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Conclusion partie C : l’ACV sociale « idéale »

L’ACV sociale s’adressera à des acteurs ayant une certaine influence leur permettant de (faire) prendre en compte les résultats de l’étude. Elle s’appliquera plutôt des grandes chaînes de produits standardisés. Elle évaluera des impacts sociaux potentiels proportionnels à l’unité fonctionnelle. Elle comparera des scénarios présentant des alternatives technologiques, géographiques, organisationnelles. Elle adaptera le grain de l’étude en fonction du commanditaire. Le périmètre du système étudié tiendra compte des trois dimensions, spatiale, temporelle et des acteurs affectés.

Ce n’est qu’à ces « conditions » que l’ACV sociale remplira pleinement le rôle qui lui est attribué.

CONCLUSION DU CHAPITRE 4 : UN PROGRAMME DE RECHERCHE A MENER SUR PLUSIEURS FRONTS

L’ACV sociale est une méthode émergente. Jusqu’à présent les travaux se sont développés de façon plus ou moins indépendante. Les lignes directrices (UNEP/SETAC 2009) ont élaboré un premier cadre mais il est encore incomplet et parfois incorrect. Après plusieurs années de recherche, les volontés se font sentir pour structurer ce champ de recherche, lui donner un ensemble cohérent et organisé (table ronde finale du 3ème Séminaire International en ACV sociale de Montréal en mai 2013).

Dans ce chapitre nous avons tenté de mettre en évidence les limites des travaux existants et les besoins nécessaires pour faire en sorte que l’ACV sociale remplisse le rôle qui lui est attribué, c'est-à-dire évaluer les impacts des changements dans un cycle de vie social d’un produit sur le bien-être individuel et social.

Le cadre proposé se distingue radicalement des approches basées sur les critères de RSE. Il consiste en une évaluation comparée des impacts potentiels du fonctionnement usuel des cycles de vie des produits qui incorpore les contextes sociaux, alors que l’approche des performances sociales communique sur des critères qui peuvent avoir des significations différentes dans différents contextes. Les caractéristiques de cette proposition d’ACV sociale sont également différentes de l’ACV environnementale puisque les impacts sont évalués en comparaison et la définition du périmètre et du grain de l’étude est différente.

Cette ACV sociale permettra d’identifier les risques de transferts d’impacts sociaux entre nature d’impacts, entre étapes de la chaîne et entre parties prenantes. Dans ce sens, le cadre proposé nous permet de poser autrement les problèmes sociaux, d’élargir le champ de vision, à l’ensemble des parties prenantes tout au long du cycle de vie.

Il est probable que dans ce cadre plusieurs méthodes se développent, selon un angle complémentaire. La démarche décrite ouvre en effet sur de nombreuses recherches à mener pour nourrir et consolider l’approche :

‐ Conforter et développer le cadre conceptuel global de l’ACV, articulant l’ACV environnementale et l’ACV sociale.

‐ Proposer des modèles permettant de justifier le choix des impacts sociaux pris en considération.

‐ Proposer des modèles permettant de saisir la façon dont les cycles de vie affectent le monde social, et donc de distinguer les effets attribuables à l’existence du produit de ceux du contexte.

‐ Caractériser les interactions entre les activités humaines de production et les socio-systèmes afin d’en tenir compte dans l’évaluation.

‐ Elaborer de nouvelles relations d’impact, de qualité différente, c’est-à-dire soit des relations intermédiaires (n’allant jusqu’à un impact end-point, auquel cas elles évaluent des effets sociaux), soit des relations complètes allant jusqu’à une catégorie d’impact end-point (elles évaluent alors des impacts sociaux).

‐ Elaborer des normes de référence pour qualifier les impacts évalués, définir leur rôle et leur nature.

‐ Collecter des données afin de faciliter progressivement le travail des chercheurs et des praticiens.

Cela constitue un programme de recherche en soi. L’ambition de cette thèse est évidemment plus modeste. Les contributions portent sur trois développements particuliers, qui s’inscrivent tous dans le champ des sciences économiques.

