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Objectifs de recherche

L’examen des recherches existant sur les liens hypertextes dans le contexte journalistique fait apparaitre un certain nombre de raccourcis ou limites en termes de mesure, conceptualisation, et d’interprétation. La définition des objectifs de cette thèse se nourrit des études précédentes et tente de dépasser leurs défauts. Mais elle alimente surtout une problématisation qui s’articule autour de trois axes indissociables : représentations, contenus produits et pratiques journalistiques.

L'attirail des « digital methods » (voir p.33) est mobilisé pour rassembler un ensemble de données qui constitue plus qu'un instantané. Une procédure d'extraction semi-automatique (décrite en détails plus loin) a été mise en place pour récolter tous les articles publiés sur six sites belges francophones d'informations pendant plus d'un an. La présence, l'absence, la densité, la destination et les modalités de présentation des liens sont situées dans leur contexte d'énonciation éditoriale (Rebillard, 2012) et ramenées aux caractéristiques des médias étudiés.

Dans l'ensemble, les recherches sur les liens des sites d'information laissent deviner un double impensé : elles se concentrent sur des analyses de contenus des sites d'information qui délaissent le contexte de production, tant au niveau des représentations que des pratiques.

D'une part, les résultats des analyses de contenu concluent généralement à des lacunes en matière de liens — insuffisance de liens en général, carence de liens externes ou absence de diversité des ressources liées — sans jamais préciser sur quels standards elles se basent pour produire ce diagnostic. Combien de liens seraient nécessaires pour considérer que les sites

d'information s'emparent bel et bien des potentialités de l'hypertexte  ? Un grand nombre de liens constitue-t-il nécessairement une qualité  ? Faut-il toujours plus de liens, en accord avec le dogme « more is better » du journalisme en ligne (Heinderyckx, 2011)  ? On sait que l'adoption massive et inéluctable de « nouvelles » technologies par les journalistes constitue un mythe qu'il est nécessaire de déconstruire (Domingo, 2006   ; Domingo, 2008 ;

Rebillard, 2007). Dès lors, postuler que les contenus journalistiques devraient se doter de toujours plus de liens ou même attribuer a priori des fonctions purement théoriques aux liens sont des prérequis à mettre en question, en interrogeant notamment, en amont, les représentations qu'ont les journalistes des rôles des liens dans leurs productions.

D'autre part, pour expliquer pourquoi les sites d'information adoptent certains stratégies en matière de liens, il est nécessaire d'ancrer les analyses de contenus dans le contexte de production de l'information, c'est-à-dire dans les pratiques de ceux qui la produisent. Ce n'est que de cette manière qu'on pourra dépasser la simple formulation de piste d'interprétation et la reconnaissance de forces parfois contradictoires (raisons journalistiques versus raisons stratégiques, pour prendre une opposition de base).

Cette recherche poursuit donc l'objectif d'articuler l'étude de l'objet lui-même (les liens présents dans les sites d'information) avec les représentations et les pratiques quotidiennes de production journalistique. Il s'agit de remplir trois objectifs de recherche, qui sont trois facettes d'un même phénomène plus que trois étapes distinctes ou cumulatives :

• Examiner la place du lien dans l'imaginaire journalistique. Ce premier terrain d'investigation vise à nuancer le lien hypertexte en distinguant la multitude des significations qu'il peut avoir pour le journalisme, en collant aux points de vue des acteurs tout en apportant une profondeur socio-historique, pour dépasser le piège techno-déterministe.

• Analyser les liens présents dans les sites d'information. Ce deuxième terrain d'investigation vise à décrire les liens effectivement produits dans les sites d'information, en incluant leur contexte d'énonciation éditoriale.

• Étudier les liens dans leur contexte de production. Ce troisième terrain d'investigation place le lien dans son contexte de production : des pratiques journalistiques en actes et en contextes, et cherche à voir quels aspects des pratiques pèsent sur la création (ou non) de liens hypertextes.

Le chapitre suivant expose, dans une discussion méthodologique et théorique détaillée, comment je compte mettre ce programme en œuvre dans une enquête de terrain à partir

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Ce chapitre s'interroge sur la nature du lien hypertexte et, par conséquent, sur les manières de l'étudier. La première partie (1) s'arrête sur une ambivalence fondamentale, celle du lien comme technologie de l'esprit. Considérer le lien comme une technologie (1.1.) impose l'étude de l'imaginaire technologique qui l'accompagne. Je suggère de matérialiser cet imaginaire en étudiant les discours d'accompagnement — opérationnalisés, dans le cas qui nous préoccupe, par les discours métajournalistiques sur le rôle du lien dans le journalisme en ligne — ce qui permet de combler l'« impensé » identifié au chapitre I. Considérer le lien comme une technologie de l'esprit (1.2.) suggère des pistes d'analyse à explorer : l'hybridité des filiations dont le lien serait porteur, et le jeu entre son cadre de fonctionnement technique et ses usages.

La deuxième partie (2) aborde l'étude des liens comme traces de phénomènes sociaux, en revenant sur les link studies, c'est-à-dire la façon dont des recherches de disciplines diverses se sont emparées du lien hypertexte comme un indice de phénomènes sociaux. Je reviens sur l'ancrage de ces études dans la « nouvelle science des réseaux » (2.1), détaille les différentes significations sociales attribuées aux liens (2.2), souligne les défis méthodologiques (2.3) que ces études font apparaître et les façons de surmonter ceux-ci (2.4), en concluant à la nécessité de replacer l'étude des phénomènes en ligne dans leur contexte de production hors ligne

La troisième partie (3) explicite la façon dont j'entends étudier ledit contexte de production, en adoptant une démarche ethnographique et en m'inscrivant dans la tradition de l'observation des pratiques journalistiques dans les rédactions. Tout ceci débouche sur un programme méthodologique (4) qui reprend les objectifs de recherche formulés à la fin du chapitre I et les transforme en terrains de recherche.