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L’organisation administrative, les conditions sociales et ´ economiques

3.1 Le village et la paroisse de Nemt¸i¸sor

3.1.4 L’organisation administrative, les conditions sociales et ´ economiques

Du point de vue administratif, le village fait partie de la commune de Vˆın˘atori, d´epartement de Neamt¸ depuis 1952, date de la r´eorganisation de l’administration territoriale par l’Etat communiste. Il y a un poste de Police et de Poste. L’´ecole pu- blique assure l’´education jusqu’au niveau secondaire, avec une seule classe d’´el`eves par ann´ee d’´etude. Une salle au centre du village a ´et´e construite pour servir d’ins- titution culturelle, mais l’´etat du bˆatiment prouve la d´esaffectation `a l‘´egard de ce type d’activit´es. Aucune autre institution de l’Etat n’est repr´esent´ee dans le village. Les quelques boutiques, ´epiceries et bars sont presque tous am´enag´ees dans des maisons ou des cours priv´ees.

Le plan urbanistique situe le bˆatiment de l’´eglise au centre du village, la centra- lit´e spatiale et symbolique ´etant partag´ee avec l’´ecole et le poste de Police. Il y a pr`es de 200-300 m`etres entre elles. A Nemt¸i¸sor, le cimeti`ere s‘´etend tout autour des

murs de l’´eglise. Un ´el´ement distinctif des villages de la province de Moldavie est que presque tous les cimeti`eres sont plac´es dans la cour des ´eglises, tandis que, en Transylvanie, ils sont plac´es de pr´ef´erence `a la p´eriph´erie des localit´es ; c‘est le cas `

a Caporal Alexa.

Le fait que les morts soient enterr´es au milieu du village n’est pas indiff´erent, en ce qui concerne la vision du monde des villageois et leurs repr´esentations. A de rares exceptions pr`es, les villageois sont tous enterr´es ici. Les morts ne quittent donc pas le village, ils continuent d’appartenir au village. Les morts font partie de la vie de leurs descendants. La proximit´e physique des morts et la communion du village avec eux a, comme effet profond, de rendre presque tangible la continuit´e avec le pass´e.

Nous consid´erons qu’autour du cimeti`ere se joue, d’une mani`ere traditionnelle et coh´erente, une partie importante du rattachement de l’individu `a une filiation familiale et collective.

Une partie importante de la m´emoire r´ecente des familles et de tout le village se conserve `a travers les coutumes et pratiques comm´emoratives dans le cimeti`ere, cir- conscrites, g´en´eralement, par la paroisse. Les pratiques fun´eraires, tr`es d´evelopp´ees, et tr`es r´egl´ees collectivement, que nous avons observ´ees dans le cimeti`ere de ce vil- lage, nous incitent `a penser que, aujourd’hui encore, le culte des morts assure la transmission d’un h´eritage identitaire.

Les maisons commencent `a se r´epartir depuis le pi´emont de la colline jusqu’`a la plaine dans la direction Nord-Sud. La disposition des rues et des maisons est caract´eristique des villages moldaves et montagnards.

Il n’y a aucune r´egularit´e dans la disposition des maisons. Les rues sont sinueuses. Il semblerait qu’il manque un principe d’organisation unitaire, dans le plan du village. Les maisons du village sont toutefois group´ees, et les rep`eres qui marquent la centralit´e sont l’´ecole et l’´eglise et la rue principale du village qui les lie. Mˆeme s’il n’y a pas une centralit´e spatiale parfaite comme dans le cas de Caporal Alexa, les limites du village sont toujours li´ees au centre. La rue principale, qui est comme une

Fig. 3.4: Apr`es un enterrement, la famille distribue aux villageois de la nourriture traditionnelle (”Coliva”) devant la porte de l’´eglise de Nemt¸i¸sor.

prolongation de la route qui lie le village `a la nationale 15B, serpente en fonction des formes du relief ou en fonction de l‘emplacement des maisons. En fait, `a cause de ses nombreuses ramifications plus larges ou plus ´etroites, la rue principale devient moins rep´erable, pour un ´etranger, `a un moment donn´e. Dans ce type de village, o`u manquent une r´egularit´e et une centralit´e spatiales semblable a celle de Caporal Alexa, les rep`eres sont de l’ordre des repr´esentations spatiales, souvent symboliques, comme l’indique le langage des villageois : ”`a l’´eglise ”, ” en marge ”,” en haut ”, ”en vall´ee ”, etc.