‐ Proposition d’une base pour un nouveau cadre conceptuel (chapitre 5). ‐ Proposition d’un nouveau pathway (chapitre 6).

C

HAPITRE

5 –P

ROPOSITIONS POUR UN NOUVEAU CADRE CONCEPTUEL ET

THEORIQUE POUR L

’ACV

SOCIALE

’ACV s’est d’abord développée sur le plan environnemental. Elle s’est construite sur l’idée que les chaînes de produits devaient préserver les écosystèmes et la santé humaine. Plus exactement, le principe était d’identifier ou concevoir des alternatives permettant d’atténuer les impacts négatifs des activités humaines de production et de favoriser celles qui permettaient de maintenir ou d’améliorer la qualité des écosystèmes et la santé des populations. Telle qu’elle est normalisée (ISO 2006ba, p.162), cette méthode permet aussi bien de répondre à des objectifs d’éco ou rétro-conception des systèmes de production, que d’affichage et de communication des données environnementales (cf. Chapitre 3).

Les qualités et le succès de cette méthode ont conduit au développement d’une méthode similaire portant sur les aspects socio-économiques des cycles de vie des produits, l’ACV sociale (cf. Chapitre 4). Son objectif est de pouvoir évaluer la contribution des chaînes de produits à l’amélioration ou la détérioration des niveaux de bien-être individuel et social.

Avec le développement de l’ACV sociale, l’ambition est de pouvoir un jour offrir aux praticiens la possibilité d’évaluer, à partir d’une méthode partageant les mêmes principes, les différents effets (positifs et négatifs) d’une chaîne de produits, et plus précisément de permettre aux décideurs de faire des choix éclairés, qui tiendraient compte à la fois des aspects environnementaux, sociaux et économiques.

Pour ce faire, l’ACV sociale doit avant tout se constituer en tant que méthode afin qu’elle soit reconnue par la communauté scientifique d’une part et par les utilisateurs d’autre part. En effet, dans le chapitre précédent, nous avons identifié plusieurs limites qui en appellent à des approfondissements méthodologiques (cf. Chapitre 4 B).

Dans ce chapitre, il s’agit plus spécifiquement de s’intéresser aux fondements conceptuels et théoriques de l’ACV sociale, cette réflexion devant précéder tout type de recherche scientifique et développement méthodologique.

Dans un premier temps, il convient de démontrer dans quelle mesure, sur un plan conceptuel et théorique, les propositions des approches actuelles sont insuffisantes et inadaptées aux ambitions portées par l’ACV sociale (A).

Ces limites impliquent dans un second temps une réflexion approfondie sur les notions de développement, bien-être et développement durable (B).

Cette réflexion permet dans un troisième temps de proposer une base pour un nouveau cadre conceptuel et théorique pour l’ACV sociale (C).

A. L’INSUFFISANCE DU CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE DE L’ACV SOCIALE

Toute recherche qui ambitionne une reconnaissance scientifique doit être menée dans un cadre conceptuel et théorique explicite et structuré.

Le cadre conceptuel détermine les idées directrices. Il a une fonction d’organisation dans la mesure où il oriente la démarche de pensée. Il ne procure pas d’explication aux phénomènes mais il aide à leur compréhension (Formarier et Poirier-Coutansais 1986).

Le cadre théorique permet de préciser le sens donné aux concepts manipulés (Sall 2002). Il permet d’analyser et d’interpréter les variables prises en compte. Il permet enfin d’articuler les différentes composantes afin de disposer d’un ensemble cohérent et pertinent.

En ACV environnementale, le cadre conceptuel a été largement défini (Udo de Haes et al. 1999, Udo de Haes et Lindeijer 2002, Jolliet et al. 2004). Toutefois, le développement de l’ACV sociale renouvelle le champ de l’ACV et bouscule ainsi le cadre d’analyse général (A.1). Par ailleurs, du fait de son développement empirique, l’ACV sociale est dépourvue de cadre théorique consistant (A.2). Les cadres conceptuels et théoriques se trouvent donc insuffisants pour portés les objectifs adressés à l’ACV en général et à l’ACV sociale en particulier (A.3). Cela en appelle donc à une réflexion sur les concepts sous-jacents à ces méthodes (A.4).

