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1.2. P OUR UNE APPROCHE « RENOUVELEE » DU MANAGEMENT DES COMPETENCES : TRANSVERSALE , COGNITIVE ET DYNAMIQUE

1.2.1. La nécessité d’une approche transversale du management des compétences

Dans la première section de ce chapitre, nous avons présenté, de manière segmentéeet additive, le management des compétences à partir des trois niveaux d’analyse du concept de compétence (individuel, collectif et organisationnel). Toutefois, bien comprendre le management des compétences dans l’entreprise nécessite de préciser que ces trois niveaux ne sont pas indépendants, mais au contraire, étroitement liés. Comme le souligne Durand (2000), l’approche séquentielle des compétences oppose de façon stérile différentes facettes d’une même réalité organisationnelle. Dans ce paragraphe, nous proposons de montrer comment la littérature a fait de l’approche transversale des compétences individuelles, collectives et organisationnelles, une nécessité pour appréhender le management des compétences dans les entreprises.

Les premières tentatives ont surtout donné lieu à l’étude de l’articulation des niveaux micro et macro de la compétence (Dejoux, 1997 ; Muffato, 1998 ; Cavestro & al., 1999). En particulier, ces travaux soulèvent une série de questions sur les rapports existant entre GRH et stratégie à propos de la compétence. Comme nous l’avons présenté dans la première section de ce chapitre, le concept de compétence prend, en sciences de gestion, une place considérable dans deux disciplines : la GRH (cf. 1.1.1.6) et la stratégie (cf. 1.1.3.2). La GRH s’intéresse à la gestion des compétences individuelles (niveau micro). Le management stratégique s’intéresse, quant à lui, à la gestion des compétences organisationnelles (niveau macro)57. Ainsi, la notion de compétence pose un véritable problème d’étude, dans la mesure où elle est largement reconnue par les chercheurs spécialisés en GRH et en stratégie, mais sous des termes différents, ou plutôt à des niveaux différents. Toutefois, pour de nombreux auteurs (Dejoux, 1997 ; Cadin, 1997 ; Ferrary & Trépo, 1998 ; Guilhon & Trépo, 2000), la GRH et la stratégie apparaissent complémentaires vis-à-vis du concept de compétence. D’un côté, il est difficile de soutenir que les compétences individuelles ne font pas partie intégrante de la compétence organisationnelle (Nordhaug & Gronhaug, 1994 ; Cavestro & al., 1999). En effet, il nous semble inconcevable d’étudier les compétences d’une entreprise, sans

57 Cela ne veut pas dire que la stratégie omet le fait que l’individu puisse être porteur de compétence, voire

détenteur exclusif d’une ou de plusieurs compétences essentielles pour l’entreprise. En effet, pour de nombreux auteurs, les ressources humaines jouent un rôle crucial dans la performance des entreprises (Prahalad & Hamel, 1990 ; Nordhaug & Gronhaug, 1994). Toutefois, si une gestion des individus détenteurs de compétences est envisagée, elle reste secondaire par rapport à la gestion de la compétence organisationnelle. Comme le souligne Nordhaug (1994), le niveau micro de la compétence occupe une place très marginaledans le MRC.

longuement s’attarder sur les compétences de ses individus. En guise d’illustration, comment une technologie détenue par une entreprise pourrait-elle s’appliquer sans l’intervention d’individus ? Pourtant d’un autre côté, les compétences de l’entreprise ne sont pas réductibles à la simple agrégation des compétences individuelles qui la composent (Nelson & Winter, 1982 ; Lévy-Leboyer, 1996 ; Kusunoki & al., 1998), puisqu’elles concernent un grand nombre d’actifs tangibles et intangibles, qui ne sont pas nécessairement liés au travail. Nous reprenons ici les propos de Tarondeau & Wright (1995), pour lesquels « les compétences

organisationnelles ne sont pas spécifiques d’un poste de travail ou d’une personne mais résultent d’interactions entre individus, technologies et autres ressources au sein de l’entreprise » (ibidem, p. 116).

Aussi, nous pensons que l’articulation entre GRH et stratégie permettrait de réconcilier les visions individualiste et holiste des compétences. En effet, étudier de façon antinomique les compétences individuelles et les compétences organisationnelles conforte l’opposition usuelle entre d’une part, l’approche « individualiste »58 qui appréhende la compétence à partir de l’activité cognitive des individus dans l’organisation, et d’autre part, la position « holiste »59 qui personnifie l’organisation et appréhende la compétence à partir de systèmes organisationnels comme les technologies, les pratiques, les routines, les procédures, les structures de l’entreprise ou encore la culture organisationnelle. En d’autres termes, la GRH opterait pour une vision individualiste de la compétence puisqu’elle est confrontée en permanence à des pratiques individuelles de gestion, alors que la stratégie s’apparenterait à la position holiste, dans la mesure où elle s’intéresse à des questions qui concernent l’orientation de l’entreprise dans son ensemble. Pour dépasser l’opposition entre individualisme et holisme, Giddens (1987) propose une articulation du sujet (l’agent humain compétent) et de l’objet (la société) comme les deux faces, indissociables, du système social. Dès lors, « l’objet d’étude

par excellence des sciences sociales est l’ensemble des pratiques sociales accomplies et ordonnées dans l’espace et dans le temps, et non l’expérience de l’acteur individuel ou l’existence de totalité sociétale » (ibidem, p. 50). Articuler les niveaux micro et macro de la compétence reviendrait alors à placer dans une logique de complémentarité, et non plus oppositionnelle, la GRH et la stratégie.

