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2 DES KHANATS KAZAKHS AU KAZAKHSTAN : PERSPECTIVE DIACHRONIQUE ET

2.2. Nouvelles étapes: de la russification à la soviétisation

Comme nous l’avons montré plus haut, en se ralliant à l’Empire russe, le « Territoire des steppes » a dû renoncer à ses prérogatives et se soumettre à la loi russe. Dans ces conditions a eu lieu entre le XIXème

et le XXème siècle une nouvelle étape de la politique de russification.

2.2.1. La Réforme agraire de Stolypine et l’afflux de paysans dépossédés de leurs terres

Entre 1900 et 1917, il y a eu une réforme agraire, appelée Réforme agraire de Stolypine, qui a eu pour conséquences que les paysans slaves et allemands sont venus s'installer sur le territoire kazakh. Ces migrations venaient des provinces de l'intérieur de la Russie tsariste. Avec cette colonisation, l’ancien Khanat Kazakh a alors subi des transformations profondes dans la composition de sa population, en raison de l’afflux croissant et continu de nouveaux types d’immigrés. Ainsi au début du XXème siècle, on peut dire que cette région est devenue une province multiculturelle de l’Empire de Russie, composée non seulement de Kazakhs, de Russes, d’Ukrainiens et d’Allemands mais aussi d'autres groupes en augmentation constante, comme les Tatars, les Mordves, les Estoniens, les Polonais, les Ouïgours, les Dungans, dans la cadre d’une politique de regroupement systématique d'autres populations sur le territoire kazakh.

2.2.2. Le processus de russification à travers l’éducation

La politique de russification chargée d’asseoir l’hégémonie russe s’appuyait en particulier sur la création dans les villes frontières, d’un système éducatif russo-indigène, visant à répandre la langue et la culture russe21.

Il y a eu tout d’abord une croissance urbaine avec la création de villes. Cela a, par conséquent, contribué au développement des réseaux de chemin de fer et de l’industrie, avec, en particulier, l’émergence de petites entreprises. Cette politique aura d’autres conséquences sur l’éducation. Des écoles russo-kazakhes furent ouvertes dans la première moitié du XIXème siècle et soumises aux exigences de la politique impérialiste du Tsar. C’est-à-dire que tous les habitants de ces régions annexées devaient suivre le même programme d’études concernant l’apprentissage obligatoire du russe à l’école. C’est pour cette raison que certaines personnalités intellectuelles de Russie viennent en pays kazakh pour promouvoir ce nouveau type d’éducation auprès de la population. Les écoles étaient ouvertes non seulement aux Kazakhs mais aussi à la population russe qui s’était installée, afin de promouvoir le russe et la russification du peuple non russophone et parfaire leur fusion avec le peuple russe dans sa langue.

Mais cette politique de russification ne signifiait pas pour les Kazakhs qu’ils devaient renoncer

complètement à leurs appartenances premières. Les enfants kazakhs pouvaient continuer à apprendre leur langue d'origine. Toutefois la politique de russification résidait dans le fait que tous devaient apprendre intensément, à un moment ou un autre de leur scolarité, la langue russe pour accéder après à de hautes fonctions. En revanche, comme nous l’avons mentionné auparavant, les Russes ne s’intéressaient pas à apprendre la langue kazakhe. Les Kazakhs devaient suivre l’enseignement de la langue russe à travers la comparaison de leur langue avec le russe. En plus, l’alphabet cyrillique a remplacé peu à peu l’alphabet arabe afin que la population puisse lire plus facilement les livres russes. L’Empire russe, même s’il dominait le pays, a laissé le Kazakhstan libre de continuer à étendre son réseau d’écoles russes et russo-kazakhes, dont le nombre par rapport à 1897, a doublé en 1911.

