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De l’organisation séquentielle à l’ingénierie concourante : pour un développement plus rapide des produits et services nouveau

RESSOURCES Tangibles

2.1. L ES FONDEMENTS DE L ’ ORGANISATION PAR PROJETS

2.1.4. L’évolution de l’organisation des projets : vers davantage de transversalité et de réactivité

2.1.4.2. De l’organisation séquentielle à l’ingénierie concourante : pour un développement plus rapide des produits et services nouveau

Dans le modèle taylorien ou séquentiel de gestion de projet, le développement des projets est souvent illustré par la métaphore sportive de la course de relais (Takeuchi & Nonaka, 1986). Pour être réalisé, le projet passe de métier en métier : le service R&D conçoit le produit, puis transmet son travail au service de production pour la mise en œuvre opérationnelle et le démarrage de la production en usine, lequel transmet à son tour le travail au service commercial qui assure l’opération de lancement commercial du produit. Ce type de développement est qualifié de « séquentiel », car une étape ne peut commencer que si celle qui la précède est terminée.

Garel (2003a) explique que cette manière de procéder se heurte à deux principales difficultés. En premier lieu, ce modèle est contradictoire avec la tendance continue à la désintégration verticale, qui conduit les firmes à se recentrer sur leurs métiers de base. En effet, les entreprises industrielles, qui ont progressivement abandonné à des partenaires extérieurs une partie de la production et de la conception de leurs biens et services, ne peuvent réguler cette relation par la hiérarchie. En second lieu, la séparation fonctionnelle des différentes expertises nécessaires au projet et la coordination séquentielle de l’activité (avec

des relations entre acteurs limitées aux interfaces seulement), soulèvent simultanément quatre problèmes majeurs :

• en l’absence d’une régulation projet à part entière, la recherche d’une performance globale est plus difficile puisque chaque métier tend à « tirer le projet » à son avantage ;

• le traitement des modifications est long et coûteux puisqu’il implique des retours en arrière à des métiers qui sont déjà passés à d’autres tâches ;

• en l’absence d’une coordination centrale du projet, le risque est élevé de multiplier des outils de pilotage différents comme les systèmes de planification ;

• la séparation fonctionnelle entre les acteurs de l’amont (par exemple les designers, le marketing) et les acteurs de l’aval (par exemple la production, la logistique) empêche que les premiers prennent en compte les contraintes des seconds, et réciproquement.

Or, dans l’environnement actuel, où le temps compte par-dessus tout (Stalk & Hout, 1992 ; Brown & Eisenhardt, 1997), l’exécution séquentielle des tâches du projet, qui conduit à additionner les durées des tâches et à accroître la durée globale du projet, est devenue une rigidité. Afin de raccourcir les cycles de développement des projets, s’est développé depuis plusieurs années le modèle du « concurrent engineering » (Clark & Fujimoto, 1991), qui peut être traduit de différentes manières en français : ingénierie concourante, ingénierie simultanée, ingénierie intégrée ou encore ingénierie parallèle. En fait, c’est en répondant à la question « comment transformer l’organisation pour développer plus rapidement les projets ? », que les industries qui conçoivent de nouveaux produits et services ont mis en œuvre l’ingénierie concourante à la fin des années 1980. L’industrie automobile en fut l’une des premières expérimentatrices à grande échelle115. En se développant largement, ce modèle a transversalisé des organisations historiquement fonctionnelles.

Par opposition à la course de relais, l’ingénierie concourante est illustrée par la métaphore de l’équipe de rugby, dans lequel chaque membre de l’équipe progresse en même temps que les autres alors que beaucoup de combinaisons restent possibles à presque tous les stades du jeu (Takeuchi & Nonaka, 1986). En d’autres termes, dans le modèle de l’ingénierie concourante, tous les métiers de l’entreprise travaillent simultanément sur le projet et de ce fait, interagissent de façon continue. Midler (1995) définit l’ingénierie simultanée comme le

