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3.1 Le village et la paroisse de Nemt¸i¸sor

3.1.6 Un jour liturgique ` a Nemt¸i¸sor

L’´etude de terrain `a Nemt¸i¸sor a ´et´e men´ee pendant l’´et´e 2003, durant 2 semaines. Nous avons eu la possibilit´e de connaˆıtre le village par l’interm´ediaire d’un ami ayant ici des parents, et tout d’abord le recteur du village, le prˆetre E. A. Le premier jour, j’ai ´et´e accueilli par le recteur ; ensuite, pendant tout le s´ejour, j’ai ´et´e h´eberg´e par une famille du village.

Le recteur E., a ´et´e nomm´e ici il y a 7 ans. Il habite dans la ville de Tˆırgu Neamt¸, `a 15 Km environ du village l`a o`u il poss`ede une maison. Dans la petite ville provinciale, il est connu dans le voisinage. Au moment de notre arriv´ee, nous ´etions amen´e `a demander dans la rue, o`u habite le prˆetre E. : nous ´etions tout suite dirig´e vers sa r´esidence par les habitants de la ville de Tˆırgu Neamt¸.

Nous sommes all´e `a Nemt¸i¸sor, le lendemain soir, accompagnant le prˆetre dans sa voiture, pour les Vˆepres d’une fˆete pendant la semaine. C’´etait notre premier contact direct avec le village et avec l’´eglise orthodoxe du village. L’office ´etait fix´e `

a 19 h ; nous sommes arriv´es avec une dizaine de minutes de retard. Dans la rue, `a cˆot´e de l’´eglise, tous les gens rencontr´es salu`erent avec respect le prˆetre qui, `a son tour, engagea de petits dialogues informels avec eux. Il y avait dans ces dialogues une sorte de complicit´e entre eux ; le prˆetre est un des leurs, mais en mˆeme temps il est diff´erent ; il est trait´e avec attention et respect dans les discussions. De ce point de vue, c‘est un personnage public reconnu.

Dans la cour de l’´eglise, il y avait le sacristain, ´egalement charg´e des affaires administratives des locaux, et quelques fid`eles qui travaillaient pour l’am´enagement d’une sorte de r´efectoire. Il s’agissait d’une construction toute neuve, `a 30 m`etres du bˆatiment de l’´eglise, de forme rectangulaire ; avec, `a l’int´erieur, une salle couverte de peintures eccl´esiastiques. Le rˆole de ce bˆatiment, pourvu d’une cuisine et d’une grande salle, est d’accueillir les invit´es pendant les ´ev´enements importants, les fˆetes, ou pour les diff´erentes r´eunions de la paroisse. Ce type de r´efectoire d´ecor´e d’icˆones, sp´ecifique du milieu monastique, est assez rare dans les paroisses. Le sacristain explique avec une ´evidente fiert´e que tout ce qui a ´et´e r´ealis´e, l’a ´et´e grˆace au travail et `a l’argent des fid`eles.

Fig. 3.7: Le bˆatiment du nouveau r´efectoire.

A l’int´erieur de l’´eglise, dans la stalle, de droite, 8 `a 10 jeunes adolescents, gar¸cons et filles, sont charg´es du chant liturgique pendant les offices. Parmi eux, trois jeunes dirigent les chants. Nous allons apprendre par la suite que tous trois suivent des ´etudes de th´eologie, `a diff´erents niveaux. Dans l’´eglise, environ 7 hommes

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ag´es et 15 femmes de tous ˆages ; tous arrivant un par un, pendant le premier quart d’heure. Les femmes, pour la plupart (surtout les plus ˆag´ees), ont la tˆete couverte d’une sorte de foulard. Apres avoir embrass´e les icˆones et allum´e des bougies devant l’autel, chacun prend place dans l’´eglise.

Il n’y a des chaises que le long des murs de l’´eglise. Chacun un a sa place r´eserv´ee, assign´ee, et ce depuis des ann´ees de pratique cultuelle dans la mˆeme ´eglise. Chacune des chaises plac´ees `a l’avant porte une inscription avec le nom de celui qui l’occupe de droit, le ” titulaire ” de la chaise. Les hommes occupent la partie avanc´ee de l’´eglise, devant l’autel, et les femmes la partie arri`ere. On peut observer qu’il y a une pr´esence des hommes plutˆot `a droite et des femmes, plutˆot `a gauche.

Si la stalle de droite est occup´ee par les chantres et par les jeunes, la stalle de gauche est occup´ee par les vieux du village. Les stalles plac´ees tout pr`es de l’entr´ee dans l’autel sont les lieux les plus valorisants pour les fid`eles ; viennent ensuite le mi- lieu de l’´eglise, et en dernier, l’entr´ee dans l’´eglise. Il y a donc, ici aussi, une hi´erarchie entre les fid`eles du village, exprim´ee par leur place dans l‘´eglise. Il semblerait qu’il

s’agisse d’une hi´erarchie qui va de soi, qui s’impose comme une coutume, sans ˆetre tout a fait fixe ou rigide. On peut voir des jeunes filles qui participent au chant dans la stalle de droite, `a cˆot´e des chantres et des th´eologiens, ainsi que de petits enfants `

a cˆot´e de leur grand-p`ere dans la stalle de gauche. Pour les besoins pratiques pen- dant l’office (changer les bougies, ouvrir les portes de l’autel etc.) quelques fid`eles exp´eriment´es remplissent spontan´ement la fonction de sacristain.

