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2.2 Un regard dans le pr´ esent

2.2.5 Les occupations La culture du poivron

Le regard du promeneur tombe sur quelques petits ´etalages improvis´es dispers´es au bord de la route principale ; ils proposent au passant ´etranger un assortiment de l´egumes typique : avant tout, une grande vari´et´e de poivrons et de piments, puis des aubergines, des choux et des tomates.

L’occupation pr´edominante des gens est l’agriculture et la culture du poivron. Le poivron est devenu la sp´ecialit´e de ces villageois, qui ont commenc´e `a s’en occuper pendant la p´eriode communiste, les grands terrains ´etant collectivis´es, donc appar-

tenant `a l’Etat. Dans les derniers 30-40 ans il est devenu tr`es habituel, dans presque toute la r´egion de la plaine d’Arad, de s’occuper de culture des l´egumes, activit´e adapt´ee aux petites surfaces autour des maisons de campagne (0,30-0,50 ha). Il y a aussi des parcelles, des lieux intra-muros vides, qui sont utilis´ees exclusivement comme jardins de l´egumes mais sont susceptibles de devenir des terrains construc- tibles pour une nouvelle maison ou une ferme destin´ee `a accueillir une nouvelle famille (d’habitude, les enfants de la famille propri´etaire).

Mˆeme si ses membres travaillaient dans diff´erents domaines professionnels, la petite ferme familiale ´etait, pendant le communisme, la majeure source d’argent pour une famille paysanne, en l’absence de grande propri´et´e agricole ; elle le reste encore aujourd’hui. Il est habituel que les ouvriers industriels et les intellectuels (comptables, assistantes m´edicales etc.) viennent `a la maison, apr`es leur travail, pour cultiver leur jardin.

Etant situ´e dans le p´erim`etre de la maison, le potager occupe presque tous les membres de la famille aptes au travail, enfants et vieilles personnes `a ´egalit´e. Il s’agit donc d’une occupation domestique.

La culture de poivron, qui concerne environ 2/3 des foyers, est une culture g´en´eralement de plein air, dans les jardins derri`ere les annexes de la maison. Il s’agit d’une surface pouvant aller jusqu’`a 0,50 ha, avec de 2000 `a 5000 plants de poivron de trois esp`eces : le poivron vert, le poivron rouge (”kapya”) et le piment.

La culture du poivron mobilise la famille d`es la fin de l’hiver, quand on pr´epare la planche de terreau pos´ee sur une couche chauffante compos´ee d’un m´elange de fumier et de tiges de ma¨ıs bris´ees. Sur cette planche de terreau, on commence `a planter les grains `a la fin de f´evrier ou au d´ebut mars. Les graines proviennent g´en´eralement de la maison, s´electionn´ees `a partir des meilleurs poivrons de l’ann´ee pr´ec´edente. Apr`es la p´eriode de germination, les plantes sont repiqu´ees dans le jardin, un mois et demi plus tard. Une femme m’a dit qu’elle d´ecide de la p´eriode du repiquage en examinant le moment o`u la feuille de la plante peut ˆetre roul´ee sur le doigt sans se casser. L’arrosage est g´en´eralement assur´e par un syst`eme d’irrigation

connect´e `a une source d’eau motoris´ee, propre `a la famille. Pour un tel jardin, le r´eseau d’eau courante est insuffisant.

A partir de la fin de juin, et jusqu’en automne, la famille est mobilis´ee pour la commercialisation de la production sur les march´es des villes environnantes et des grandes villes plus ´eloign´ees. C’est une ´etape dure, peut ˆetre la plus difficile, qui sollicite beaucoup chaque famille, qui doit se d´ebrouiller seule pour vendre ses produits. Ceux qui ont des voitures parcourent, deux `a trois fois par semaine, des centaines des kilom`etres vers les grandes villes des autres d´epartements, l`a o`u le prix est le plus attirant et o`u ils peuvent vendre rapidement la r´ecolte pour pou- voir retourner vite `a la maison et continuer le travail. On a souvent l’habitude de s’associer pour aller ensemble au march´e.

Ces derniers temps, pour ´echapper au fardeau de la commercialisation du poi- vron, les paysans vendent `a des interm´ediaires ou `a des grossistes, `a un prix plus bas. Les centres de collecte ou les coop´eratives sont inexistants. Il existe aussi une pratique qui consiste `a transformer le piment en poudre, et `a le vendre ainsi. On peut retrouver les mˆemes cultures en serre, mais le cycle de production est plus court et plus pr´ecoce et, de ce fait, les produits sont plus chers. Dans un tel jardin, on peut retrouver une rotation de deux cultures par an. Dans le jardin, une parcelle est presque toujours r´eserv´ee pour les autres l´egumes n´ecessaires `a la consommation interne : tomates, choux, aubergines et d’autres plantes potag`eres.

