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2. COURANTS METHODOLOGIQUES PASSES ET PRESENTS : DE LA DIDACTIQUE

2.2. Courants et démarches actuels : conception d’une didactique des langues

2.2.2. Nouvelles conceptions de l’apprenant et démarches

Le terme d’apprenant123

est apparu pour la première fois dans le discours de la didactique des langues étrangères dans les années 70, et a été longtemps considéré comme un barbarisme, synonyme d’enseigner ou d’élève. Cette perception reflétait une vision essentiellement passive du rôle de l’individu, conçu comme un récepteur ou un réceptacle d’informations fournies unilatéralement par une autre personne, à savoir l’enseignant.

Cuq124 (2003) souligne que, dans l’apprentissage des langues, il existe traditionnellement une pédagogie « empirique » où apprendre est considéré comme un simple mécanisme d’enregistrement : un détenteur d’un savoir émet vers un récepteur mémorisant docilement les messages. L’individu qui apprend est une page blanche. Nous l’avons vu, les béhavioristes de leur côté font reposer l’enseignement sur le conditionnement, sans prendre en compte les états de conscience, les motivations ou même les ressources de l’apprenant : l’élève stimulé renvoie en principe les réponses appropriées et adopte le comportement prévu; tel un patient qui suit une prescription médicale, il n’a aucune décision à prendre, il est spectateur de son propre apprentissage, infantilisé. Dans ces perspectives, le seul acteur est l’enseignant.

L’apport de la psychologie cognitive à la didactique des langues est d’avoir fait prendre conscience que l’individu non seulement participe à son propre apprentissage, mais en est l'acteur principal. Il faut donc tenir compte de ses besoins afin de pouvoir lui donner les moyens nécessaires à son apprentissage. De ce fait, l’apprenant n’est plus seulement « enseigné », n’est plus perçu comme un

122 CECR, 2001 : 16-17

123

Cuq, 2003 : 20-21 124 Cuq, 2003 : 20-21

être passif, mais comme participant activement à son apprentissage, il en devient l’acteur : il réfléchit sur ses modes de fonctionnement de la langue, apprend à gérer ses activités mentales et ses ressources, décide de ses objectifs, décrypte des données à travers une grille de lecture personnelle, construit lui- même sa compétence125.

De sujet passif, l’apprenant se transforme donc en acteur-auteur de son processus d’apprentissage, conception qui s’est traduite par la notion de « centration sur l’apprenant » qui doit également beaucoup à la revalorisation de l’individu en psychologie et en sciences de l’éducation, et a eu un certain nombre de répercussions importantes en didactique des langues étrangères, soit :

- une redéfinition du rôle de l’apprenant et de sa relation socio-pédagogique avec l’enseignant, ce qui implique une redistribution des prises de décisions constitutives du projet d’apprentissage (définition des objectifs, choix des activités et des matériaux, formes et finalités d’évaluation, etc.). Pour exercer cette autonomie, l’apprenant doit apprendre à apprendre et travailler en auto direction;

- cette évolution conduit logiquement vers une prise en compte de différences individuelles aux niveaux cognitifs (pensées, croyances et représentations, besoins et motivations, style et stratégies d’apprentissage et métacognitives) et linguistiques (interlangue, objectifs communicatifs)126.

2.2.2.1. L’apprenant, acteur de son apprentissage : la notion de centration

Liée à cette conception de l’apprenant-acteur, promue par les approches communicatives, le Conseil de l’Europe va confirmer en 1979 une nouvelle approche, celle de la centration sur l’apprenant, à travers la publication du rapport de Holec, intitulée Autonomie et apprentissage d'une langue étrangère. Il définit l'apprenant autonome comme quelqu'un qui a « la capacité de prendre en charge son apprentissage »127.

Holecdéfinit cette notion de centration comme suit :

Le concept de « centration sur l’apprenant » est devenu un pivot épistémologique du fait de sa capacité d’intégrer dans un ensemble cohérent des dynamismes jusqu’alors dissociés, tels que ceux issus de l’autonomisation des apprenants, de la pédagogie par objectifs, ou de la prise en

125 Cuq, 2003: 14

126

Cuq, 2003: 21 127 Holec, 1981: 3

compte de la dimension culturelle de l’apprentissage des langues128 .

Un enseignement communicatif privilégie les besoins linguistiques, communicatifs et culturels exprimés par l’apprenant. Se pose alors, pour certains apprenants, la difficulté de structurer et de maîtriser la masse d’informations linguistiques et culturelles reçues. C'est à l’enseignant de les systématiser, par des explications, des activités de réemploi et de structuration. D’autres apprenants apprécieront au contraire le rythme et l’efficacité d’un apprentissage qui est très exigeant mais ne leur fait pas perdre de temps. Leur motivation n'en sera que plus forte129.

