• Aucun résultat trouvé

Les objectifs et les usages que l’ACV sociale devrait remplir

L’évaluation des impacts sociaux est particulièrement complexe et ambitieuse. A la différence des impacts environnementaux et économiques qui sont relativement bien renseignés, les impacts sociaux le sont beaucoup moins. Plusieurs difficultés ont été mises en évidence :

‐ Les impacts sociaux ne sont pas toujours directement liés aux processus unitaires mais plutôt à la façon dont une entreprise interagit avec ses parties prenantes (Dreyer et al. 2006, Hauschild et al. 2008).

‐ De nombreux indicateurs sont difficiles à quantifier et peuvent être évalués uniquement en termes qualitatifs (Dreyer et al. 2006, Kruse et al. 2009, Swarr 2009). ‐ La collecte de données et la modélisation des impacts introduisent de grandes

incertitudes (Swarr 2009).

62 Ces réflexions sont issues des contributions scientifiques suivantes : (Macombe et al. 2010a, Macombe et Feschet 2011, Macombe et Loeillet 2013).

Cela questionne donc la pertinence du développement de l’ACV sociale et sa capacité à quantifier des impacts sociaux et donc rendre compte des phénomènes sociaux d’un produit tout au long de son cycle de vie.

Pour Klöpffer (2003, 2008), l'objectif de l’ACV sociale ou des évaluations de la durabilité du cycle de vie est avant tout de fournir des résultats fiables, qui peuvent éclairer les décisions (et faciliter la compréhension) à de multiples niveaux de la société. Il est en effet probablement plus important que l’ACV sociale définisse un procédé d’évaluation rationnel, qui sera perçu comme juste, plutôt que de fournir une réponse quantitativement non ambigüe (Swarr 2009). « Poser la bonne question est souvent plus important que de calculer la bonne réponse » (Swarr 2009, p.286).

L’ambition de l’ACV sociale n’est donc pas de « mesurer tout le social », mais de comparer les impacts potentiels d’alternatives en termes de contribution à l’accroissement (ou détérioration) des niveaux de bien-être individuel et social.

La norme ISO 14044 définit quatre usages pour l’ACV environnementale (cf. Chapitre 3). Il est suggéré de les transposer à l’ACV sociale, qui pourrait donc participer :

1. « A l’identification des possibilités d’amélioration des effets sociaux attribuables au fonctionnement du cycle de vie d’un produit ;

2. A l’information des décideurs de l’industrie et des organismes gouvernementaux et non-gouvernementaux (par exemple pour les besoins de planification stratégique, d’établissement des priorités, de conception ou de re-conception de produit ou de procédé) ;

3. Au choix d’indicateurs pertinents des effets sociaux attribuables au fonctionnement du cycle de vie d’un produit, y compris les techniques de mesure ;

4. Au marketing (par exemple la mise en œuvre d’un système d’étiquetage « social », d’une revendication en matière sociale) » (Macombe et Loeillet 2013, p.45).

Pour ce faire, elle devra :

i) N’oublier aucune catégorie de grand impact connu ;

Même si les listes d’indicateurs connus (Labuschagne et Brent 2006, Kruse et al. 2009, UNEP/SETAC 2009) tentent d’être exhaustives, il s’avère qu’elles ne renseignent pas

forcément les impacts sur le bien-être (cf. B.1.2). Pour penser à l’essentiel, il est donc nécessaire d’avoir un cadre conceptuel qui traduise tous les aspects sociaux fondamentaux, au moins pour les aspects universels du bien-être humain. En ACV, cela consiste à définir les catégories d’impacts « end-point » qui transcrivent « ce qui compte dans le social ». Weidema (2006) et Reitinger (2011) proposent chacun un cadre (cf. A.2.3) pour l’Aire de Protection « santé humaine et bien-être », encore appelée « santé humaine, dignité et bien-être » par Dreyer (2006).

Par ailleurs, même si certains aspects du bien-être humain peuvent être considérés comme universels, chaque culture en a sa propre représentation. Pour qu’elle soit légitime, l’ACV sociale devra reconnaître et tenir compte de cette diversité. Ainsi les indicateurs d’inventaire mobilisés pour exprimer uns même catégorie d’impacts end-point seront certainement différents d’un territoire à un autre.

ii) Mettre en évidence des transferts d’impacts sociaux ;

La valeur ajoutée de l’ACV réside dans sa capacité à pouvoir identifier les variations d’impact entre un scénario A et un scénario B, entre catégorie d’impact ou entre étape du cycle de vie. D’une part cela permet à un décideur de l’aider dans ses choix de systèmes impliquant des technologies (transport maritime vs transport routier), des localisations (production locale vs production importée), ou des organisations du travail différentes (sous-traitance vs production en propre). D’autre part, cela permet d’identifier les possibilités réelles d’amélioration du cycle de vie puisque cela permet d’identifier si l’amélioration d’une catégorie d’impact ne se fait pas au détriment d’une autre. Cela implique de comparer les scénarios.

iii) Prévoir les impacts sociaux induits par un changement dans le cycle de vie ;

L‘usage 2 insiste sur la nécessité d’évaluer les effets sociaux par anticipation. Par exemple si une entreprise souhaite s’implanter dans une nouvelle zone et qu’elle a plusieurs choix, elle souhaitera savoir où les impacts de cette implantation sont les plus favorables.

Cela implique l’utilisation de relations de causes à effets (pathway) permettant de relier, sous certaines conditions, des phénomènes (ex : accroissement de richesse et santé, éducation et santé), établies par ailleurs dans la littérature. L’adaptation de ces relations à des chaînes de produits, c’est-à-dire l’articulation des indicateurs d’inventaire et des catégories d’impact end-point, nécessite l’identification des conditions d’utilisation (ex : contexte, durée d’activité,

importance de l’organisation). Il faut que les conditions d’usage soient vérifiées pour pouvoir appliquer la relation et que les effets soient révélés. C’est en cela que l’ACV sociale évalue des « impacts sociaux potentiels ».

iv) Permettre l’interprétation et la comparaison des résultats.

L’interprétation des résultats consiste à identifier les étapes et les catégories majeures d’impacts ainsi que la source des impacts. Cela implique évidemment de raisonner par rapport à une fonction donnée du produit étudié (donc d’utiliser une unité fonctionnelle) et de comparer des scénarios. Mais cela réclame également de « normaliser » les résultats, c’est-à-dire de comparer les valeurs par rapport à une « norme » afin de qualifier les résultats de l’évaluation.

Par exemple, une entreprise X qui génère des revenus durant une période suffisamment longue contribue potentiellement à l’amélioration de l’état de santé des populations du pays où elle est implantée à hauteur de Y années d’espérance de vie (pathway Preston, cf. Chapitre 6). Dans quelle mesure cette contribution est-elle significative ? L’est-elle par rapport au niveau actuel de l’état de santé de la population locale, par rapport à la contribution moyenne du secteur ?

La « norme » peut être l’état moyen national, régional ou sectoriel, mais peut s’exprimer également en termes de progrès réalisés (dans cette optique, les progrès réalisés importent plus que le niveau atteint).

L’élaboration des normes de référence, la définition de leur rôle et de leur nature représente un véritable enjeu pour les évaluations sociales en général et pour l’ACV sociale en particulier. Un important travail doit encore être réalisé sur cet aspect en ACV sociale.