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2. COURANTS METHODOLOGIQUES PASSES ET PRESENTS : DE LA DIDACTIQUE

2.4. Emergence du champ du plurilinguisme : un tournant paradigmatique

2.4.1. Les notions de bilinguisme et plurilinguisme

Les notions de bilinguisme, de plurilinguisme et de l'éducation bi-plurilingue font partie intégrante du mouvement de la mondialisation et c’est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous y arrêter. Ces questions concernent un grand nombre de pays dont les Etats peuvent déclarer officiellement une politique monolingue, bilingue ou multilingue : mais où que ce soit dans le monde, les individus bi- plurilingues forment la majorité.

2.4.1.1. Bilinguisme, bilingue

On peut trouver des situations de bilinguisme ou les deux variétés sont considérées comme des langues indépendantes (souvent parce qu’elles ont été standardisées), ou l’une des deux est « langue », l’autre étant reléguée à une position inférieure (« dialecte », « patois », etc.) et ou ni l’une ni l’autre n’est une langue standard. Le bilinguisme n’est pas rare. Si l’on accepte qu’il existe autour de 6000 « langues » dans le monde actuellement et 200 « pays », il est clair que, même en excluant certains cas extrêmes de multilinguisme, tels que l’Inde, la Nouvelle-Guinée ou le Cameroun, pays dans lesquels on trouve des centaines de variétés sur une même superficie géopolitique, le pays statistiquement moyen est bi ou multilingue»153.

Dans son article, Brohy (1998) signale que l’âge d’acquisition est un facteur important. Elle distingue le bilinguisme de naissance, le bilinguisme des enfants, des adolescents et des adultes :

Souvent, on reconnaît aux seuls bilingues de naissance et d’enfance d’être de « vrais » bilingues, pour la simple et bonne raison et que le développement cognitif et affectif se fait en deux ou plusieurs langues et que l’accent constitue un « test » pour le grand public154.

153

Cuq, 2003: 36 154 Brohy, 1998: 89

Cette auteure ajoute :

Il (le bilingue) lui arrive aussi de mélanger les langues (alternance codique, interférences) en utilisant toutes les possibilités de son répertoire langagier. A ce moment-là, il est impossible de comparer ses compétences de façon quantitative, et on préfèrera considérer comme « bilingue » toute personne qui emploie deux langues (« variétés linguistiques ») au cours de sa vie quotidienne, même si d’un certain point de vue il y a une asymétrie entre ses compétences dans les deux. Inévitablement, si l’on est habitué à parler une langue dans une situation ou sur un thème donné, on acquerra les savoirs linguistiques et communicatifs concernés dans cette langue, qui dans ce cas dominera l’autre. Cela explique pourquoi le bilingue n’est pas nécessairement un traducteur ou un enseignant de langues né155

.

Selon Lüdi et Py (2003):

Etre bilingue signifie, entre autre, être capable de passer d’une langue à l’autre dans de nombreuses situations si cela est possible ou nécessaire, même avec une compétence considérablement asymétrique. C’est dire que le bilingue doit interpréter chaque situation de communication en vue de déterminer laquelle – ou lesquelles – des variétés qu’il maîtrise est – ou sont – appropriée (s). C’est le choix de la langue156.

Hamers et Blanc (1993) distinguent les bilingues sur le plan de leur appartenance et de leur identité culturelle. Un bilingue peut être biculturel, c’est-à-dire qu’il s’identifie positivement avec l’un et l’autre groupe culturel auquel il appartient et est reconnu par les membres de chacun des groupes comme un des leurs. Cette identité culturelle adaptée à deux cultures est probablement, sur le plan de l’affectivité, l’analogue de la bilingualité additive sur le plan cognitif157

.Quant à Grosjean (1993)158, il précise que la personne bi-plurilingue peut participer, s’adapter à la vie de deux cultures. Il souligne également que:

155 Cuq, op. cit: 36

156 Lüdi et Py, 2003:132 157

Hamers et Blanc, 1993: 25-26 158 Grosjean, 1993 : 13-42.

Est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours et non qui possède une maîtrise semblable (et parfaite) des deux langues. Elle devient bilingue parce qu’elle a besoin de communiquer avec le monde environnant par l’intermédiaire de deux langues et le reste tant que ce besoin se fait sentir. Son bilinguisme reflète ce besoin (Grosjean, 1984)159.