A ce sujet, Poujol (2000) remarque:

La deuxième partie du XIXème siècle, à partir de 1917, est cruciale pour l’histoire de l'identité des kazakhe. Elle constitue la strate au cours de laquelle la société nomade, fortement ébranlée après la redéfinition politique imposée depuis un siècle, est prête à en recueillir les fruits, avant de connaître un nouveau bouleversement. Les conséquences de ce contact, même s'il ne touche qu’un nombre limité d’individus, sont essentielles pour comprendre la spécificité même de l’identité kazakhe, forgée par des strates successives et en réponse à la pression et à l’influence russe22

.

2.2.3. L’instauration du pouvoir soviétique et le développement de l’enseignement supérieur

A partir de 1919, il y eut une intense préparation pour la formation du Kazakhstanqui eut pour résultat que le pays kazakh est devenu КССР «Казахская Автономная Советская Республика » KSSR, soit la « République kazakhe autonome soviétique», qui a donc fait partie de l’URSS.Cela a entraîné dans le système d’éducation une transition qui fait qu’en 1929, la langue kazakhe est passée officiellement de l’alphabet arabe à l’alphabet cyrillique.

Auparavant, même sous l’Empire russe, l’alphabet arabe permettait encore de lire toutes les publications turcophones, non seulement dans le pays kazakh mais aussi à l’étranger, ce qui était considéré comme politiquement nuisible par le nouveau système soviétique. Ainsi, avec ce changement d’alphabet, des centaines de milliers de Kazakhs devaient de nouveau apprendre un nouvel alphabet pour pouvoir lire et écrire.

Dans le domaine éducatif, la République kazakhe autonome soviétique a commencé à développer l’enseignement supérieur. Conséquemment, les Kazakhs n’étaient plus uniquement formés à l’école élémentaire. Avec la création d’universités, le peuple kazakh a pu faire des études supérieures, devenir

des cadres, en étant façonnés à la penséesoviétique à travers la langue.

2.2.4. La politique de déportations de Staline et ses conséquences sur la société kazakhe

La politique de Staline avait pour but de poursuivre et de renforcer la politique coloniale mise en place par l’Empire russe au Kazakhstan. Ainsi, après la guerre civile de 1924, il a planifié dès 1929 des immigrations massives de Russes et d’Ukrainiens (504.000 au total) dans la région de l’Ouest de la République kazakhe.Puis, avant la Seconde guerre mondiale, Staline a décidé d’expulser de l’URSS un certain nombre de peuples, tels que des Polonais d’Ukraine occidentale et de l’Ouest de la Biélorussie (1936), des Coréens du Primorié et de Sakhaline (1937), dans les pays satellites de l’Union soviétique, notamment dans notre pays. Ce fut aussi le cas, par la suite, pour les Coréens, les Azerbaïdjanais, les Turcs, les Kurdes, les Arméniens.

Pendant la guerre ont été aussi déportés des Allemands de la Volga, des Grecs du Territoire de Krasnodar en 1941. Puis entre octobre 1943 et juin 1944, des peuples furent déportés massivement en Sibérie, au Kazakhstan et dans d’autres pays d’Asie centrale pour avoir "collaboré" avec l’occupant : il s’agit des Karatchaïs (80 000), des Balkars (40 000), des Tatars de Crimée (200 000 personnes), des Tchétchènes (400 000) et des Ingouches du nord du Caucase (100 000), des Karatchaïs et des Kalmouks (140 000)23.

Il est à noter que, parallèlement à la politique de déplacements de Staline, République kazakhe a connu une catastrophe démographique qui a eu lieu entre 1929 et 1933. Tout cela explique qu’entre les années 1926 et 1939, environ 1 million de Kazakhs ont quitté le pays. Ils se sont exilés vers la Chine et d’autres pays d’Asie Centrale. Le peuple kazakh a perdu plus de 1798,4 personnes durant cette

catastrophe. Ainsi, d’un côté, la KSSRa connu une catastrophe naturelle, et de l’autre, un bouleversement politique

dû au système stalinien. Depuis 1929, l’accroissement de la présence des diasporas russes et les déplacements forcés de divers peuples ont eu pour conséquence une baisse irréversible du peuple kazakh qui devint minoritaire dans son propre pays.