Les maisons, dans la plupart des cas, sont en pierre, avec des annexes en bois, et le toit en tˆole. Dans les nouvelles constructions ou am´enagements r´ecents trans- paraˆıt l‘aisance et la richesse de villageois habitu´es `a la propri´et´e ou aux activit´es priv´ees ; c’est surtout vrai depuis la R´evolution, mais c’´etait aussi le cas avant. L’as- pect ext´erieur des maisons et des fermes t´emoigne de la place accord´ee au travail domestique, de l’aisance, de la propri´et´e.

En fait, durant notre s´ejour dans le village, nous avons pu observer que le travail et l’argent disponibles au sein des foyers servent `a l’am´enagement des maisons et des fermes annexes. Dans les ann´ees d’apr`es la R´evolution, on observe un d´esir de construire, de se d´evelopper, de s’´epanouir vers l’ext´erieur ; c’est comme une sorte de lib´eration apr`es l’enfermement et les restrictions communistes. Le sentiment de propri´et´e est assez ´evident, `a voir le souci des villageois de d´elimiter leurs fermes ou leurs parcelles arables r´ecemment acquises.

Dans un petit village comme celui-ci, apparaˆıt en outre le ph´enom`ene d’imita- tion dans les am´enagements ext´erieurs. On peut distinguer les mˆemes formes ou mat´eriaux dans la construction des maisons, les mˆemes commodit´es, des appareils ou des voitures semblables. On peut discerner ainsi une sorte de mode propre au village, justement par le biais de l’imitation ; celle-ci cr´ee une sorte de ” mod`ele collectif ”. Une ou deux familles plus ais´ees introduisent ” les nouveaut´es ” dans le village : mat´eriels, appareils, voitures, techniques etc. Ensuite le village en prend une connaissance directe, on en parle avec les propri´etaires, souvent mˆeme on les

essaye. D’autres villageois ach`etent les mˆemes choses et ” la nouveaut´e ” est va- lid´ee par le village. Ainsi quelques familles ais´ees, jouissant d’une bonne r´eputation, constituent le mod`ele `a suivre, donnent le ton. Mˆeme si les id´ees entrent dans le village par plusieurs voies (mass media, voyages, etc.), pour qu’une id´ee nouvelle soit adopt´ee dans le village en tant que communaut´e, elle doit, dans la plupart des cas, ˆetre d’abord mise en pratique par une ” famille exemple ”. Elle doit d‘abord ˆ

etre rendue visible pour ensuite devenir cr´edible.

Il faut dire que cette imitation se manifeste, `a diff´erents niveaux, en fonction des possibilit´es de chacun. De l`a une in´evitable concurrence, ou plutˆot une comp´etition entre les villageois, non sans jalousie et critique `a l’´egard des ” mod`eles ”. Nous avons pu entendre des propos tels que : ” T’as vu, qu’est ce que X a pu acheter encore ? Je l’ai vu hier quand il l’a apport´e `a la maison. C’est une grande tondeuse, je crois... Je ne sais pas o`u il l’a achet´e. J’ai entendu qu’elle est allemande... Ca doit coˆuter cher. Mais comment a-t-il autant d’argent ? Il fait toujours des magouilles... ”

Une partie du village ne peut pas participer `a cette dynamique imitative : c’est la partie qui lutte pour pouvoir conserver son faible niveau de vie, ou pour survivre. Il faut pr´eciser ici qu’un ´el´ement valorisant, au regard de la mentalit´e villageoise, est constitu´e par les ´etudes. La reconnaissance professionnelle et intellectuelle est un bien jug´e tr`es enviable, par toutes les cat´egories de gens, qui souvent investissent toute leur ´energie et leurs ressources ´economiques pour que leurs enfants puissent r´eussir grˆace aux ´etudes. Une partie des villageois nous ont dit qu’ils n’ont rien pu investir dans l’am´enagement de la maison car ils n’ont pu faire aucune ´economie pendant les ´etudes de leurs enfants. Les paysans et les ouvriers ´etant largement majoritaires dans la composition de la population, dans la plupart des cas r`egne chez eux la pens´ee que les ´etudes offrent la meilleure opportunit´e pour changer de statut social. C.M. s’explique : ” je voudrais beaucoup qu’il devienne mieux que moi. Je suis capable de tout faire pour lui offrir la possibilit´e d’´etudier et d’arriver plus haut que moi. Moi, je n’ai pas eu de possibilit´es `a mon ´epoque... ”.