En parall`ele, les propri´etaires de terrains arables, se livrent `a la culture des c´er´eales : principalement du ma¨ıs et du bl´e puis de l’orge et de l’avoine. Les vignes et les vergers ont une surface peu importante (on les estime, d’apr`es les paysans ˆ

ag´es, `a une dizaine d’hectares) Les travaux commencent en automne et finissent l’´et´e et l’automne suivants. La majorit´e des paysans ne poss`edent pas d’outillage agricole ; ils payent donc les services de ceux qui en ont : d’autres villageois, ou la soci´et´e de services agricoles ”Servagromec”- l’ancienne C.A.P. L’´elevage des animaux se pratique dans la mˆeme ferme de la mˆeme mani`ere, mais son importance est secondaire. Les cochons ont, de loin, la pr´edominance ; puis viennent les volailles,

les boeufs, les moutons et les chevaux.

En l’absence d’´etudes statistiques r´ecentes, en s’appuyant sur l’observation di- recte et sur les t´emoignages recueillis sur le terrain, on peut porter une appr´eciation principale sur l’´etat de la r´epartition des occupations dans le foyer en fonction du sexe. Les femmes sont de pr´ef´erence, charg´ees de la culture des l´egumes et de leur vente sur les march´es paysans, tandis que les hommes se consacrent `a l’´elevage des animaux et au travail des grandes surfaces (extra-muros) avec les outillages ad´equats. De plus, on sait que dans les entreprises ´etrang`eres en bordure du vil- lage a ´et´e recrut´e un personnel de moins de 40 ans, et en grande majorit´e compos´e femmes.

Il est int´eressant d’´etudier la division des occupations agricoles en fonction de l’origine des villageois. Les natifs de l’endroit s’occupent en grande partie de la culture potag`ere et c´er´eali`ere (ils sont propri´etaires des plus grands terrains), tan- dis que les ”´etrangers” (venus en grande partie du d´epartement de BistriT¸ a) s’oc- cupent d’´elevage de chevaux et de diff´erents transports avec des chariots `a traction animale. Les gitans ont, dans une certaine mesure, les occupations de la population roumaine : cultures des poivrons, ´elevage des chevaux. Les gitans gardent rarement longtemps un emploi. N´eanmoins, le premier ´etalage de l´egumes qu’on peut voir `a l’entr´ee du village en venant Sˆıntana, appartient `a un foyer gitan, J.M., un des nos interlocuteurs.

Au fil du temps, les gens de Caporal Alexa se sont sp´ecialis´es dans la culture du poivron. La composition du terroir et l’accumulation des connaissances ont fait que la grande majorit´e des fermes ont adopt´e la culture de poivron. Il existe peu d’autres cultures `a cˆot´e de celle-l`a. Cette sp´ecialisation spontan´ee a lentement engendr´e un savoir faire transmis au sein de la famille `a travers les g´en´erations. Ce savoir faire, souvent transform´e en secret de famille, constitue aujourd’hui encore un ´el´ement important dans la d´etermination des trajectoires de la jeune g´en´eration. Dans la continuation de ces occupations agricoles, interviennent deux facteurs : d’un cˆot´e, l’influence du contexte socio-´economique de la Roumanie actuelle qui, `a long terme,

est cens´e changer : le chˆomage, l’impossibilit´e de se livrer `a une nouvelle activit´e, d’avoir une maison ou une ferme, la cohabitation tr`es fr´equente de trois g´en´erations d’une mˆeme famille dans la mˆeme maison. De l’autre cˆot´e, l’influence des relations avec les parents, dans le sens du respect des valeurs inculqu´ees depuis l’enfance. Le travail du jardin avec ses difficult´es, ses secrets et son apport `a la r´eussite g´en´erale de la famille (et `a sa renomm´ee) est souvent per¸cu comme une partie de l’h´eritage familial qui est une garantie du bien ˆetre ult´erieur de la famille.

Lequel des deux aspects sera le plus d´eterminant `a l’avenir ? Il est difficile de le dire pour l’instant. Pourtant quelques ´el´ements nous permettent d’´emettre quelques hypoth`eses.