception décentralisée permettant aux identités culturelles particulières de jouir de lřautonomie dont elles avaient besoin pour mûrir et se perpétuer, Macdonald projetait une conception différente du pays à bâtir, nettement plus

144 Ramsay Cook, Canada and the French-Canadian Question, Toronto, Macmillan of Canada, 1966, p. 175, cité par Eugénie Brouillet, op. cit., p. 142.

145 François Rocher, « La dynamique Québec-Canada et le refus de lřidéal fédéral », dans Alain G. Gagnon, dir., Le fédéralisme canadien contemporain : fondements, traditions, institutions, Montréal, Les Presses de lřUniversité de Montréal, 2006, p. 97.

146 Dictionnaire biographique Canada, « Macdonald, sir John Alexander »,

http://www.biographi.ca/fr/bio/macdonald_john_alexander_12F.html, consulté en juin 2013. 147 Eugénie Brouillet, op. cit., p. 128.

centralisatrice, « voire unitariste148 ». La conception de Cartier était motivée par le désir de trouver un système permettant au Canada Est francophone de conserver sa couleur particulière, afin que celle-ci ne puisse se diluer dans le nouveau pays. Macdonald était guidé, quant à lui, par la volonté de donner au pays à naître un régime permettant « une identification toujours plus forte à une nation canadienne globale149. » Il était donc en faveur dřune forme de fédéralisme très centralisé. Déjà, à lřorigine de la Confédération, cohabitaient deux conceptions du fédéralisme véhiculées par des figures de proue du Canada Ouest et du Canada Est, une plus décentralisée et lřautre mettant de lřavant un gouvernement central fort. La conception de Cartier rallia le Canada francophone, désireux de voir sřépanouir sa culture particulière à lřintérieur de lřespace canadien, tandis que celle de Macdonald fut davantage prisée au Canada anglophone.

À partir du moment de sa fondation, le Canada sřest engagé sur la voie de la centralisation, voie qui sřaffirma avec la grande dépression des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale, où lřÉtat en vint à jouer un rôle de plus en plus décisif dans les domaines réservés aux provinces afin de protéger les déshérités. Cette affirmation de lřÉtat est par ailleurs fortement encouragée par le commissaire de Laurendeau-Dunton, Frank Scott, un des fondateurs de la Cooperative Commonwealth Federation (CCF) et un fervent militant pour la centralisation du fédéralisme, seule voie viable pour endiguer les affres de la crise150. Toutefois, la centralisation ne fit pas lřunanimité chez tous les groupes culturels du pays et les francophones du Québec se montrèrent plus critiques envers elle151. Ces derniers voulurent rapatrier des compétences leur permettant dřexprimer leur spécificité.

148 Ibid., p. 127. 149 Ibid., p. 125.

150 Voir Sandra Djwa, F.R. Scott. Une vie et Valérie Lapointe-Gagnon, « Jeter un pont entre les deux solitudes : le rôle de Frank R. Scott dans lřélaboration des politiques linguistiques au Canada, 1960-1984 », dans Marcel Martel et Martin Pâquet, dir., Légiférer en matière linguistique, Québec, Presses de lřUniversité Laval, 2008, p. 29-57.

151 La Commission Tremblay ou Commission royale dřenquête sur les problèmes constitutionnels du pays fut dřailleurs mise sur pied en 1953 par le gouvernement Duplessis pour répondre aux politiques centralisatrices de lřÉtat fédéral depuis les années de lřaprès-guerre.

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Tout cela témoigne de la profondeur des racines du mal canadien. Lřexpression de la dualité culturelle, revendiquée par les francophones et rabrouée par certains anglophones, mena à des affrontements qui constituent un des symptômes principaux de ce mal. Un autre symptôme du mal canadien réside dans la difficulté à définir les contours de la nation