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2. Une nouvelle régulation de l’accès aux marchés

2.2.4. Efficacité de la certification

Le fait de recourir à plusieurs indicateurs pour traduire un même phénomène pose la question de l’efficacité de la labellisation. L’impact avéré des ces référentiels est assez mal connu. Il est en fait assez rarement évalué. Par exemple, Vagneron et Roquigny (2011) ont montré à partir d’une revue de 77 études portant sur le commerce équitable, que la majorité d’entre elles s’intéressaient au niveau de prix mais qu’une très faible part évaluaient les conséquences en terme d’inégalités, de sécurité alimentaire, d’amélioration du niveau d’éducation, d’atténuation de la pauvreté. Or rappelons qu’initialement le commerce équitable avait pour devise : « fair trade, no aid ». Le commerce équitable devait remplacer l’aide humanitaire en vue de contribuer au développement des populations les plus pauvres, lequel développement se traduit par une augmentation des richesses certes mais aussi par le recul de l’insécurité alimentaire, l’amélioration du niveau d’éducation, l’amélioration des conditions de vie, etc. Par ailleurs, certains labels vantent la proximité géographique comme gage d’impact environnemental positif (100 miles diet, Carbon Reduction Label, Bund33), or comme déjà signalé, cela n’est pas aussi évident (cf. A.2.1.2). Le cas de l’affichage des thés Lipton, développé par Rainforest Alliance34 est également discutable dans la mesure où l’information fournie est déconnectée de son contexte et que par conséquent il est difficile d’évaluer la portée de son impact. Dans le cas des écoles, y a-t-il le matériel pédagogique nécessaire, des enseignants, un transport scolaire pour que les enfants puissent se rendre à l’école ? L’effort affiché est louable, mais ce qui manque c’est l’évaluation des conséquences réelles de ces investissements.

Enfin, plusieurs auteurs mettent en exergue la question des inégalités de distribution de la valeur dans les filières certifiées/labellisées qui, similairement aux filières conventionnelles,

33 Cf. campagne « Traveling Fruits cause pollution ».

34 « 21 écoles gratuites pour les enfants de cueilleurs de thé », « 500 000 arbres plantés », « 34 centres de soin gratuits pour les cueilleurs de thé », etc.

est captée par les acteurs en aval de la filière (distributeurs), et non par l’amont (les producteurs) (Roquigny et al. 2009, Daviron et Vagneron 2011). Or cette question est rarement abordée dans les différents référentiels, en particulier ceux relatifs au commerce équitable qui s’intéressent uniquement aux prix au stade producteur.

Ainsi à l’issue de la réflexion stratégique duALIne, Ronzon et al. (2011, p.200) s’interrogent : « La tendance à la labellisation pourrait-elle avoir comme effet pervers de multiplier les

niches de marché et de ne mener à l’amélioration de la qualité des produits qu’à la marge des volumes commercialisés (et non pour l’essentiel des consommateurs) ? Le respect d’un cahier des charges suffit-il à résoudre le problème environnemental, social ou économique pour lesquels il a été conçu au départ ? Ou ne sert-il qu’à permettre plus de transparence ? L’évaluation de l’efficacité, ex-post, d’un label devrait-elle être incluse à priori dans le cahier des charges ? ».

2.2.5. Exclusion

Comme le défendent Daviron et Vagneron (2011, p.100) « la certification et la labellisation

assure la parfaite substituabilité des fournisseurs, tandis que ceux qui ne sont pas capables de se conformer aux volontés de l’acheteur sont exclus de la chaîne ». Comme nous l’avons déjà

évoqué (cf. Chapitre 1), le développement de ces standards constitue en effet un nouveau type de barrière à l’entrée des marchés, en particulier pour les petits producteurs qui ne peuvent pas toujours assumer i) les coûts de la certification, ii) la mise aux normes35 (Friis Jensen 2004, cité par Daviron and Vagneron 2004). Ainsi certains auteurs mettent en évidence que ces systèmes « exacerbent les inégalités socio-économiques et perturbent les normes locales » (Getz et Shreck 2006, Vagneron et Roquigny 2011).

Par ailleurs, dans la mesure où les produits affichant une information « durable » sont vendus plus chers que les produits conventionnels, les consommateurs les plus pauvres se retrouvent exclus (Colonna et al. 2011), ce qui « questionne le caractère démocratique d’une

gouvernance des systèmes alimentaires par des consommateurs souverains » (Ronzon et al.

2011, p.200).

2.2.6. « Commodification36 »

Initialement, les filières « agriculture biologique » et « commerce équitable » se sont développées en marge des filières conventionnelles afin de restaurer le lien entre les producteurs et les consommateurs, améliorer les termes de l’échange, s’inscrire dans des pratiques plus respectueuses sur le plan environnemental et social. Pour ce faire, elles ont développé des circuits de distribution spécifiques et touché un public particulier.

Le développement des standards durables a démocratisé l’accès à ces produits en étant commercialisés dans des circuits de distribution de masse. Mais, en adoptant les codes des filières conventionnelles et traditionnelles, ces labels ont réintroduit la distance entre le consommateur et le producteur, le principe d’anonymat ainsi que le principe de substituabilité des fournisseurs, et une concurrence entre les marchés. C’est en cela que Daviron et Vagneron (2011) parlent de « re-commoditification ».

Conclusion : de la critique au progrès

Ces différents standards/labels sont censés œuvrer en faveur du développement durable, mais ils ignorent la notion de progrès. Leur résultat est alors sans appel : « respect ou non du cahier des charges ». Or le développement durable est par essence un processus dynamique vers lequel il faut tendre et non pas quelque chose de figé ni d’absolu. Ainsi comme le note Loeillet (2013, p.12) « constater la dérive de certaines firmes vers un excès de marketing

dans leurs discours, c’est bien. Proposer des solutions pour les aider à caractériser leurs impacts autant environnementaux que sociaux, c’est mieux ».

36 La « commodification » désigne le processus de marchandisation des différentes étapes de la production et la consommation par laquelle le système capitaliste assure son expansion (Temple et al. 2011). Une commodité est définie comme un produit de base standardisé.