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Influence de la Faculté des sciences sociales de lřUniversité Laval

III. DES INTELLECTUELS POUR PANSER ET PENSER LES PLAIES DU

3.1 La rencontre de dix commissaires devenus messagers de la complexité

3.1.1 Inscription académique des commissaires et sphères dřinfluence

3.1.1.1 Influence de la Faculté des sciences sociales de lřUniversité Laval

Avant de se lancer dans la politique active à la fin des années 1950, Maurice Lamontagne a enseigné à lřÉcole des sciences sociales de lřUniversité Laval233, devenue Faculté en 1943 sous la gouverne du sociologue dominicain Georges-Henri Lévesque. Son enseignement a sans doute pu avoir une influence sur la conception des relations canado- québécoises de certains commissaires, qui ont fréquenté la Faculté. En plus de Maurice Lamontagne, une autre figure de proue de lřétude objective et scientifique de lřétat des relations entre les deux communautés culturelles principales du Canada a occupé un poste clé dřenseignement à la Faculté des sciences sociales ; il sřagit de Jean-Charles Falardeau, membre fondateur du Comité sur les deux cultures.

230 Voir Robert Bothwell, Pearson : His Life and Work, Toronto, Montréal, McGraw-Hill Ryerson, 1978. 231 Léon Dion, Québec 1945-2000. Tome II : les intellectuels et le temps de Duplessis, p. 179.

232 Ibid., p. 182.

233 À partir de 1943, la Faculté est divisée en quatre départements : sociologie, économique, service social et relations industrielles. Maurice Lamontagne dirige le département dřéconomie. Jean-Philippe Warren, L’engagement sociologique. La tradition sociologique du Québec francophone (1886-1955), Montréal, Boréal, 2003, p. 91.

Phare des sciences sociales au Québec, plate-forme de brassage dřidées nouvelles, lieu dřaccueil de professeurs et dřétudiants étrangers, la Faculté constituait une des bêtes noires du premier ministre québécois Maurice Duplessis, qui rêvait, en lui coupant ses subventions, de la voir fermer ses portes. Le sociologue Marcel Fournier capte, à travers le témoignage de Léon Dion, lřesprit qui régnait à la Faculté dans ses premiers temps plutôt laborieux, elle qui faisait figure de porte-flambeau de la modernité : « Ceux qui ont vécu les difficiles premières années de la Faculté ne recherchaient pas, remarque Léon Dion, le prestige ou les certitudes dřune profession bien établie, mais les promesses en même temps que les aléas dřun domaine rempli dřembûches234. » Les visées de Lévesque et de la Faculté étaient de former une élite cultivée, mais également dřintégrer à la culture générale quřil voulait inculquer aux étudiants les nouvelles méthodologies relatives aux sciences sociales, notamment lřenseignement de méthodes dřenquêtes positives 235 . La spécialisation, soutenue par la division des matières au sein des départements, devenait de plus en plus érigée au rang de vertu236. Dans ce contexte, lřétude objective des relations canado- québécoises se développa.

Maurice Lamontagne portait en quelque sorte la conception partagée par les ténors de la Faculté en matière de fédéralisme nouveau, une conception ainsi résumée par Léon Dion : « Autant de décentralisation que possible, mais autant de centralisation que nécessaire237. » Centralisateur modéré, partisan dřun fédéralisme de coopération, il se faisait le fervent défenseur dřun dialogue sain pour résoudre les maux canadiens, comme il le souligne dans lřavant-propos de son ouvrage intitulé Le fédéralisme canadien : « La diversité dřopinions est inévitable quand il sřagit de problèmes humains aussi enchevêtrés que ceux dont nous traitons. Justement pour cette raison, les solutions à ces problèmes présupposent quřun dialogue authentique se soit engagé entre ceux qui cherchent et désirent véritablement la lumière238. »

234 Marcel Fournier, op. cit., p. 122. 235 Jean-Philippe Warren, op. cit., p. 93. 236 Ibid., p. 91.

237 Maurice Lamontagne, Le fédéralisme canadien : évolution et problèmes, Québec, Les Presses de lřUniversité Laval, 1954, cité par Léon Dion, op. cit., p. 180.

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Publié en 1954, à peu près au même moment où les chercheurs rassemblés autour du projet de Comité pour les deux cultures aspiraient à étudier de manière scientifique la dualité, lřouvrage de Lamontagne témoigne de cette fenêtre ouverte dans les années 1950 dans le milieu des chercheurs pour lřémergence dřun dialogue fructueux, structuré par une pensée universitaire. La Faculté des sciences sociales de lřUniversité Laval constitua un pilier de la recherche de ce dialogue. Parmi les commissaires de Laurendeau-Dunton, le père Clément Cormier et Jean Marchand ont tous deux étudié à la Faculté des sciences sociales de lřUniversité Laval. La Faculté va notamment avoir une influence considérable sur le cheminement du Père Clément Cormier qui tissa des liens étroits avec Georges-Henri Lévesque. Lřintellectuel acadien tenta de reproduire dans son Acadie natale ce que Lévesque a fait à lřUniversité Laval. Il y fonda une École de sciences sociales imprégnée des préceptes de Lévesque qui voulait que les disciplines des sciences sociales atteignent le rang des autres sciences en leur inculquant une méthodologie rigoureuse basée sur la recherche empirique. Comme le rappelle Julien Massicotte, lřinfluence du Père Lévesque sur le Père Cormier est non négligeable :

