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2. COURANTS METHODOLOGIQUES PASSES ET PRESENTS : DE LA DIDACTIQUE

2.4. Emergence du champ du plurilinguisme : un tournant paradigmatique

2.4.2. Changements des rapports entre les langues

2.4.2.1. Langue maternelle vs langue première

Il est important de dire que de nos jours plusieurs chercheurs estiment que la notion de langue

maternelle ou LM n’est pas bien utilisable tandis que langue première ou L1 semble être un terme plus

adéquat par rapport aux réalités sociolinguistiques vécues par les individus et les sociétés.

Qu’entend-on par langue maternelle (LM)? La didactique de la LM a un rôle précis : systématiser et améliorer la qualité de la langue qui, au moment où l’enfant entre dans le système formatif formel, vers l’âge de six ans, est déjà acquis. La notion de langue maternelle est difficile à définir strictement, à cause de son épaisseur historique, de ses déterminations plurielles et de ses connotations étendues. Anthropologiquement rapportée à la figure de la mère dans de très nombreuses cultures, et particulièrement dans l’aire occidentale, la langue maternelle ne s’identifie pas nécessairement à la langue de la mère: c’est la langue acquise la première par l’enfant qui peut être celle de la nourrice mais aussi celle du père, voire une langue-tierce dans le cas d’une structure familiale recomposée ou transplantée. Elle peut relever d’un indécidable dans le cas du fonctionnement langagier d’une famille originairement bilingue.

Selon Yanaprasart (2005), il semble qu’il existe des relations entre les langues, non seulement entre la langue maternelle (LM) et la ou les langues étrangères (LE), mais aussi entre les langues premières, secondes et étrangères (L1, L2, L3 etc.). La langue première ou L1 ne constitue pas seulement un point de départ, mais elle s’impose surtout comme un élément déterminant d’appui, d’ancrage et d’identification. La découverte de la langue inconnue se fait en recourant à une réflexion métalinguistique qui s’appuie sur des connaissances linguistiques antérieures175

. Nous trouvons cette notion présentée de manière exhaustive dans le CECR comme suit :

Langue maternelle est le terme courant correspondant, qui comporte cependant des connotations affectives comme famille ou origine non-présentes dans le terme de langue première. De plus, il n‘est pas toujours exact, car les enfants n’acquièrent pas leur première langue uniquement avec leur mère et ils peuvent acquérir plusieurs langues premières (deux ou davantage) simultanément dans des environnements familiaux multilingues. Langue native ou langue d’origine (heritage language en anglais) sont d’autres termes utilisés dans le même sens, qui comportent eux aussi des associations similaires à un groupe d’appartenance, source de l’identité. On notera que la

variété linguistique dans laquelle on définit éventuellement son appartenance à un groupe n’est pas nécessairement la langue première, mais peut être constituée par une variété acquise ultérieurement.

On remarquera enfin que la variété dite maternelle est d’abord acquise principalement sinon exclusivement dans ses usages parlés, lesquels se conforment de manière variable aux normes de la langue nationale ou à celles de l’école. Cette proximité ou cet éloignement peut créer des formes d’avantage ou de handicap linguistique pour la scolarité.

On considèrera dans cette perspective les langues des signes, qui sont utilisées dans les communautés de malentendants ou de non-entendant et pour la communication avec les autres communautés linguistiques. Les langues des signes, qui sont structurées comme des langues naturelles, sont différentes entre elles et peuvent être utilisées comme langue pour l’enseignement. A leur propos se posent les mêmes problématiques que celles évoquées ci- dessus: intercommunication d’une communauté à l’autre, possibilité de créer une compétence plurilingue, fonction identitaire176.

Hamers et Blanc (1983) observent que « les définitions des concepts de langue maternelle varient d’un recensement à l’autre, même à l’intérieur d’un seul pays. Par exemple, le recensement canadien a adopté la définition suivante de la langue maternelle: « la première langue apprise et encore comprise », alors qu’en Inde la langue maternelle est définie comme « la langue parlée par la mère du répondant pendant l’enfance de celui-ci ». Or, cette dernière définition soulève des difficultés, notamment dans le cas des enfants de mariage mixte ou la langue de la mère n’est pas nécessairement la plus utilisée dans le milieu familial. La définition de la langue maternelle a d’ailleurs varié d’un recensement indien à l’autre, ce qui rend encore plus difficile la comparaison dans le temps entre différents recensements.