1. La contribution au développement durable comme nouvel objectif pour l’ACV L’ACV environnementale est fondée sur l’idée qu’il existe des éléments importants pour la société qu’il convient de protéger pour les générations présentes et futures. Les praticiens d’ACV évaluent ainsi les cycles de vie des produits au regard des « Aires de Protection » (Areas of Protection, AoP). Ce sont des « domaines » qu’il faut « préserver » et qui désignent « des catégories d’endpoint ayant une valeur pour la société » (Udo de Haes et Lindeijer 2002, p.211) (cf. Chapitre 3 B.2.2.1).

Il existe un consensus sur la nature de ces AoP : santé humaine, ressources naturelles, environnement naturel, environnement façonné par l’homme (Udo de Haes et Lindeijer 2002, Jolliet et al. 2004, Bare et Gloria 2008).

La première AoP se réfère à la protection de la santé humaine et vise à minimiser le préjudice potentiel pour les humains.

La deuxième AoP, les ressources naturelles biotiques et abiotiques, se rapporte à des matériaux qui sont extraits, récoltés, ou obtenus à partir de l'environnement pour l’usage humain.

La troisième AoP, la qualité de l’environnement naturel, est relativement large, elle inclut les impacts potentiels sur les écosystèmes qui permettent la vie sur Terre.

La quatrième AoP désigne ce qui est synthétisé ou construit par l’homme, comprenant des éléments tangibles tels que les bâtiments ou les productions agricoles, mais aussi des éléments moins tangibles telles que les valeurs financières et culturelles (Bare et Gloria 2008).

L’ACV environnementale évalue donc les impacts vis-à-vis de ces AoP afin de savoir dans quelle mesure les cycles de vie des produits affectent ces valeurs.

Avec le développement de l’ACV sociale, le rôle de l’ACV évolue. L’UNEP/SETAC, auteur des Lignes directrices pour l’ACV sociale, conçoit l’ACV comme un outil qui a pour but « d’évaluer les solutions, risques, avantages et inconvénients associés aux produits et

services tout au long de leur cycle de vie afin de réaliser un développement durable […], le but ultime du développement durable [étant] le bien-être des générations présentes et futures

» (UNEP/SETAC 2009, p.28). Les auteurs qui contribuent à la construction de l’ACV sociale considèrent donc celle-là comme un complément aux évaluations environnementales et économiques du cycle de vie, et donc comme la troisième composante dans l’évaluation de la durabilité du développement.

Ainsi O’Brien et al. (1996), parmi les premiers auteurs à avoir évoqué la dimension sociale de l’ACV, proposent « une procédure pour introduire la troisième aire du diagramme63 – les processus sociaux et politiques – dans l’Analyse de Cycle de Vie sociale » (p.231). Ils

nomment cette approche combinée « Social and Environmental Life Cycle Assessment

(SELCA) ». L’objectif de cette approche consiste à : « fournir une structure flexible afin d'identifier les facteurs qui doivent être conciliés dans la prise de décisions stratégiques et de

planification pour une société durable »64 (p.232). Par la suite, Klöpffer (2003, p.158) affirme « la pensée cycle de vie est la condition sine qua non de toute évaluation de la durabilité » et essaie de démontrer que « seules des méthodes basées sur le cycle de vie ont le potentiel pour

évaluer la durabilité » (p.159). Depuis, la plupart des travaux (Dreyer et al. 2006, Hunkeler

2006, Norris 2006, Hauschild et al. 2008, Hutchins et Sutherland 2008, Jørgensen et al. 2008, Andrews et al. 2009, Kruse et al. 2009, Parent et al. 2012) considèrent l’ACV sociale comme « un complément à l’Analyse du Cycle de Vie Environnementale et à l’Analyse du Cycle de

Vie des Coûts, comme une troisième composante de la mesure du développement durable »

(Hunkeler 2006, p.371).

