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La dynamique d’apprentissage des compétences dans un projet : entre exploitation et exploration

RESSOURCES Tangibles

2.2. L ES ENJEUX ET DIFFICULTES DES ORGANISATIONS PAR PROJETS MODERNES

3.1.3. La dynamique d’apprentissage des compétences dans un projet : entre exploitation et exploration

Dans tout projet, il existe donc à la fois des compétences requises, dans le sens où elles sont nécessaires pour réaliser efficacement le projet, et des compétences développées par le projet lui-même. L’effet induit par la dynamique projet est ainsi « surprenant » : le projet produit les compétences qui produisent, à leur tour, le projet. Les compétences sont donc au cœur des projets, elles en constituent les « entrées » et les « sorties ». C’est ainsi que pour certains auteurs (Charue-Duboc & Midler, 2001 ; Danneels, 2002), le projet est autant un lieu d’utilisation des compétences existantes de l’entreprise (apprentissage par exploitation) que de constitution de nouvelles compétences (apprentissage par exploration).

Dans le chapitre 1 (cf. 1.2.3.2), nous avons vu qu’une des problématiques récurrentes de la littérature sur l’apprentissage organisationnel a trait à ses deux niveaux : apprentissage par exploitation et apprentissage par exploration (March, 1991). Toutefois, cette distinction ne doit pas laisser penser que ces deux types d’apprentissage sont antinomiques. Au contraire, ils peuvent apparaître comme étant complémentaires dans le temps. Dans la suite de notre réflexion, nous présentons le projet comme la réunion des deux niveaux d’apprentissage organisationnel, à savoir l’exploitation et l’exploration de compétences. Pour mettre en exergue cette dualité, nous proposons de prendre en compte le facteur temps comme explication du passage d’un niveau à l’autre. En effet, selon toutes les « bonnes » définitions de base, l’essence même d’un projet est d’être bornée dans le temps, avec un début et une fin. La notion de projet est indissociable de celle de temps, et par conséquent, parler d’apprentissage au sein d’un projet nécessite de prendre en compte ce facteur temps.

Dans le schéma suivant (cf. schéma 3.1), nous proposons de représenter la dynamique d’apprentissage des compétences au cours d’un projet. Pour ce faire, nous nous sommes appuyé sur la représentation de Midler (1993a), lequel considère le projet comme l’articulation d’un processus de décision et d’action avec un processus d’apprentissage et d’accroissement de compétences136.

Schéma 3.1. La dynamique d’apprentissage des compétences dans un projet

Source : inspiré de Midler (1993a, p. 98)

En début de projet où tout est à construire, l’apprentissage est très important, du fait des expérimentations menées et des résultats qui sont ainsi acquis (Charue-Duboc & Midler, 2001). Nous sommes ici dans une démarche d’exploration typique, selon les termes de March (1991). Cette phase d’exploration privilégie la créativité et la génération d’idées pour ouvrir au maximum le champ des domaines d’actions et enrichir la perspective de réalisation finale. D’après Meyers & Wilemon (1989), en début de projet, le savoir de l’équipe projet serait composé de celui détenu par les membres qui la composent et par les autres ressources disponibles. D’un côté, l’équipe récemment constituée peut faire bénéficier l’ensemble du groupe de la variété des expériences individuelles de ses membres. D’un autre côté, faire du

benchmarking, recueillir l’avis d’experts, découvrir des expériences similaires, etc., sont des moyens efficaces d’acquisition rapide de connaissances. Les outils classiques de

brainstorming sont aussi essentiels et les comportements collectifs dominants sont orientés vers la veille externe, l’accumulation d’informations et la volonté de laisser s’exprimer sans censure toutes les idées, suggestions, apports et éléments d’expérience. L’ingénierie concourante, en associant dès l’amont toutes les compétences concourant à un produit ou un service, apparaît également comme un dispositif particulièrement utile pour accélérer le processus d’apprentissage (Midler, 1993a).