Siguan et Mackey, quant à eux, appellent bilingue la personne qui, en plus de sa première langue, possède une compétence comparable dans une autre langue et qui est capable d’utiliser l’une ou l’autre en toutes circonstances avec une efficacité semblable. La définition qu’ils proposent est celle que le bilingue possède deux systèmes linguistiques, mais insiste également sur le fait qu’il les maîtrise et les utilise de manière semblable et définit donc le bilinguisme par l’équilibre entre les deux systèmes160

. Pour ajouter plus loin :

Impossible d’étudier le bilinguisme chez l’individu sans considérer la fonction des langues qu’il parle dans la société à laquelle il appartient, et donc sans tenir compte du bilinguisme de la société. (…)

Bilinguisme individuel et bilinguisme social sont deux faits totalement distincts qui appartiennent à des ordres de réalité différents et qui exigent des définitions également distinctes161.

Pour Calvet, la définition suivante peut caractériser la personne bilingue:

Lorsque l’individu est confronté à deux langues qu’il utilise tour à tour, il arrive qu’elles se mélangent dans son discours et qu’il produise des énoncés "bilingues". Il s’agit ici de collage, du passage en un point du discours d’une langue à l'autre, que l'on appelle mélanges des langues ou alternance codique, selon que le changement de langues se produit dans le cours d’une même phrase ou d’une phrase à l’autre162

.

159 Grosjean, 1984 :16 cité dans Bigot, Bretegnier et Vasseur : 162 160 Siguan et Mackey, 1986: 11

161

Siguan et Mackey, 1986 :25 162 Calvet, 1993 : 22

2.4.1.2. Plurilinguisme, plurilingue

Par extension, à partir de bilingue et son dérivé bilinguisme, ont été créés les notions de multilingue/multilinguisme, plurilingue/plurilinguisme. Tous ces termes sont sémantiquement voisins. Le néologisme plurilingue tire son origine de bilingue, Le Nouveau Petit Robert distingue trois niveaux de définition163:

- qui est établi en deux langues (dictionnaire bilingue, édition bilingue); - où l'on parle deux langues (pays bilingue) ;

- qui maîtrise deux langues (enfant bilingue).

Selon Robert et Rosen (2010), le terme plurilinguisme recouvre des phénomènes complexes, résultats d’une cohabitation de langues, qui se manifestent au niveau individuel (on parle alors de multilinguisme), social et étatique.

De nombreuses études sont consacrées à la question, dont les données fournies par le site Les langues du monde de l’Université Laval, il ressort que :

la répartition géographique du plurilinguisme n’est ni régulière ni homogène : les 6700 langues parlées dans les quelques 225 pays du monde n’obéissent aucunement à la moyenne arithmétique qui, théoriquement, attribuerait environ 30 langues à chaque pays, ce qui n’est pas évidemment pas ce qui se laisse observer dans le monde. En Europe, le plurilinguisme est environ de 4,5 langues en moyenne par pays164.

Mais de quel plurilinguisme parlons-nous ? Officiel, de fait, de droit, collectif, individuel, etc. ? Lüdi et Py (2003) propose, pour leur part, trois types de plurilinguisme, qu’ils caractérisent comme suit 165.

163 Le Nouveau Petit Robert : 253 164 Robert et Rosen, 2010: 208 165

Qui reprennent les trois types de plurilinguisme définis en 1990 par Lüdi, Werlen, Franceschini, Antoni, Bianconi, Furer, Quiroga-Blaser, Wyman : 45

Plurilinguisme territorial

deux ou plusieurs langues sont parlées sur un seul et même territoire caractérisé par une certaine unité politico-géographique

Subdivisée en régions unilingues avec des parlers composites.

Plurilinguisme individuel

un seul et même individu (ou une famille entière, un groupe) maîtrise deux ou plusieurs langues.

Plurilinguisme institutionnel

l’administration d’une ville, d’un département, d’un pays, d’une organisation internationale, etc. offre ses services dans deux ou plusieurs langues.