2.2.5. La politique de mise en valeur des « terres vierges » de Kroutchev : renforcement de la population russophone

Après la disparation de Staline en 1953, l’URSS entre dans une nouvelle période de son histoire avec Nikita Khrouchtchev, devenu le Premier secrétaire de l’URSS. Son arrivée a marqué un véritable

tournant - tant idéologique que linguistique - dans l’histoire du Kazakhstan. Poujol (2000) dit à ce sujet:

…conscient de la nécessité d’entreprendre des réformes de grande envergure, le nouveau secrétaire du parti communiste de l’Union soviétique, Nikita Khrouchtchev, s’intéressa à la conquête de nouveaux espaces. Lors du Plenum du Comité central de février-mars 1954, Khrouchtchev a proposé un plan de mise en valeur des « terres vierges » du Kazakhstan pour redresser l’agriculture. Ainsi, près de deux millions de volontaires affluent au Kazakhstan.24

Tout ceci en fait a renforcé la politique de russification et consolidé son influence territoriale et économique sur les territoires kazakhs. Mais, à la différence de Staline, les nouveaux venus sont arrivés au Kazakhstan volontairement, et non plus par la force. Avec ces populations slaves qui sont arrivés en 1962, les Kazakhs ne constituaient alors plus que 29% de la population totale. Selon les diverses sources, il faut noter que la République autonome kazakhe, de par son histoire, constituait comme la seule république de l’Union soviétique ou la nation éponyme n’était pas majoritaire.

Figure 6 : Répartition par nationalités de la population du Kazakhstan de 1926 à 2009 Source : Wikipédia 24 Poujol, 2000: 70-71 47% 33% 9% 1% 8% 2%

Origines de la population en 1959

Russes Kazakhs Ukrainiens Uzbeks Allemands Tatars

Pour ce qui est de l’aspect linguistique, le russe est resté la langue dominante qui s’est trouvée renforcée par les nouveaux arrivants russophones. Conséquemment, entre 1954 et 1986, tandis que plus de 600 écoles qui enseignaient la langue kazakhe sont fermées, de nouvelles écoles russophones ont été ouvertes, traduisant dès lors la totale domination russe dans le pays. La majorité des Kazakhs parlaient le russe alors que les Russes, par contre, étaient peu nombreux (entre 2 à 5%) à parler la langue kazakhe.

En conséquence :

En 1989, ce sont 98,6% des Kazakhs qui déclaraient le kazakh comme langue maternelle et 62,8% qui donnaient le russe comme seconde langue. Cependant, le fait qu’ils aient indiqué que le kazakh était leur langue maternelle ne signifiait nullement qu’ils le maîtrisaient, mais témoignait plutôt d’un « sentiment national », au sens d’appartenance à une culture propre, même systématiquement appauvrie et réduite à l’état d’épure par la machine soviétique25

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Avant l’Indépendance de la République autonome kazakhe soviétique qui devient République du Kazakhstan, tout enseignement supérieur se donnait massivement en russe. Le kazakh n’était alors qu’une langue d’instruction pour seulement 17,6 % des étudiants. La langue des affaires demeurait le russe et, pour les Kazakhs de souche, leur langue maternelle était reléguée au rang de « seconde langue ou langue domestique ». En bref, les enfants kazakhs savaient mieux le russe que le kazakh. Mayhew, Bloom, Kohn et Noble (2011) commentent ainsi l’histoire du pays : « Tout cela fait que, en raison de leur contact prolongé avec la Russie au cours de l’histoire, les Kazakhs constituèrent le peuple le plus russifié d’Asie centrale »)26

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2.3. L’indépendance du Kazakhstan : une nouvelle carte des langues