Fig. 3.8: La stalle gauche des vieux du village.

Au fur et `a mesure qu’ils arrivent dans l’´eglise, les gens se saluent au moment de la rencontre12, et les plus proches s’embrassent. D´etail int´eressant, observ´e pen- dant l’office : certaines personnes, hommes et femmes, qui arrivaient dans l’´eglise, saluaient les hommes ˆag´es et embrassaient ensuite leur main droite. On n’a pu ob- server ce geste que chez les personnes d’ˆage mˆur, pas chez les jeunes. C’est un aspect significatif de la relation entre g´en´erations et les changements en cours.

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Le salut utilis´e dans cette ´eglise est que Dieu nous aide ! ; il est souvent suivi d’autres propos habituelles : ¸ca va bien ? etc.

Le sacristain apparaˆıt, habill´e de noir, quelques jeunes de la stalle sont en blue- jeans. Mˆeme attention pour le chant eccl´esiastique qu’`a Caporal Alexa ; mais l’office, mˆeme si c’est en principe le mˆeme, est ici plus complexe, plus riche dans les d´etails pratiques du rite. Nous avons pu observer aussi que l’agenouillement ´etait plus fr´equent, les fid`eles le faisant `a divers moments de l’office. Mˆeme si ce n’est pas un geste automatique, certains fid`eles pouvant rester debout, cela reste un geste collectif. Pendant le d´eroulement de l’office, chaque fid`ele semble bien connaˆıtre son rˆole et sa place, gestes et mouvements ´etant accomplis sous le regard de tous les autres.

Tout le d´eroulement du rituel de l’´eglise semble bien d´efini et accompli en com- mun. Du coup, chaque geste ´etranger et de plus, chaque personne ´etrang`ere se font remarquer ; ils n’´echappent pas `a l’attention de ceux qui sont depuis longtemps dans l’´eglise, les vieux du village, ou ” les vieillards ” comme les appellent les jeunes, qui ont une sorte de ” savoir faire ” dans l’´eglise et qui veillent avec autorit´e sur ce qu’il faut faire. Ce savoir quant au ”quoi faire” dans l’´eglise, est transmis et r´egul´e par imitation ou, parfois, par voie orale. A la fin, le prˆetre dit quelques mots sur la fˆete et il r´epond aux diff´erentes sollicitations des fid`eles. Il y a 6 personnes pour la Confession.

Le lendemain, pendant la Liturgie, il y avait beaucoup plus de monde dans l’´eglise. Une queue s’est form´ee devant l’autel pour donner au prˆetre les diptyques13 accompagn´es des bougies.

Les litanies du prˆetre contiennent en priorit´e des demandes de sant´e et, en second lieu, d’aide pendant les temps de chagrin, puis pour la prosp´erit´e, pour ”l’abondance des fruits de la terre et pour des temps paisibles ”, pour l’aide dans le service militaire, pour trouver un travail, pour l’entente dans la famille ou pour le succ`es dans les ´etudes. Le sermon est toujours un ´el´ement central de l’office. Une dizaine de personnes ont pris la Communion, un autre moment central de l’office.

13Dyptique=les noms des personnes pour qui on veut que le prˆetre fasse une pri`ere. Les noms

sont ´ecrits sur une feuille de papier et ensuite, accompagn´es par une bougie ou par un petit don, ils sont donn´es au prˆetre.

Fig. 3.10: Les offrandes apport´ees `a l’autel, plutˆot par des femmes ; bougies, argent, aliments, accompagnent les diptyques personnels.

Apr`es l’office, le prˆetre a expliqu´e la raison de ma pr´esence et les fid`eles exer¸cant des responsabilit´es dans l’´eglise (dans la stalle et le sacristain) nous ont prˆet´e la mˆeme attention qu’`a un ´etranger. Ils engagent tout de suite apr`es une discussion sur le fait qu’il manque des postes de travail. Le chantre a 21 ans et il cherche du travail parce qu’il ne gagne pas beaucoup `a l’´eglise. Les probl`emes sont ´enum´er´es l’un apr`es l’autre : il y a 22 bars dans le village, les ateliers de caoutchouc, la scierie ´

electrique ou la valorisation du lait sont en d´eclin, la majorit´e des jeunes sont partis en Italie, en Espagne ou en Gr`ece. ” Mais ¸ca va pas aussi mal ” conclut I, le jeune chantre. Nous avons appris ainsi qu’il n’y a qu’une famille exog`ene ´etablie dans le village : des intellectuels venus de Bucarest.

Le sacristain V. tient `a ajouter que tout ce qu’on a r´eussi `a construire autour de l’´eglise, on le doit `a l’ambition du prˆetre E. qui a su mobiliser les gens du village, quelques fois avec des paroles insistantes pour qu’ils se sentent concern´es par les projets de la paroisse. Il dit qu’ils ont eu aussi de la chance d’avoir diff´erents maˆıtres constructeurs parmi les villageois qui ont offert de leur temps.