La notion de langue maternelle occupe donc une place ambiguë dans la recherche portant sur l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères. Traditionnellement la didactique et la linguistique de l’acquisition jettent en effet un regard plutôt méfiant sur les traces qu’elle pourrait laisser sur les connaissances et les performances des élèves dans la langue étrangère enseignée (Py, 2004)177. Skutnabb-Kangas178 dit à ce sujet:

176 CECR, 2001 : 23

177

Py, 2004: 139

1. la même personne peut avoir des langues maternelles différentes, en fonction de la définition choisie comme pertinente ;

2. la langue maternelle d’une personne peut changer durant sa vie, cela à plusieurs reprises, si l’on prend en compte n’importe laquelle des définitions avancées, à l’exception de celle liée à l’origine;

3. les définitions peuvent s’organiser de manière hiérarchisée, en fonction de degrés d’ouverture aux droits linguistiques accordés par une société donnée.

Les chercheurs évitent désormais le terme de langue maternelle, pensée comme uniquement liée à la mère. Dans ce sens, Castellotti (2001) dit :

Le fait que la mère de l'enfant, d'une part, entretienne avec lui la relation la plus régulière et contenue n'est pas universellement partagé; d'autre part, il existe des contextes ou la mère parle à l'enfant une autre langue que la sienne : celle du père, dans certaines tribus amazoniennes par exemple, ou encore celle du pays d'accueil dans le cas de certaines familles migrantes.179

Donc la langue maternelle peut être la langue paternelle. Si on dit de bilingue, il ne peut pas y avoir deux langues maternelles, dans ce cas les plusieurs auteurs utilisent le terme langue première (L1). La langue de départ peut être considérée comme synonyme de langue source, de la même manière qu’on peut assimiler langue d’arrivée à la langue cible. Elle concerne à la fois, en traduction, la langue connue d’un texte que l’on traduit dans une autre langue (langue d’arrivée ou langue cible), mais aussi, en didactique, la langue première d’un apprenant en situation d’apprentissage d’une langue cible ou langue d’arrivée. (Cuq, 2003: 149). Tandis qu’on désigne par langue cible, le code linguistique dans lequel un message est transformé par le processus de la traduction. La langue cible peut également designer, étrangère ou seconde (L2), objet d’un apprentissage dont on affirme alors qu’il ne pose pas les mêmes types de problème qui celui de la langue maternelle (L1). La linguistique contrastive se fonde en conséquence sur la comparaison, orientée vers l’apprentissage de la L2, des systèmes de la L1 et de la L2, selon une pédagogie spécifique et différenciée, définie en fonction des interférences entre la L1 et la L2. Cet usage didactique, susceptible de conduire à des confusions entre opérations de transcodage et d’apprentissage, n'est pas à recommander180

.

179

Castelotti, 2001, citée dans Geiger-Jaillet, 2005: 11 180 Cuq, 2003: 149

Quant à nous, nous avons choisi le concept de L1. Nous avons constaté qu’un bagage linguistique suffisant dans la langue première est important pour aborder l’apprentissage d’autres langues (L2, L3, L4). Toutes les faiblesses dans sa propre langue se reflètent des langues étrangères.

2.4.2.2. Langue de départ, langue cible - Langue seconde

Certains linguistes voient, dans le degré de maîtrise d’une langue non maternelle, un critère d’opposition entre langue étrangère et langue seconde:

La langue étrangère correspondra à toute langue, nationale ou non, acquise ou apprise après la langue maternelle. La langue étrangère peut donc être définie par rapport à l’apprenant : elle s’oppose alors à « langue maternelle » : elle peut être positionnée par rapport à la communauté nationale ; elle s’oppose, dans ce cas, à « langue nationale ».

Quant à l’expression langue seconde, elle désignera cette même langue étrangère considérée, dans l’ordre d’acquisition et de maîtrise, comme se positionnant immédiatement après la langue maternelle, appelée pour cette raison langue première (L1), mais avant toute autre langue acquise ou apprise ultérieurement (L3, L4, etc.)181.