Phase d’exploration ou de création de compétences nouvelles Phase d’exploitation ou d’utilisation des compétences acquises Apprentissage Niveau de compétences sur le projet Temps Degrés de liberté d’action

Néanmoins, au fur et à mesure que le projet avance, les apprentissages se ralentissent. En effet, l’apprentissage continue à se développer, mais sa croissance est moins forte qu’au début du projet, car elle correspond à un processus de sédimentation continue d’informations et de connaissances nouvelles, sur des bases désormais acquises. Selon Picq (1999), en principe, plus le projet avance dans le temps, plus l’équipe acquiert et partage une expérience commune : ses membres apprennent à mieux travailler ensemble, à ne pas reproduire les erreurs du passé, à tirer profit des expériences réussies, etc. Le développement des compétences bascule alors d’une logique d’exploration à une logique d’exploitation (Charue- Duboc & Midler, 2001).

Cette première section nous a permis de montrer les liens forts qui existent entre compétences et projets dans les entreprises. Plus précisément, le projet est à la fois un lieu d’exploitation des compétences existantes et d’exploration de nouvelles compétences. Toutefois, dans le contexte concurrentiel actuel où l’innovation intensive et répétée joue un rôle fondamental (Chapel, 1997 ; Hatchuel & Weil, 1999), la structuration par projets pose des problèmes spécifiques au niveau du renouvellement des compétences de l’entreprise. En particulier, ce mode d’organisation conduit à la résolution des problèmes dans l’urgence, avec des fortes contraintes de résultat, de coûts, de délais et de qualité des produits et services délivrés. Dans ces conditions, un certain nombre d’auteurs voient, dans le climat d’urgence et de stress continu généré par les contraintes de délais imposées aux projets, un frein à la réalisation d’apprentissage de compétences nouvelles (Moisdon & Weil, 1996, 1997 ; Ben Mahmoud-Jouini, 1998, 2004 ; Weil, 1999 ; Bourgeon, 2001 ; Chanal & Mothe, 2005).

En particulier, Weil (1999) explique qu’en matière d’apprentissage organisationnel, parmi les deux formes qui s’offrent à l’entreprise, l’exploration et l’exploitation (March, 1991), les projets privilégient l’exploitation au détriment de l’exploration. En effet, afin de maîtriser le coût et le délai des projets, les acteurs privilégient l’exécution et la combinaison de solutions existantes et ne se lancent pas dans l’exploration de nouvelles compétences, consommatrices de temps et présentant de gros risques : le projet devient davantage « un art

d’exécution et de combinaison de solutions éprouvées qu’un art d’invention et d’exploration » (Moisdon & Weil, 1996, p. 27). Par exemple, lorsque les acteurs sont confrontés à un problème sur un projet, ils trouvent une parade à ce problème plutôt qu’une vraie solution, comme le fait de rajouter une masse pour absorber le bruit dans un véhicule plutôt que de mener une étude approfondie sur l’origine du bruit, faute de temps et de moyens (Moisdon &

Weil, 1997). De la même manière, pour Ben Mahmoud-Jouini (1998, 2004), quelle que soit la forme que prend la création ou le transfert de connaissances et compétences dans le cadre du projet, ce dernier ne peut pas, compte tenu de ses contraintes de coût, de délai et de focalisation sur un marché, être le lieu d’explorations risquées et consommatrices de ressources.

Dès lors, les acteurs tentent de limiter la création de nouvelles compétences dans les projets. Ces derniers ne peuvent donc, à eux seuls, assurer le renforcement des compétences de l’entreprise. Le maintien et le renouvellement des compétences nécessitent alors d’autres leviers d’action que le projet. Il convient dès lors de rechercher de nouveaux éléments proposés par la littérature, pouvant favoriser le développement des compétences en dehors des projets de conception de produits et services nouveaux.

3.2. L

E DEVELOPPEMENT HORS PROJETS DES COMPETENCES

:

L

IMPORTANCE

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