En nous expliquant l’´etat de d´egradation de sa maison par l’aust´erit´e contrainte durant les ´etudes de son fils, C.M. se positionne face aux autres villageois voisins. Elle est consciente des diff´erences sociales. En s’expliquant devant un observateur ´

etranger, elle s’excuse et accuse les autres en mˆeme temps. Les repr´esentations sociales dans un tel village passent principalement par l’aisance mat´erielle des foyers et par la r´eputation (intellectuelle et morale).

Les chiffres montrent bien la position primordiale qu’occupent les ´etudes dans le syst`eme des valeurs de la majorit´e des villageois : 293 des ´el`eves continuent leurs ´

etudes apr`es l’´ecole secondaire en lyc´ee ou en ´ecole professionnelle. Presque tous, sauf exceptions, ont un diplˆome de baccalaur´eat. Dans un village dont la population est de 1627 habitants, il y a entre 10 et 18 ´etudiants en permanence. Chaque ann´ee, environ 5 jeunes partent du village pour s‘inscrire en Facult´e. La professeur Y.M., qui nous a donn´e ces chiffres, nous a dit que actuellement, `a sa connaissance, `a peu pr`es 80-100 personnes originaires de Nemt¸i¸sor ont un Diplˆome sup´erieur. La principale

source de revenus ´economiques du village est l’agriculture et l’exploitation foresti`ere. La petite plaine de la rivi`ere de Nemt¸i¸sor et toute sa d´epression jusqu’`a Tˆırgu Neamt¸ sont favorables aux cultures de bl´e et de ma¨ıs, indispensables dans cette zone sous- carpatique. Toutefois, les paysans d’ici sont souvent amen´es `a chercher dans les plaines du Sud ou de l’Ouest de la Roumanie un compl´ement de c´er´eales pour leur b´etail. Presque tous les foyers consacrent une bonne partie du travail `a l’´elevage des animaux. Le cochon est pr´esent presque dans chaque ferme, avant la vache. Le foin qui se trouve en abondance dans les collines environnantes fait qu’on garde encore dans le village la tradition de l’´elevage des troupeaux, surtout des animaux laitiers.

Fig. 3.5: Pr´eparation des terrains dans la r´egion de Neamt¸

Avant l’entr´ee de la Roumanie dans la Communaut´e europ´eenne, les foyers pay- sans gardaient encore en fonction leurs anciennes ´etables et annexes, parce qu’ils conservaient un type d’alimentation autonome dont la source principale ´etait encore la production propre. On pourrait dire que c’est la continuit´e d’un h´eritage domes-

tique, une habitude, mais il est sˆur qu’il s’agit d’abord d’une n´ecessit´e ´economique, impos´ee par le niveau de vie existant. Dans ce village et dans d’autres villages sem- blables, les produits de base comme la viande, les l´egumes et les fruits sont encore de provenance majoritairement indig`ene. Il y a aussi une sorte d’exportation non contrˆol´ee de ces produits, des familles rurales vers leurs amis ou leur parent´e ´etablie en milieu urbain ; pour des raisons ´economiques ou pour ˆetre certains de la qualit´e des produits, ceux-ci se d´eplacent `a la campagne pour une sorte d’approvisionne- ment occasionnel. Il y a de moins en moins de paysans qui vendent leurs produits `a l’ext´erieur, au march´e, et qui peuvent vivre de ce commerce. Le grand commerce `a ´

echelle industrielle prend de plus en plus d’importance `a partir de la fin des ann´ees 90. Le d´eveloppement ´economique et la professionnalisation du travail vont amener, comme dans les soci´et´es occidentales, sinon la fin de cette production alimentaire domestique, du moins un bon nombre de limitations qui sont d´ej`a en train d’ˆetre introduites, sous le couvert des r´eglementations europ´eens. On pourrait dire que la fin de la production alimentaire autochtone est un signe annon¸cant ” la fin de la paysannerie ”, pou reprendre l’expression ch`ere `a H. Mendras8.