115 RENAULT, notamment au travers du projet Twingo, incarne, en France, le modèle emblématique de

l’ingénierie concourante, dans le sens où l’entreprise est la première à expérimenter à grande échelle cette nouvelle forme d’organisation des projets au début des années 1990 (Midler, 1993a).

pilotage par l’aval. En effet, l’entreprise sollicite des métiers comme la production ou le marketing (qui, généralement, interviennent très tard dans un projet), dès les phases amont afin qu’ils valident les solutions techniques proposées par les gens de la conception, lesquels doivent suivre le projet jusqu’au bout. L’organisation simultanée de l’aval et de l’amont permet alors d’intégrer les besoins de chaque métier le plus tôt possible, ainsi que les fournisseurs préalablement sélectionnés et les clients. En d’autres termes, « il s’agit de

commencer le projet le plus tôt possible afin de tirer parti des degrés de liberté amont et de l’achever vite » (Garel, 2003b, p. 85).

Cet auteur résume les principes managériaux de l’ingénierie concourante en quatre points :

• un recouvrement des phases. La performance de l’ingénierie concourante tient d’abord à l’organisation d’une communication intensive et à une capacité de coordination dans des situations où prévalent l’incertitude et l’ambiguïté. Il s’agit aussi d’obtenir une implication le plus tôt possible des métiers de l’aval dans le processus de développement et un accompagnement par l’ensemble des acteurs du projet jusqu’à son terme116 ;

• une direction de projet lourde. Les projets concourants sont pilotés par des directeurs de projets dédiés qui incarnent l’identité du projet. Ils disposent d’une légitimité et des qualités de leadership et d’animation nécessaires. Ils ont été qualifiés par Clark & Wheelwright (1992b), de « heavyweight project manager » ;

• une coordination de l’activité en « plateau ». L’organisation concourante a conduit à repenser l’agencement de l’espace de travail, notamment par le regroupement physique et régulier de l’ensemble des membres contribuant au projet sur un même lieu et si possible autour d’un espace commun, appelé « plateau projet ». Selon Garel (1994, 1996), il est le lieu de passage et de rencontre des différents acteurs, internes et externes à l’entreprise (sous-traitants, partenaires, etc.), dès les phases amont du projet. Plus précisément, ce regroupement géographique, le « plateau », sert habituellement deux objectifs. Le premier est de marquer le passage à un nouveau mode de fonctionnement axé entièrement sur le projet. L’isolement de l’équipe projet favorise également une plus grande autonomie de ses membres vis-à-vis de leur métier d’origine, permettant de gommer en partie l’inconvénient des structures matricielles. Le second et principal objectif est d’assurer la

116 Il nous semble intéressant de noter ici que l’organisation concourante, conçue pour réduire les délais de

développement des projets, accroît la charge de travail des salariés : « le temps de travail des salariés s’allonge

pour raccourcir celui des projets » (Garel, 2003a, p. 96), ainsi que le nombre de ressources sur le projet (Weil, 1999).

convergence des savoirs professionnels117, facilitée par la proximité des membres de l’équipe projet (Garel, 1994 ; Garel & Midler, 1995) ;

• un codéveloppement avec les partenaires. Pour développer plus rapidement, mettre les produits plus vite sur le marché et avoir de l’avance par rapport aux concurrents (chronocompétition), il s’agit de s’associer, dès les phases amont des projets et au moindre coût de transaction, avec les partenaires qui détiennent les compétences idoines que l’entreprise a décidé d’externaliser (Garel, 1999) (cf. 2.2.3.2).

Ainsi, l’organisation des projets a induit l’abandon progressif de la logique séquentielle, consistant en une succession de phases dont l’exécution relève des différentes fonctions de l’entreprise, pour céder la place à des processus simultanés de décision au sein d’équipes plurifonctionnelles dotées d’autonomie et de pouvoir de décision accrus118.

Dans cette première section, nous nous sommes attaché à définir et à comprendre les fondements de l’organisation par projets, notamment son vocabulaire, son champ d’action, ses structures et ses méthodologies. Dans la prochaine section, nous proposons de nous intéresser aux récentes problématiques susceptibles d’être rencontrées dans les organisations par projets

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