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Qu’est-ce que le développement ?

A priori la question semble anodine, pourtant la définition du développement est complexe. Longtemps perçu comme un simple phénomène quantitatif, le développement est dorénavant reconnu comme le processus permettant de promouvoir le bien-être humain et social (B.1.1). Les débats concernant le contexte d’application et les objectifs du développement conduisent à s’interroger sur les notions de bien-être et de qualité de vie, ainsi que sur les méthodes d’évaluation (B.1.2).

1.1. L’émergence de la notion

« Dans son acceptation la plus générale, le terme de développement peut être considéré

comme un synonyme de celui, en usage depuis les Lumières, de ‘progrès social’ (ou sociétal), au sens où ‘la société de demain peut être meilleure que celle d’aujourd’hui’ » (Coméliau

2007). Il désigne l’amélioration des conditions et la qualité de vie d’une population. Avec l’expansion du système économique, la théorie économique a longtemps associé presque mécaniquement croissance économique et développement, au point de confondre souvent ces deux notions (Tremblay 1999, Vivien 2003, Vivien 2005). Rostow (1963) a ainsi défini le processus universel de développement des Nations à partir de la croissance. Selon lui, le développement économique (« take off ») intervient à partir d’un certain stade de l’histoire des sociétés, qui connaissent ensuite une croissance auto-entretenue, une «

croissance durable » (« self-sustaining growth »), qui devient « la fonction normale de l’économie » (Vivien 2003). Le développement signifie de ce point de vue, l’obtention d’une

croissance économique significative sur une longue période. Le concept est donc réduit à sa dimension économique : l’augmentation du produit économique global, soit en montant absolu (PIB), soit en part relative (revenu réel par habitant).

Mais après la Seconde Guerre Mondiale, tandis qu’un nouvel ordre économique mondial s’organise, que de nombreux pays d’Afrique et d’Asie accèdent à l’indépendance, et que le Tiers-monde émerge, certains auteurs vont s’attacher à comprendre les spécificités du « non

développement » que certaines régions du monde connaissent (Vivien 2003). Le terme

apparaît d’ailleurs dans le discours d’investiture du président Harry Truman le 20 janvier 1949 dans lequel il évoque le fait de « lancer un nouveau programme qui soit audacieux et

qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées ».

La réelle acceptation du terme développement est donc liée à la prise de conscience des problèmes de « sous-développement » de certains pays (Conte 2001). C’est dans ce contexte que l’économie du développement se constitue en une branche spécifique de la science économique. Les travaux des pionniers ont pour objectif de permettre aux pays en développement (PED) d’accéder à la « modernité occidentale » (Berr et Harribey 2006). Bien qu’ayant des projets de développement économiques très différents (humanisme, structuralisme, marxisme, etc.), les différents courants s’entendent sur le fait que la croissance de la production ne signifie pas nécessairement l’amélioration du bien-être, l’émancipation des populations, ni le recul des phénomènes de domination tant entre les nations qu’entre les classes sociales (Harribey 2004). D’ailleurs, Schumpeter (1912) avait déjà réfléchi à la distinction à opérer entre les changements quantitatifs et qualitatifs que connaissent les économies modernes, que résume sa phrase célèbre : « Additionnez autant de diligences que

vous voulez, vous n’obtiendrez jamais une locomotive ! », ou encore « La croissance ce n’est pas la multiplication du nombre de chandelles, mais leur remplacement par l’électricité »

(cité par Berr et Harribey 2005).

Ainsi, en réaction aux positions libérales (Vivien 2003, Berr et Harribey 2006), des auteurs vont mettre l’accent sur la distinction à opérer entre les notions de croissance et de développement (Vivien 2005). François Perroux, l’un des principaux initiateurs de la distinction entre les deux notions, écrit donc : « la croissance est l’accroissement durable de

structures et éventuellement de système et accompagné de progrès économiques variables […]. Le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel et global » (Perroux 1966, pp.239-240). Daly, père de l’Ecological Economics67, reprend ces définitions : « la croissance est une augmentation quantitative au sens physique alors que le

développement est une amélioration qualitative ou le développement des potentialités »68

(Daly 1990). Dans cette optique, le développement n’est plus une simple question d’ajustements techniques mais une transformation de la société.

Sous l’impulsion du courant humaniste, l’idée s’impose progressivement que le développement ne se restreint pas au développement économique. Le concept de développement s’étend aux dimensions sociales et humaines (Billaudot 2004). Alors que le revenu (PIB/tête) était la variable centrale de l’analyse des approches libérales, les approches développementalistes font émerger une série de variables complémentaires relatives aux besoins essentiels des personnes telles que l’éducation et la santé (Liechti 2007). North (2005, p.213) écrit ainsi « La croissance du stock de connaissances a produit des améliorations

matérielles dont nos ancêtres n’auraient pas osé rêver ».