On trouve aussi des petits ateliers priv´es, sp´ecialis´es notamment dans les pro- duits en caoutchouc (courroies et autres organes auxiliaires des scies m´ecaniques) et dans la menuiserie, souvent sous forme de sculpture artisanale. Nous avons pu visiter deux de ces ateliers pendant notre s´ejour `a Nemt¸i¸sor chez les Ursachi, un atelier de caoutchouc, et chez les F ?¸s ?l ?u, un atelier de sculptures artistiques en bois, `a destination cultuelle : autels, stalles, supports icˆonophores, etc.

On d´ecouvre ainsi que le maˆıtre C. F ?¸s ?l ?u de Nemt¸i¸sor est l’auteur de l’icono- stase de la chapelle Monast`ere St. Jean le Nouveau de Suceava.Voici une image des sculptures faites par le maˆıtre Milut¸ ? Chihai de Nemt¸i¸sor, pour l’´eglise du s´eminaire th´eologique du Monast`ere de Neamt¸ :

Nous avons pu d´ecouvrir, sur le terrain, une sorte d’occupation traditionnelle modernis´ee et devenue rentable : la meunerie.

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Les deux rivi`eres Ozana et Nemt¸i¸sor ont facilit´e, `a partir du XIXe si`ecle, le d´eveloppement des moulins pour c´er´eales, mais aussi des scies hydrauliques. Au- jourd’hui, les moulins traditionnels ont disparu, le niveau des rivi`eres ayant mˆeme beaucoup diminu´e par rapport au pass´e. Mais il y a trois moulins ´electriques, qui se sont d´evelopp´es apr`es la R´evolution sous forme d’affaires familiales9; ils permettent d’autres activit´es, `a cˆot´e du moulin : la valorisation des produits ou des ateliers m´ecaniques, avec quelques employ´es. Entre Nemt¸i¸sor et Vˆınatori il y a aussi une fabrique de briques.

Les anciennes entreprises industrielles communistes (2 fabriques de charpente et une annexe de la fabrique de conserves) proches de Nemt¸i¸sor, dans l’aire de la commune de Vˆınatori, sont plus grandes, et offrent plus de postes de travail ; elles sont pourtant assez fragiles, en raison du processus rompant de privatisation. Nous avons trouv´e l’entreprise OSLOBANU Prestacom srl. de Nemt¸i¸sor, qui figure en troisi`eme position du ” Top des compagnies du d´epartement de Neamt¸ ”, cr´e´ee en

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C’est le cas de notre interview´e D.M. qui a d´em´enag´e `a Nem ?i ?or et s’est int´egr´e dans l’affaire de son beau p`ere.

2003, par la Chambre du Commerce et de l’Industrie du d´epartement, active dans le domaine de l’industrie des constructions m´etalliques et des produits m´etalliques10. La proximit´e de la ville de Tˆırgu Neamt¸ (13km) induit aussi, au niveau du travail comme au niveau de l’´education, une d´ependance des villageois, qui font en grand nombre la navette pour travailler ou pour ´etudier en ville. Nous avons constat´e qu’une partie des villageois, en l‘absence d’autres moyens de transport, font r´eguli`erement 3-5 Km `a pied jusqu’`a leur lieu de travail ou jusqu’`a la route nationale pour emprunter la ligne de bus profiter ou d‘une voiture occasionnelle. Ce d´etail indique quelque chose sur le style de vie, le temps, l’espace et les communications des villageois. On discerne l`a le genre de paradoxe ´etudi´e par les sociologues et les anthropologues occidentaux : dans un r´eseau urbain, plus il y a de moyens d´evelopp´es de transport et de communication, plus les gens se sentent seuls, isol´es entre eux et indiff´erents aux autres. Dans le cas de ce village, plus les moyens techniques sont modestes, plus les contacts humains sont multipli´es et spontan´es. Les gens d’un petit village se rencontrent et se parlent naturellement sur une route, et la marche `a pied, qui prend plus de temps, favorise contacts et communications. Cette modalit´e spontan´ee et ” bricol´ee ” de se d´eplacer, (`a pied, avec le chariot d’un voisin ou avec une voiture occasionnelle) favorise un type de contact, une fa¸con d’ˆetre ensemble qui rel`event un peu du sens de la communion de la collectivit´e rurale, alors mˆeme que les villageois vont vers des destinations diff´erentes.