58 L’approche « individualiste » considère que la société résulte de l’agrégation des actions individuelles qui la

composent, chaque individu poursuivant des buts qui lui sont propres et non les buts officiels de l’entreprise.

59 Le holisme repose sur le postulat suivant lequel la société forme un tout, une entité originale, différente de la

C’est dans cette perspective que la question de la cohérence entre GRH et stratégie intéresse de nombreux chercheurs (Lado & Wilson, 1994 ; Kamoche, 1996 ; Dejoux, 1997 ; Castro & al., 1998 ; Muffato, 1998 ; Wright & al., 2001)60. Selon Aubret & al. (2002), un niveau intermédiaire fait défaut : « c’est celui qui permettrait précisément de voir comment

les deux approches de la compétence pourraient avoir intérêt à se combiner et à rétroagir l’une sur l’autre » (ibidem, p. 79). D’après Ferrary & Trépo (1998), ainsi que Guilhon & Trépo (2000), l’articulation entre GRH et stratégie prend tout son sens à travers la notion de compétence collective, mise en scène par le management de proximité. Comme nous l’avons présenté dans la première section (cf. 1.1.2), la littérature offre une définition de la compétence collective qui apparaît à l’intersection entre les niveaux individuel et organisationnel de la compétence. Ce constat ne fait que renforcer l’intérêt de poursuivre les recherches sur les compétences collectives, en les considérant au cœur de l’articulation entre compétences individuelles et compétences organisationnelles, autrement dit les garants du décloisonnement entre GRH et stratégie.

Toutefois, les études reliant les trois niveaux d’analyse de la compétence souffrent d’une relative faiblesse dans la littérature. Kusunoki & al. (1998) déplorent, à cet effet, le nombre limité d’études qui analysent la compétence comme un construit multidimensionnel. D’ailleurs, seuls quelques travaux traitent de manière conjointe les niveaux individuel, collectif et organisationnel de la compétence (Nordhaug, 1994, 1996 ; Géniaux, 1999 ; Dejoux, 2000 ; Durand, 2000 ; Rouby & Solle, 2002).

C’est à Nordhaug (1994, 1996) que nous devons les premières recherches sur l’approche transversale des compétences. L’auteur, qui appartient à l’école norvégienne d’économie et d’administration des affaires (Norvegian School of Economics and Business

Administration), cherche à fournir une perspective intégrative des compétences, à tous les niveaux d’analyse. Avant d’exposer la représentation de l’approche transversale des compétences proposée par Nordhaug (1996), nous proposons de revenir sur les définitions qu’il donne pour chacun des niveaux d’analyse de la compétence :

60 D’ailleurs, le modèle des ressources et des compétences offre un cadre d’analyse pour une littérature

émergente en management stratégique des ressources humaines (Lado & Wilson, 1994 ; Kamoche, 1996 ; Wright & al., 2001). Ces travaux examinent principalement comment les pratiques en ressources humaines et les relations professionnelles affectent l’avantage concurrentiel, comment en particulier elles facilitent ou freinent le développement et l’utilisation de compétences, ou encore comment les dirigeants et l’encadrement contribuent à la performance de l’entreprise (Lamarque & Lamarque, 2003).

• les compétences individuelles sont composées des connaissances, capacités et aptitudes des individus, lesquelles sont utilisées ou seront utilisées par les employés en situation de travail ;

• les compétences collectives sont composées de connaissances, de capacités et du code génétique d’une équipe ;

• les compétences organisationnelles sont définies comme les connaissances, les capacités et le code génétique d’une organisation. Nordhaug (1996) définit le code génétique d’une entreprise comme l’ensemble des « opportunités et limites intrinsèques à l’organisation

dès sa conception et qui restent largement indépendantes du développement des connaissances et capacités de l’entreprise » (ibidem, p. 212)61. L’auteur précise également que le code génétique d’une entreprise se réfère généralement à la culture organisationnelle, considérée comme l’équivalent des aptitudes pour les individus.

Pour Nordhaug (1996), ces trois niveaux d’analyse de la compétence ne sont pas indépendants les uns des autres. Au contraire, il considère « qu’il existe un besoin apparent de

mener des recherches au niveau théorique sur le concept de compétence tel qu’il se développe au sein des organisations en incluant les relations qui peuvent exister entre les micro, méso et macro niveaux d’analyse » (ibidem, p. 193)62. Pour l’auteur, ces trois niveaux d’analyse de la compétence sont en interaction de façon continue et s’enrichissent mutuellement. Le schéma exposé ci-après illustre ces relations (cf. schéma 1.4).