Dans le même ouvrage, l’auteur utilise le terme de langue étrangère pour caractériser une langue non maternelle en cours d’apprentissage et destinée à prendre le relais de la langue maternelle de l’apprenant en situation de communication avec les natifs (ce qui constitue le but de cet apprentissage), en opposition avec la langue seconde, langue déjà maîtrisée ou langue dotée d’un statut officiel (le français dans certains pays africains par exemple) ou langue dont l’emploi est obligatoire (langue du pays d’accueil, de scolarisation) et qu’il faut donc apprendre ou acquérir.

- Langue étrangère (LE1, LE2, LE3 etc.)

Nous nous posons maintenant la question : qu’est-ce qu’une langue étrangère (LE) ? Cuq dans le

Dictionnaire de didactique du français182 propose la définition suivante :

181

Ngalasso, 1992 : 33 cité dans Robert, 2007 : 15 182 Cuq, 2003: 149

Le français est donc une langue étrangère pour tous ceux qui ne le reconnaissent pas comme langue maternelle, entrent dans un processus plus ou moins volontaire d’appropriation, et pour tous ceux qui, qu’ils le reconnaissent ou non comme langue maternelle, en font l’objet d’un enseignement à des parleurs non natifs.

2.4.2.3. Rapports entre les langues : un tournant paradigmatique

La langue première (L1) d’un individu, comme celle qu’il a acquise en premier, chronologiquement, au moment du développement de sa capacité de langage. « Première » ne signifie donc pas la plus utile, ni la plus prestigieuse, pas plus que « seconde » ne veut dire « secondaire ».

Selon Castellotti, (2001) puis Forlot et Beaucamp (2008), les phénomènes de transfert, tels les calques de la L1 à la L2 étaient qualifiés de « transferts négatifs ». En résumé, la L1 venait parasiter l’apprentissage de la L2 .Dès lors, il s’avérait nécessaire d’exclure le français de la classe de L2.

Ce phénomène d’interférences entre la L1 et la L2, désigné par la notion d’interlangue, est défini par Castelotti et de Carlo (1995) comme suit :

Les études sur l’« interlangue » montrent que l’apprenant se situe dans un processus d’adaptation graduelle de la langue maternelle pour s’approcher de la langue étrangère et redécouvrent la validité de l’analyse contrastive, non seulement au niveau de la structure superficielle mais aussi à un niveau conceptuel : la langue maternelle s’affirme, donc, comme point de départ pour l’accès à la langue étrangère183.

En outre, la reconnaissance de la nécessité pour les apprenants de prendre du recul vis-à-vis de la L2 a engendré des évolutions qui vont dans le sens d’une prise en compte de la L1 et de son utilisation. Dans une sorte de cohabitation des deux langues qui commence à s’affirmer, on convient généralement que la L1 joue un rôle important dans l’apprentissage de la L2 (Deyrich et Olivé)184

.

Par ailleurs on a pu remarquer que la plupart des apprenants a connu des apprentissages successifs (ou simultanés) de langues étrangères et secondes, en situation formelle ou informelle, en contexte institué ou naturel, et qu’ils ont bricolé, par tout un processus d’essais et d’erreurs, des stratégies de transferts et de passerelles entre les langues, propres à construire un profil plurilingue.

183

Castelotti et de Carlo, 1995: 78 184 Deyrich & Olivé in Forlot, 2009: 62

Conséquemment, en partant des parcours de langues des apprenants, on ne conçoit plus, en didactique des langues et du plurilinguisme, langues selon leur statut officiel dans un pays ou dans une institution ou selon leur dénomination politique (ex. comme langue seconde), mais selon l’ordre d’acquisition des langues par l’apprenant concerné : on parle donc de L1, L2, L3, L4.

Quant à nous, nous souscrivons à l’idée que chaque langue étrangère précédente facilite l'apprentissage d'une autre langue étrangère suivante si les apprenants ont des capitaux-langues et des capitaux culturels de départ suffisants et s’ils ont appris la langue première ou les langues premières dans de bonnes conditions.