2.2.2.2. L’apprenant, auteur de son apprentissage : la notion d’autonomie

C’est encore Holec, l’un des premiers chercheurs à s’être penché sur la question de l’autonomie au Centre de Recherches et Applications Pédagogiques en Langues (C.R.A.P.E.L.) à l’Université de Nancy 2, qui, dans les années 80, a élaboré des programmes d’autonomie dans l’enseignement des langues étrangères. Ainsi, dans l’une de ses publications pour le Conseil de l’Europe, il applique l’autonomie au domaine de l’apprentissage des langues et déclare que, pour atteindre cette capacité, « l’étudiant détient une part de responsabilité dans la méthode ». Cette responsabilité n’exclut en rien l’apprentissage présentiel en classe, réalisé au sein d’un groupe et avec le professeur. Au contraire, c’est justement en classe que celle-ci doit être favorisée et les conséquences de sa mise en place en seront d’autant plus riches (Holec, 1981)130

.

Dans cette optique, liée aux démarches d’auto-apprentissage, Cuq définira l’auto-évaluation comme suit :

L’auto-évaluation est une évaluation prise en charge par celui qui apprend, c’est-à-dire une évaluation dont l’apprenant détermine lui-même le champ, fondé sur les objectifs d’apprentissage qu’il s’était réellement fixés, les modalités (performances à prendre en compte, critères d’analyse de ces performances, et exigences-seuils de réussite à appliquer) et la finalité (à quoi va-t-elle servir ?). Il ne s’agit donc en aucun cas d’un simple transfert de responsabilité, l’apprenant ne faisant que ce que l’enseignant aurait fait. C’est une évaluation interne, et donc non certifiant, qui permet à l’apprenant, d’une part, d’apprécier le résultat, en termes d’acquisition, de ses efforts d’apprentissage, et,

128 Holec 1990, cité par Cuq et Gruca, 2008 (2002) :139 129

Tagliante, 2006 : 55

d’autre part, de porter un regard critique sur son apprentissage en tant que tel pour déterminer le degré de pertinence de ses choix didactiques131.

Selon le CECR132, ce sont les apprenants qui doivent développer des compétences et des stratégies et exécuter les tâches, les activités et les opérations nécessaires pour participer efficacement à des actes de communication. Lorsque l’enseignement proprement dit s’arrête, l’apprentissage qui suit doit se faire en autonomie. L’apprentissage autonome peut être encouragé si l’on considère « qu’apprendre à apprendre » fait partie intégrante de l’apprentissage langagier, de telle sorte que les apprenants deviennent de plus en plus conscients de leur manière d’apprendre, des choix qui leur sont offerts et de ceux qui leur conviennent le mieux. Même dans le cadre d’une institution donnée, on peut les amener peu à peu à faire des choix dans le respect des objectifs, du matériel et des méthodes de travail, à la lumière de leurs propres besoins, motivations, caractéristiques et ressources. A quoi s’engagent les apprenants ? Tagliante133 (2006) propose des consignes aux apprenants comme par exemple (nous résumons ici) :

- saisir toutes les occasions de communiquer et de pratiquer la langue cible en situation, en classe (avec les co-apprenants et l’enseignant), en dehors de la classe avec des natifs ;

- à saisir toutes les occasions d’être en contact avec la langue cible : en feuilletant des revues, en regardant des films en version originale, sous-titrés ou non ;

- à communiquer activement en partageant leurs connaissances avec les autres apprenants ; - à participer à une relation d’aide dans les sous-groupes de travail ;

à prendre le risque de faire des erreurs en cherchant à exprimer leur véritable intention de communication

- et à faire fonctionner ainsi leur interlangue ; à compléter leur Portfolio des langues (PEL) en insérant leurs productions et en répondant aux grilles de questions concernant l’auto- apprentissage;

- à apprendre à estimer leurs acquis et à demander à être évalués.

2.2.2.3. Nouvelles conceptions de l’enseignant : un rôle d’accompagnement

Dans notre thèse, nous serons amenées à interroger le rôle de l’enseignant. De même que nous avons déjà abordé les nouveaux comportements attendus et donc le nouveau rôle de l’apprenant dans le

131 Cuq, 2003 : 30 132

CECR, 2001 : 110 133 Tagliante, 2006 : 60

processus de son apprentissage (centration sur l’apprenant, apprentissage en autonomie), il est important d’appréhender les nouvelles conceptions de l’enseignant ou du formateur en langues en relation avec les changements de rôle de l’apprenant.

Dans le Dictionnaire de didactique du français (Cuq, 2003)134, un rôle signifie que c’est un acteur (enseignant ou apprenant) qui interprète subjectivement une fonction qui lui revient objectivement. On tient son rôle lorsqu’on prend l’initiative, lorsqu’on développe justement une action à l’égard de son apprentissage ou de son enseignement, lorsqu’on participe, lorsqu'on ne reste pas passif, lorsqu’on s’engage.