61 « (…) opportunities and limitations defined at the time of their conception and foundation that are largely independent of the organization’s subsequent development of knowledge and skills » (Nordhaug, 1996, p. 212).

62 « (…) there is an apparent need to establish a common conceptual ground for the study of competence in organizations, including links between the micro, meso, and macro levels of analysis » (Nordhaug, 1996, p. 193).

Schéma 1.4. Représentation des synergies entre les différents niveaux d’analyse du concept de compétence

Cette représentation dépeint les synergies qui s’effectuent entre les trois niveaux d’analyse de la compétence. Nordhaug (1996) souligne non seulement l’existence d’influences directes entre les différents niveaux de compétence mais il insiste également sur l’existence d’une hiérarchie entre ces niveaux. En effet, selon l’auteur, il apparaît « un

phénomène d’agrégation et de transformation des compétences individuelles en compétences collectives comme, plus tard, il est possible d’observer ce même phénomène d’agrégation et de transformation de ces deux catégories de compétences en compétences organisationnelles » (ibidem, p. 210)63. En d’autres termes, les compétences individuelles des salariés s’agrègent en compétences collectives, lesquelles participent à l’élaboration des

63 « (…) a conception of the aggregation and transformation of individual competence into team competence, and, furthermore, the aggregation and transformation of these into organizational competence » (Nordhaug, 1996, p. 210).

Compétences organisationnelles

Connaissances

organisationnelles organisationnelles Capacités Code génétique de l’organisation

Compétences d’une équipe

Connaissances

d’une équipe Capacités d’une équipe

Code génétique d’une équipe

Compétences individuelles

Connaissances

individuelles individuelles Capacités individuelles Aptitudes

compétences organisationnelles de l’entreprise. Comme le soulignent judicieusement Lamarque & Lamarque (2003), la logique retenue par Nordhaug (1996) est donc une démarche « bottom-up », partant du niveau individuel, puis collectif, pour arriver au niveau organisationnel, et ceci par agrégations successives. Cependant, cette démarche n’analyse pas le passage du niveau organisationnel au niveau individuel, pour montrer comment l’entreprise peut induire le développement de certaines compétences individuelles (démarche « top-

down »).

Dans la lignée des travaux de Nordhaug (1994, 1996), d’autres auteurs ont également mis en avant l’importance d’une approche transversale des compétences. Selon Géniaux (1999), les trois niveaux de la compétence sont en interaction permanente. Cette interaction aboutit à un enrichissement mutuel, ce qui rend leur analyse isolée peu pertinente et renforce encore la difficulté d’avoir une vision claire de la notion de compétence. Dejoux (2000) considère qu’à la fois aux niveaux théorique et empirique, il est important de privilégier une analyse transversale de la compétence qui est représentative d’une mise en réseau des différents savoirs de l’entreprise. Rouby & Solle (2002) prônent également une approche non segmentée des compétences individuelles, collectives et organisationnelles. En outre, selon ces auteurs, une lecture transversale de la thématique des compétences conduit les entreprises à décloisonner leurs fonctions et à s’interroger sur les modalités de leur recouplage, tel que celui de la GRH et de la stratégie64.

Toutefois, bien que ces différents travaux recommandent une approche transversale des compétences reliant les micro, méso et macro niveaux d’analyse, ils ne détaillent pas la nature de leurs relations. En fait, le travail sur l’articulation des niveaux d’analyse de la compétence n’en est qu’à ses prémisses en sciences de gestion. Dès lors, il émerge un besoin apparent de développer des recherches prenant en compte les relations entre les trois niveaux de compétence, et notamment de s’interroger sur le « comment ? » de l’articulation de ces derniers.

En résumé, à l’inverse de l’approche « classique » du management des compétences, laquelle est majoritairement présentée dans la littérature comme une approche segmentée et

64 Selon Lecocq (2002), le cloisonnement et le découpage fonctionnel (marketing, finance, contrôle de gestion,

gestion des ressources humaines, stratégie, etc.) adopté par les gestionnaires pour diviser leur champ d’étude constitue un frein au développement de travaux sur l’articulation des niveaux d’analyse d’un concept.

additive des compétences individuelles, collectives et organisationnelles, nous considérons que l’analyse des compétences au sein des entreprises ne peut être réduite à la simple agrégation de ces niveaux, c’est-à-dire se superposant les uns aux autres sans s’enrichir mutuellement par interactions dynamiques. Au contraire, les trois niveaux de compétence ne sont pas indépendants, mais interagissent les uns les autres d’une façon itérative et continuelle. Dès lors, nous considérons, à l’instar de nombreux auteurs (Nordhaug, 1996 ; Géniaux, 1999 ; Dejoux, 2000 ; Durand, 2000 ; Rouby & Solle, 2002), qu’une approche transversale du management des compétences reliant les micro, méso et macro niveaux d’analyse de la compétence s’avère essentielle. A côté de cette nécessité d’une approche transversale du management des compétences, nous considérons également que le management des compétences et le management des connaissances doivent être pensés de manière intégrée. C’est ce que nous allons voir dans le prochain paragraphe.

1.2.2. Management des compétences et Knowledge Management : vers une

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