Figure 5 : Lüdi et Py, 2000

Sur la proposition des sociolinguistes, les concepteurs du CECR166 distinguent la notion de « plurilinguisme » de celle de « multilinguisme» : la première étant la connaissance d’un certain

nombre de langues, la deuxième étant la coexistence de langues différentes dans une société donnée. On peut arriver à maintenir ou à développer le multilinguisme, en diversifiant l’offre de langues dans une école ou un système éducatif donné, ou en encourageant les élèves à étudier plus d’une langue étrangère, ou en réduisant la place dominante de l’anglais dans la communication internationale. Bien au-delà, l’approche plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le tas), il ne classe pas ces langues et ces cultures dans des compartiments séparés mais construit plutôt une compétence communicative transverse à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent. Face à des situations différentes, un locuteur peut faire appel avec souplesse aux différentes parties de cette compétence pour entrer efficacement en communication avec tout interlocuteur.

Dans le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques et éducatives en Europe (Beacco et Byram, 2007)167, le terme plurilinguisme est à considérer sous ce double aspect : il constitue une conception du sujet parlant comme étant fondamentalement pluriel et il constitue une valeur, en tant qu’il est le fondement de la tolérance linguistique, élément capital de l’éducation interculturelle.

166

CECR, 2001 : 11

Le multilinguisme désigne ici exclusivement la présence de plusieurs langues dans un lieu donné, indépendamment de ceux qui les parlent : par exemple, le fait que deux langues soient présentes dans un territoire ne permet pas de savoir si les habitants connaissent l’une et l’autre ou s’ils ne connaissent que l’une d’entre elles.

En regard de cette conception du plurilinguisme individuel, l’approche plurilingue est définie comme une compétence de l’apprenant qui est capable de passer d’une langue à l’autre. Bien évidemment, chacun utilise la capacité de l’autre pour entrer en communication, même si sa connaissance de la langue est faible. Autrement ces personnes peuvent communiquer avec des gestes, des mimiques. Il ne s’agit pas à proprement parler de maîtriser la langue avec le « locuteur natif » mais de développer une compétence plurilingue, soit une certaine flexibilité d’une langue à une autre.

Les politiques et les idéologies linguistiques seront donc appréhendés à la façon dont elles prennent en charge le plurilinguisme en ce qui concerne :

- la formation plurilingue, qui consiste à valoriser et à développer les répertoires linguistiques individuels des locuteurs, dès les premiers apprentissages et tout au long de la vie. Par formation(s) plurilingue(s), on se réfèrera désormais aux enseignements de langues (nationale, étrangère, régionale) dont la finalité est le développement du plurilinguisme comme compétence ;

- l’éducation au plurilinguisme, qui constitue l‘une des conditions du maintien de la diversité linguistique. Par éducation au plurilinguisme, on se référera aux enseignements, non nécessairement de langues, destinés à éduquer la tolérance linguistique, à sensibiliser à la diversité des langues, et à former à la citoyenneté démocratique168.

L’éducation plurilingue comprend donc à la fois les formations plurilingues et l’éducation au plurilinguisme, telles qu’elles viennent d’être spécifiées ci-dessus. D’autres auteurs affirment que toute éducation est plurilingue à sa manière169 :

- en ce qu’elle accueille (ou devrait accueillir) la diversité linguistique constitutive de toute société qui se reflète dans la diversité des variétés de langues composant le répertoire personnel de chaque apprenant (cf. 1.3.) ;

- en ce qu’elle pourrait enseigner (en) une langue de scolarisation qui n’est pas la langue première des apprenants ou de certains d’entre eux (ceux issus des minorités, les enfants de la migration, les enfants non entendant ayant comme langue première la langue des signes…) ;

168

CECR, 2001 : 11-16

- en ce qu’elle expose tous les apprenants - même ceux dont la langue première est la langue de scolarisation - à des variétés de la langue officielle/nationale qui ne sont pas celles auxquelles ils sont généralement exposés dans leur milieu familial, bien que cette exposition soit très variable selon le niveau socioculturel de ce milieu d’origine ;

- en ce qu’elle élargit et enrichit le répertoire langagier et discursif initial des apprenants.

Le concept de multilinguisme est, en principe, assez large et flexible. Il peut couvrir tant une limitation du nombre des langues (avec un minimum de trois) à utiliser dans les rapports avec les institutions de l’Union européenne, et au sein de ces dernières, qu’une inclusion de toutes les langues pratiquées sur le territoire de l’UE, qu’elles soient officiellement reconnues par les Etats-membres ou non170

.