Quel(s) rôle(s)l’enseignant doit-il jouer selon les principes et les nouvelles démarches proposées par le CECR? On préconise un nouveau rôle à l’enseignant qui n’est plus la source unique de tout savoir mais qui crée et gère les conditions et ressources favorables à l’apprentissage, qui apprend à apprendre en transmettant non pas son savoir académique mais son savoir-faire didactique pour permettre à l’apprenant de prendre des décisions constitutives de son apprentissage (identification d'objectifs, matériaux et activités, évaluation, etc.)135.De ce fait les termes utilisés dans cette nouvelle conception sont les suivants : « Aide, facilitateur, moniteur, tuteur, expert, etc. » (Cuq 2003), « personne- ressource, médiateur, guide, conseiller, co-communicateur ». Quant au rôle de l’enseignant, Galisson (1980)136 précise qu’on « ne lui demande plus d’enseigner, mais de faire apprendre ».

A ce sujet, Tagliante illustre le rôle de l’enseignant dans les deux schémas suivants :

Figure 1 : Tagliante, 2006 : 27

Cette classe est organisée de façon verticale avec l’enseignant en position de domination vis-à-vis du

134 Cuq, 2003 : 216 135

Cuq, 2003 : 83 136 Galisson, 1980 : 49

groupe classe, lui-même en position de réception, voire de sujétion.

Figure 2 : Tagliante, 2006 : 28

Tandis que ce groupe classe ci-dessus se trouve dans une position horizontale. Dans ce type de relation, le savoir se transmet toujours, mais dans une relation d’égal à égal, qui place l’enseignant dans une position d’animateur ou de guide137

. La question suivante que nous pouvons nous poser pour aller plus loin dans cette notion, c’est à quoi s’engage l’enseignant selon une telle approche ? Voilà quelques consignes développées par Tagliante (2006) pour les enseignants de langue étrangère dans les nouvelles conditions d’apprentissage de la langue comme par exemple :

- il explique en langue maternelle en quoi consiste la maîtrise d’une langue étrangère (à l’aide de la grille de niveaux) ;

- il précise les modalités de travail (individuelles, en tandems, en groupes etc.) ; il présente les objectifs de travail ;

- il présente la variété des supports qui seront utilisés en classe (sonores, visuels, audiovisuels), pour que la langue enseignée s’inscrive dans la réalité socioculturelle qui est celle de ses locuteurs natifs et incite les apprenants à commencer leur collecte ;

- il présente le Portfolio des langues ; elle parle de la façon dont elle envisage le rôle de l’enseignant : celui qui est là pour aider à comprendre (un facilitateur), qui corrige et explique (un guide), qui anime les activités de groupes (un animateur) ;

- il développe les procédés, qui seront mis en œuvre pour évaluer les acquis, en séparant clairement le domaine du contrôle (institutionnel) de celui de la prise d’information (auto- évaluation, évaluation formative) ;

- il fait comprendre que dans ce type d’apprentissage, beaucoup d’éléments sont négociables138.

137

Tagliante, 2006 : 27-28 138

Des réserves peuvent être émises quant à ce concept de centration sur l’apprenant en vue de développer avec lui son autonomie dans l’appropriation de savoirs et savoir-faire en langues. Il faut en effet qu’un certain nombre de conditions soient réunies (Gohard-Radenkovic, 2015). Les requis préalables que nous retiendrons des propositions de l’auteure, citée ci-dessus139

, seront au nombre de quatre (nous résumons) :

- avoir un dispositif d’accueil et/ou une structure d’appui permettant de mettre en place ces démarches d’auto-apprentissage (guidé ou libre) et d’auto-évaluation, comme une médiathèque ou un centre de ressources accessible au sein de l’institution ;

- avoir affaire à des effectifs peu élevés que l’enseignant ou le formateur peut suivre individuellement mais aussi en tandem ou en petits groupes ;

- avoir des enseignants et formateurs bien formés à ces approches spécifiques et qui acceptent la transformation de son rôle traditionnel en un rôle de guide, tuteur ou conseiller, permettant de développer la fois les compétences en langue et l’autonomisation avec des outils comme le « contrat d’apprentissage », passé avec l’apprenant, en établissant un diagnostic des besoins au départ et des objectifs à atteindre à l’arrivée avec des rencontres-bilans intermédiaires ; - enfin, avoir le soutien d’une institution qui a une politique cohérente avec ses enjeux et les

objectifs qu’elle s’est fixés et qui investit des moyens dans ce type de dispositif ainsi que dans la formation et la mobilité de son personnel enseignant et même administratif.

2.3. Le Portfolio européen des langues : un outil au service de l’apprenant