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2 DES KHANATS KAZAKHS AU KAZAKHSTAN : PERSPECTIVE DIACHRONIQUE ET

2.3. L’indépendance du Kazakhstan : une nouvelle carte des langues

Le changement le plus marquant de cette reconquête de souveraineté a été que la langue kazakhe est proclamée langue nationale et officielle de l’Etat titulaire, ce qui redonna au kazakh le statut de langue première, symbole fondateur d'identité nationale pour le peuple kazakh jusqu’alors dépossédé de sa langue à travers son histoire. Sur ce point, J-P Roux note que vers 1990, les deux ethnies (russes et kazakhes) étaient revenues à peu près égales en nombre.27. En 1989, on peut dire que la situation du Kazakhstan est donc multiculturelle et multilingue. Il existe par ailleurs divers autres groupes

25 Alisheva-Himi, dans Outre terre, 2005/3 (N 12) : 253-268 26

Mayhew, Bloom, Kohn et Noble, 2011(2004): 61. 27 Roux, 1997 : 434

minoritaires. Sous le règne de l’Union soviétique, les individus qui furent contraints par Staline de vivre au Kazakhstan dans un but de domination politique par la masse, purent rentrer « chez eux » dans leur pays respectif. Ainsi a eu lieu la première vague de ré-immigration: les Russes en Russie, les Allemands en Allemagne.28

Le Parti républicain du Kazakhstan - qui fut créé le 11 novembre 1992 - a mis en priorité la reconstruction de l’Etat pour (r)établir la nation kazakhe. Il est vrai qu’il s’agit d’un réaménagement des rapports de force issus de l’histoire entre la Russie et le Kazakhstan et que l’espace concédé aux autres minorités est très circonscrit. Le pouvoir a donc autorisé l’apprentissage des langues des groupes minoritaires, ce qui leur a permis de conserver leurs langues premières et leurs traditions culturelles. Mais c’était vrai également sous l’Empire soviétique à travers les Maisons du Peuple. Le gouvernement de la République du Kazakhstan n’invente rien : il maintient en fait le statu quo concernant les « droits à leur langue et à leur culture » des minorités. Par exemple, des centres culturels se sont développés et certaines minorités qui étaient auparavant majoritaires dans le pays pouvaient aussi apprendre leur langue à l’école publique.

Le statut de la langue kazakhe et des autres langues en présence a dépendu des évènements qui ont eu lieu tout au long de l’histoire de son peuple. L’annexion du Khanat à l’Empire russe, les caractéristiques du dispositif politique, économique et éducatif de la période pré-soviétique, soviétique et post-soviétique (la catastrophe démographique 1929-1933, la migration de masse des personnes déportées en Asie centrale, le programme de conquête des "terres vierges" etc.), les événements au cours des dernières années (l’émigration, la transformation radicale du système politique et social, la revitalisation des langues et des cultures ethniques, etc.) ont contribué à la configuration actuelle du paysage sociolinguistique, sociopolitique et socio-économique actuel, ces trois dimensions étant étroitement interdépendantes.

2.3.2. Les intérêts des pays étrangers pour le Kazakhstan actuel et les enjeux du pays

En 1996, le Président Noursultan Nazarbaev a décidé d’accélérer les réformes en vue de la « kazakhisation ». C’est lors de la proclamation de son indépendance, que la République du Kazakhstan - avec ses ressources riches de matières premières (tels que le pétrole et les minéraux), représentant un énorme potentiel énergétique - a attiré l’attention des pays étrangers.

Le pays fut reconnu par une centaine de pays dont, notamment, les Etats-Unis, l’Inde, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Iran, le Japon, l’Allemagne, le Pakistan, la Chine et évidemment la

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Mais ce « retour au pays » s’est avéré utopique et s’est soldé par un échec. La plupart de ceux qui étaient partis ont souhaité ré-immigrer au Kazakhstan ou sont partis à l’étranger.

Fédération de Russie. En outre, le Kazakhstan a capté l’attention des Etats-Unis en raison de son importance stratégique en Asie centrale et de ses potentialités économiques.

La première visite d’Etat aux Etats-Unis du Président Nazarbaev a eu lieu en mai 1992. A ce moment- là, les principaux investisseurs américains, tels que Mobil, Chevron, Philip Morris et Coca-Cola purent s’installer au Kazakhstan. L’influence américaine n’était pas seulement économique et stratégique, mais aussi politique et linguistique29.

En effet, pour le Président, le Kazakhstan doit devenir concurrentiel sur tous les plans. Alors, en dehors des ressources naturelles du pays à optimiser, Nazarbaev a voulu aussi exploiter les potentialités académiques nationales, en impulsant une politique linguistique et plus tard en instaurant une politique de mobilité académique internationale.

Comme nous l’avons mentionné, le Kazakhstan avait fondé des universités et créer des programmes d’études supérieures sous la période soviétique. Ce développement des recherches antérieures dans le milieu académique fut pris en compte Pour être performant et établir des collaborations avec le monde, Nazarbaev décida de favoriser l’apprentissage des langues. Cela explique pourquoi, en 2007, il a lancé l’idée d’un trilinguisme officiel, en conservant le kazakh et le russe et en promouvant aussi l’apprentissage de l’anglais à tous les niveaux de l’éducation. Nous y reviendrons plus loin.

Dans cette perspective, il fallait concevoir de nouvelles pédagogies et changer les structures éducatives mises en place par l’Union soviétique et, en même temps, ne pas attiser les tensions interethniques. Il fallait donc éviter des décisions radicales comme ce fut le cas sous l’ère soviétique - en tenant compte de la complexité multiculturelle du pays afin de ne pas provoquer des positions extrémistes.