Initialement, les approches développementalistes ont considéré que le développement ne concernait que les pays du Sud. Progressivement, plusieurs évolutions vont permettre de rompre avec cette logique (Billaudot 2004). En particulier, dans le contexte de crise des années 1980, et le retour au premier plan de la pensée néo-libérale (consensus de Washington), les schémas tiers-mondistes sont remis en cause. A la fin des Trente Glorieuses, les sociétés industrielles redécouvrent les questions du sous-développement en leur sein, en termes d’exclusion, de marginalité, d’informel ou de pluralisme des référents culturels (Hugon 2004). Le développement (re)devient un processus conçu comme général qui concerne tous les pays, aussi bien ceux du Nord que ceux du Sud (Billaudot 2004).

67« Ecological economics » (économie écologique) est une branche de l’économie en interface avec l’écologie, étudiant l'interdépendance et la coévolution entre les sociétés humaines et les écosystèmes dans le temps et l'espace.

68 “Growth is quantitative increase in physical scale while development is qualitative improvement or unfolding of potentialities”.

Conclusion : de la croissance au développement

Longtemps associés, le développement s’est distingué de la notion de croissance par la prise de conscience de la situation des pays « non-développés ». Il se démarque de cette notion de par sa définition qualitative du progrès social. Il ne désigne pas un simple accroissement des richesses mais une transformation de la société (amélioration du bien-être, émancipation des populations, etc.).

1.2. Le développement comme un vecteur d’accroissement de la qualité de vie et du bien-être

Après avoir été un concept réservé aux pays du Sud, le développement a (re)trouvé une dimension humaine et sociale universelle. Il consiste à redéfinir la place de l’homme dans la société et son environnement, son bien-être et sa qualité de vie, au-delà des valeurs matérialistes et d’une vision « économiciste ». Il comporte, par définition, une dimension philosophique, éthique et politique (Hugon 2004, Coméliau 2007), qui méritent d’être définies (B.1.2.1) et mesurées (B.1.2.2).

1.2.1. Dimensions du bien-être et de la qualité de la vie

Comme le souligne Coméliau (2007) : « la notion de développement ne se limite pas aux

seules dimensions matérielles du progrès social : elle met en question les systèmes de valeurs, la diversité des finalités de l’homme et de l’espèce humaine, ainsi que les modalités multiples de leur épanouissement ». Le travail de la Commission Stiglitz sur la mesure des

performances économiques et du progrès social, a également été élaboré à partir de ce postulat : « Le concept de qualité de la vie est plus large que ceux de production économique

ou de niveau de vie. Il comprend toute une série de facteurs influant sur ce qui a de l’importance dans notre vie, sans se limiter à l’aspect purement matériel » (Stiglitz et al.

2009, p.45). Easterlin (1974) a d’ailleurs mis en évidence ce paradoxe selon lequel une hausse du PIB ne se traduit pas nécessairement par une hausse du niveau de bien-être ressenti par les individus, confirmant ainsi les limites des approches par les revenus. Déjà Aristote partageait cette réflexion à propos du bien humain suprême : « Quant à l’existence vouée au profit, elle

est en quelque sorte embrassée par contrainte et la richesse n’est évidemment pas le bien recherché, puisqu’elle est utile en fonction d’autre chose encore » (E.N thème 1-1096 a 6).

Quels sont les éléments constitutifs d’une « bonne vie » ? C’est une question à laquelle se sont attelés les plus grands philosophes depuis Aristote, qui posait déjà la question : « Mais le

bonheur, qu’est-ce que c’est ? » (E.N thème 1-1095 a 20). Les propositions de définition sont

nombreuses et couvrent un large éventail d’éléments : sentiment d’appartenance et d’accomplissement, image de soi, autonomie, sentiments et attitude des autres, etc.

Sabina Alkire (2002), qui tente de définir les dimensions du développement humain, s’est intéressée à la diversité des propositions (Tableau 8), issues de différentes littératures (études sur la pauvreté, psychologie interculturelle, philosophie morale, indicateurs de qualité de vie, développement participatif, besoins de base). Mais aucune de ces propositions ne fait l’objet d’un consensus, chacune répondant à une pensée philosophique bien précise.

Toutefois, toutes ces approches mettent l’accent sur un même ensemble d’éléments qui ont soit une importance intrinsèque soit instrumentale (Stiglitz et al. 2009):