Plus récemment, Zamagni (2012), dans un éditorial du International Journal of Life Cycle Assessment, fait un état de l’art des différents travaux d’ACV selon leur capacité à répondre au besoin de transdisciplinarité et d’intégration qu’implique le développement durable, du fait de son caractère complexe (connaissances multidisciplinaires, échelles multi-spatiales et temporelles), incertain (de nombreuses variables, peu d’informations et indisponibilité des données) et urgent (urgence des mesures à l'égard des défis tels que le changement climatique) (Zamagni 2012, p.374). En soulignant « le rôle joué par la notion de cycle de vie

dans ces évaluations [de la durabilité] et les importants développements méthodologiques de l’ACV ces dernières années », elle en appelle à de nouvelles contributions scientifiques dans

le domaine du « Life Cycle Sustainability Assessment ».

Avec le développement de l’ACV sociale, l’évaluation de la contribution des cycles de vie des produits au développement durable devient un nouvel objectif pour l’ACV. Toutefois, l’acception qu’ont les auteurs de ce terme est rarement explicitée, elle est ambigüe et les auteurs s’y réfèrent inégalement.

En effet, jusqu’à présent la problématique de l’ACV ne s’est pas posée en termes de développement durable au sens de l’articulation des différentes composantes. Les AoP sont donc conçues comme des objets clairement dissociés et indépendants, dont il est difficile de percevoir l’articulation, laquelle permettrait d’avoir une lecture dynamique de l’état de durabilité d’un cycle de vie.

Ainsi, seuls Jørgensen et al. (Jørgensen et al. 2010b) abordent spécifiquement la question de la durabilité et s’interrogent sur la définition à retenir de sorte que les différents outils d’ACV

64 “To provide a structure yet flexible way to identify the factors that must be reconciled in making strategic and planning decisions for a sustainable society”.

répondent au mieux aux enjeux que cette problématique comporte. Ils s’interrogent plus précisément sur le caractère intergénérationnel du développement durable, ce qui les conduit à retenir une approche basée sur des stocks de capitaux qui doivent être maintenus ou améliorés d’une génération à une autre. Pour eux, « l’évaluation de la durabilité d’un produit devrait

rendre compte dans quelle mesure ce produit provoque un changement dans les stocks de capitaux disponibles pour les générations futures » (p.531). Ils estiment donc que « pour effectuer une évaluation de la durabilité [...], seules une ACV environnementale, évaluant les changements dans le capital naturel, et une ACV sociale, évaluant les changements dans le capital humain, social, et produit / physique, sont nécessaires » (p.531).

Cette conception du développement durable reposant sur quatre formes de capital était déjà présente dans le travail de Schmidt et al. (2004), qui consistait à proposer un instrument intégré, SEEbalance®, ayant pour but de mesurer et d’améliorer l’éco-efficience et la socio-efficience (p.81). Selon ces approches, la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins et satisfaire leur bien-être dépend des stocks de capital de différents types dont elles disposent.

Pour ces deux équipes, la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins et satisfaire leur bien-être dépend de l’évolution des stocks de capitaux de différents types. Cette approche de la durabilité est différente de la conception classique dite des « trois piliers ».

Conclusion : de nouvelles ambitions mais peu formalisées et non adaptées au cadre conceptuel existant

La plupart des travaux considèrent l’ACV sociale comme une composante de l’évaluation de la contribution des cycles de vie des produits au développement durable et lui donne comme objectif de contribuer à l’évaluation de la dimension « sociale et économique ». Pourtant la portée et le contenu du concept de développement durable ne sont jamais vraiment précisés, en dehors du fait que c’est un concept « qui a trois piliers ». Malheureusement cette représentation est peu opérationnelle, d’une part pour savoir ce qui importe d’être évalué, et d’autre part pour savoir comment s’articulent les différentes « dimensions » qui composent la durabilité. De plus, le cadre conceptuel actuel des Aires de Protection ne permet pas d’envisager cette analyse non plus, n’ayant pas été conçu dans cette perspective.

2. L’évaluation des impacts sur le bien-être des individus comme objectif pour