Mais ce qui s’est avéré le plus compliqué, c’était la restructuration universitaire. Le problème était que, avec cette nouvelle politique, celle-ci déclencha chez les russophones une insatisfaction socio-politique puisque ceux-ci subissaient alors le déclin de la position politique, culturelle, académique, juridique, etc. de la langue russe face à la nouvelle langue d’Etat titulaire officielle, le kazakh.

En 1994, 35,4% des élèves étaient inscrits dans la filière kazakhe et 64,6% dans la filière russe. Mais, en 1991, on observe déjà les premiers changements dans l’éducation du pays avec la disparition du « savoir soviétique ». Celui-ci consistait auparavant en un programme éducatif comportant notamment des cours sur les théories marxistes et sur l’athéisme. Par contre, étant donné la nouvelle politique de l’Etat dans le domaine de l’enseignement des langues, il n’y eut pas de restrictions majeures dans les programmes éducatifs à ce sujet.

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2.3.3. Les particularités politico et sociolinguistiques du Kazakhstan

La République du Kazakhstan a proclamé sa souveraineté en octobre 1990, date à laquelle Noursultan Nazarbaev a été élu président de la République. A cette occasion, des symboles traditionnels en lien avec la souveraineté ont été proclamés. Ainsi ont été inventés un drapeau, un hymne national et une monnaie nationale. Aujourd’hui, le Kazakhstan est un pays multilingue, multiethnique, multiculturel et multiconfessionnel où vivent différents peuples au sein d’un même pays. Le paysage ethno sociolinguistique du Kazakhstan moderne est donc caractérisé, d’une part, par un haut degré de diversité linguistique, de l'autre, par le fait que les deux groupes - kazakh et russe - dominent en nombre et de par leur statut spécifique tous les autres groupes ethniques.En effet, 130 nationalités sont présentes dans le pays. Elles sont constitutives de l’unité de l’Etat où les politiques linguistiques jouent un rôle essentiel et sont au cœur des enjeux nationaux

Aux lendemains de l’Indépendance, le Président de la République a déclaré l’égalité de tous les citoyens. Pour ce, il a notamment inscrit dans la Constitution « l’Article sur les langues », d’après lequel le russe parlé à l’époque encore par 95% des habitants était maintenue comme langue officielle, à côté de la langue kazakhe, langue des autochtones. En effet la langue russe était reconnue et parlée par un peu plus de la moitié des Kazakhs cultivés et nourris de culture russe, sans parler de représentants d’une centaine d’autres nationalités. En outre, afin d’apaiser les craintes des Russes qui se voyaient perdre leur statut au Kazakhstan, le gouvernement a donc déclaré que le russe resterait une langue majeure pour le pays puisqu’elle conserverait les fonctions d’une langue de communication interethnique.

Le Kazakhstan a défini sa politique des langues dans sa Constitution du 30 août 1995. Celle-ci fut adoptée par référendum et fixe les grandes lignes de la politique d’aménagement linguistique de l’État qui orienteront la rédaction de plusieurs lois. Selon le paragraphe 2 de l'article 7 de la Constitution de la République du Kazakhstan, à partir de 1995, la langue russe est utilisée officiellement au même titre que la langue kazakhe dans les institutions publiques et les organismes de l’administration locale. Sur ce point, à nouveau, en 1997, le Conseil constitutionnel décrète que : «.... Les organismes publics et les administrations locales devront utiliser les deux langues à égalité ».

Il est à noter que, le plus souvent, les Kazakhs sont bilingues. Ils savent souvent très bien le russe qui est, pour eux, comme une deuxième langue « maternelle ». En outre, d’autres ethnies sont trilingues voire plus. C’est le cas, par exemple, pour certains Ouzbeks qui - en dehors du fait de maîtriser le russe et le kazakh - parlent aussi leur(s) langue(s) première(s) héritée(s) de leur famille paternelle et/ou de leur famille maternelle.

Au sujet de la population du Kazakhstan, voici les résultats du recensement de 2009 publiés le 4 février

2011 :

Figure 5, recensement 2009

Source : Итоги Национальной переписи населения Республики Казахстан 2009 года, Аналитический отчет, publié en 2011

D’après ces tableaux, le pourcentage de Kazakhs est élevé en comparaison avec celui des Russes et les autres nationalités qui sont aussi russophones. Si le russe n’a pas conservé sa position dominante de langue politique, administrative, économique, etc., nous l’avons vu, il a été maintenu comme langue de communication entre les nombreuses ethnies de la société kazakhstanaise. En effet le gouvernement, pour préserver l’unité nationale, n’a pas souhaité évacuer la langue russe comme nous pouvons le voir dans d’autres Républiques ou Etats-nations issus de l’ex-Union Soviétique. De fait, la langue russe a maintenu sa position dans la vie sociale, économique et culturelle du pays dans lequel elle reste la langue la plus couramment utilisée, notamment dans les médias, mais a perdu sa place hégémonique sur le plan politique. Le gouvernement a su prendre en compte la diversité ethnique, culturelle, confessionnelle, etc. héritée de l’histoire, tout en trouvant des modalités de gestion et de contrôle à la fois d’une société composite.

67% 25%

3% 2% 2% 1%

Origines de la population en 2009

Les Kazakhs Les Russes Les Ouzbeks

3. LES NOUVELLES POLITIQUES LINGUISTIQUES AU KAZAKHSTAN ET LEURS