Malgré lřascendant manifeste de plusieurs professeurs, la figure dominante et lřinfluence déterminante pour Cormier furent certainement celles du père Georges-Henri Lévesque, directeur de lřÉcole de sciences sociales à lřépoque. Non seulement il tira de ce mentor les bases qui lui serviraient pour la mise en chantier des fondements de sa propre école de sciences sociales, de son propre enseignement, de sa propre volonté de transformer le réel par la connaissance de la société, mais également les valeurs qui alimenteraient constamment cette volonté de changement social et de connaissance du réel239.

Le directeur de la recherche de la Commission, Michael Oliver, qui était lřun des instigateurs de lřouvrage collectif Social Purpose for Canada et un membre du CCF qui croyait en lřexpression de la dualité240, enseigna également brièvement en 1958 à lřÉcole des sciences sociales de lřUniversité Laval avant dřaller rejoindre les rangs des professeurs de son alma mater, McGill241. Bien que Jean Marchand aurait stipulé nřavoir « rien appris »

239 Julien Massicotte, op. cit., p. 14.

240 Voir Comité pour une politique fonctionnelle, « Bizarre Algèbre ! », Cité Libre, no. XX, 82, décembre 1965, p. 13-20. Les auteurs mentionnent le rôle joué par Michael Oliver dans lřintégration du biculturalisme dans le projet dřenquête pensé par André Laurendeau dans les pages du Devoir.

au sein des murs de la Faculté des sciences sociales242, il reste que lřinfluence de Lévesque, de Lamontagne, de Falardeau, et plus globalement, de la Faculté des sciences sociales de lřUniversité Laval, est palpable dans le Québec et le Canada des années 1960. La lecture du fédéralisme qui y est présentée, à travers lřenseignement de Maurice Lamontagne, se démarque résolument des idées reçues et a pu avoir une influence sur un homme comme Clément Cormier, qui était un défenseur du bonententisme243. Après la publication de son livre sur le fédéralisme canadien en 1954, Maurice Lamontagne se résout à quitter son poste de professeur à la Faculté en raison du caractère subversif de ses écrits qui prônent un fédéralisme beaucoup plus centralisateur que ne le préconisait Maurice Duplessis. Lřair à la Faculté était devenu étouffant pour lui, Duplessis ayant commandé son renvoi au recteur Maurice Vandry. Comme lřexplique Léon Dion : « Il estime que la persécution à laquelle la faculté est soumise lřempêchera de continuer à remplir son rôle dřanalyste et de critique de la société et il en conclut quřil nřa dřautre choix que de trouver refuge à lřUniversité dřOttawa244. »

242 Léon Dion, op. cit, p. 184.

243 Frédérique Fournier, op. cit., p. 48-49. 244 Léon Dion, op. cit,, p. 181.

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TABLEAU 2 : Parcours académique des commissaires

Nom, prénom Collège Université Années Grade Matière

Codirecteurs Davidson Dunton, Arnold

Lower Canada

College U. de Grenoble, France 1928 Littérature française, histoire U. McGill 1930-1931 Économie, histoire U. de Cambridge, Angleterre 1931 Économie U. de Munich,

Allemagne 1932-1933 Économie et allemand

Laurendeau, André

Sainte-Marie U. de Montréal Institut catholique,

Paris 1935 Philosophie, morale et sciences sociales (auditeur libre) Sorbonne, Paris U. McGill 1935 Philosophie, morale et sciences sociales (auditeur libre) Commissaires

Cormier, Clément U. Saint-Joseph U. de Montréal Faculté des Sciences Sociales de l'U. Laval

1938-1939

Frith, Royce U. de Toronto École de droit Osgoode Hall

Droit Droit

Gagnon, Jean-

Louis Sainte-Marie U. d'Ottawa 1933-1935 Philosophie

Brébeuf

Laing, Gertrude U. du Manitoba 1926 Sorbonne

Marchand, Jean Académie commerciale de Québec

Faculté des sciences sociales, Université Laval

1942 Relations industrielles

Rudnyckyj,

Jaroslav B U. Lvov 1929-1937 2 maîtris es et PHD Langue slave et littérature, philologie polonaise

Scott, Frank R. Bishopřs College Madgalen College U. McGill Oxford (boursier Rhodes) 1920 Droit Droit

Wyczynski, Paul U. de Salzbourg Baccala

U. de Lille M.A. Littérature U. d'Ottawa PHD Littérature canadienne- française

3.1.1.2 Inscription des commissaires dans des réseaux académiques canadiens