De nos jours, de nombreux linguistes recommandent de respecter la distinction entre le « multilinguisme » qui se réfère à la connaissance de plusieurs langues chez un même individu et le « plurilinguisme » qui désigne la coexistence d'une pluralité de langues dans un espace géographique ou politique. C’est également la définition dans le Cadre Européen Commun de Référence171

, où les auteurs insistent sur la dimension individuelle exprimée par le concept de multilinguisme par opposition à la dimension sociale qu'implique le terme plurilinguisme. Ainsi dans un état plurilingue comme la Suisse, tous les individus ne sont pas multilingues, ni même bilingues (Lüdi, 1994), mais peuvent le devenir grâce au système éducatif. Selon Hoffman (1998), la plupart des Luxembourgeois sont d'abord monolingues, puis bilingues, puis deviennent trilingues ou multilingues grâce à leur système éducatif172. Dans cette optique, Hélot (2007) utilise dans son ouvrage le terme de plurilinguisme comme la connaissance multiple de plusieurs langues par un même individu, alors que le terme de multilinguisme de fait référence à la coexistence de plusieurs langues au sein de société ou d’un groupe173.

Beacco et Byram (2007)174 , quant à eux, classent les approches plurilingues ou plurielles en deux catégories, selon qu’elles visent principalement le développement d’une compétence plurilingue et de répertoires pluriels ou celui d’une conscience plurilingue et d’une tolérance à la diversité linguistique :

- la formation plurilingue (l’éveil aux langues, les approches interculturelles) ;

- l’éducation au plurilinguisme (la didactique intégrée, l’intégration entre langues et disciplines dans l’enseignement bi-plurilingue, l’intercompréhension des langues voisines).

170 Hanf, Malacek et Muir, 2010: 25-26 171 CECR, 2000: 11

172 Hélot, 2007: 27 173

Hélot, 2007:10

2.4.2. Changements des rapports entre les langues

2.4.2.1. Langue maternelle vs langue première

Il est important de dire que de nos jours plusieurs chercheurs estiment que la notion de langue

maternelle ou LM n’est pas bien utilisable tandis que langue première ou L1 semble être un terme plus

adéquat par rapport aux réalités sociolinguistiques vécues par les individus et les sociétés.

Qu’entend-on par langue maternelle (LM)? La didactique de la LM a un rôle précis : systématiser et améliorer la qualité de la langue qui, au moment où l’enfant entre dans le système formatif formel, vers l’âge de six ans, est déjà acquis. La notion de langue maternelle est difficile à définir strictement, à cause de son épaisseur historique, de ses déterminations plurielles et de ses connotations étendues. Anthropologiquement rapportée à la figure de la mère dans de très nombreuses cultures, et particulièrement dans l’aire occidentale, la langue maternelle ne s’identifie pas nécessairement à la langue de la mère: c’est la langue acquise la première par l’enfant qui peut être celle de la nourrice mais aussi celle du père, voire une langue-tierce dans le cas d’une structure familiale recomposée ou transplantée. Elle peut relever d’un indécidable dans le cas du fonctionnement langagier d’une famille originairement bilingue.

Selon Yanaprasart (2005), il semble qu’il existe des relations entre les langues, non seulement entre la langue maternelle (LM) et la ou les langues étrangères (LE), mais aussi entre les langues premières, secondes et étrangères (L1, L2, L3 etc.). La langue première ou L1 ne constitue pas seulement un point de départ, mais elle s’impose surtout comme un élément déterminant d’appui, d’ancrage et d’identification. La découverte de la langue inconnue se fait en recourant à une réflexion métalinguistique qui s’appuie sur des connaissances linguistiques antérieures175

. Nous trouvons cette notion présentée de manière exhaustive dans le CECR comme suit :

Langue maternelle est le terme courant correspondant, qui comporte cependant des connotations affectives comme famille ou origine non-présentes dans le terme de langue première. De plus, il n‘est pas toujours exact, car les enfants n’acquièrent pas leur première langue uniquement avec leur mère et ils peuvent acquérir plusieurs langues premières (deux ou davantage) simultanément dans des environnements familiaux multilingues. Langue native ou langue d’origine (heritage language en anglais) sont d’autres termes utilisés dans le même sens, qui comportent eux aussi des associations similaires à un groupe d’appartenance, source de l’identité. On notera que la