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CHAPITRE II. DE 1880 A 1980 : DESTABILISATION DE LA RECUPERATION ET INDUSTRIALISATION DU

3. LA PROFESSION SE RECYCLE

3.3. LES NOUVEAUX MARCHES DES MATIERES RECYCLEES ET LES NOUVELLES TECHNIQUES DE RECYCLAGE

LES MARCHES DU 20EME SIECLE

Dans le chapitre précédent, nous avons décrit certaines matières qui furent les emblèmes historiques des métiers de la récupération comme les chiffons, les peaux, les os ou les plumes. Les matières suivantes ont remplacées ces vieilles matières dans la filière de la récupération et sont aujourd’hui beaucoup plus présentes dans les circuits du recyclage :

Les ferrailles

Comme toutes les matières recyclées, les ferrailles ont été dépendantes de l’évolution des usines consommatrices, c'est-à-dire de la sidérurgie. Elles étaient un appoint avec les fours Martin et Siemens – dont le développement industriel au 19ème était fondé sur la réduction du minerai de fer par du coke – et sont devenues indispensables avec l’avènement des fours électriques entre les deux guerres. Ces cahiers des charges plus stricts ont fait évoluer la

classification des ferrailles à « lopiner » 155 vers une diversité importante qui mettait plus en valeur le travail de négoce. Avec la création de la C.E.C.A. (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier), ce métier de négociant est devenu une activité industrielle avec des investissements lourds dans des machines mais qui ne peut réellement se passer d’ouvriers156.

Les métaux non ferreux (MNF)

La récupération des M.N.F. est une branche importante de l’économie nationale. Quand la production de métaux non ferreux lourds primaires est restreinte à quelques pays, sa consommation s’étend dans le monde entier. Ainsi, la France ne produit que de l’alumine et a toujours dû faire appel à des importations de cuivre, bronze, laiton, zinc, nickel ou étain157. C’est pourquoi certains métaux ont fait l’objet de récupération intense comme le plomb158 quand la demande fut forte. Le métier de récupérateur de M.N.F. est fort complexe car il demande une habilité et une bonne information du fait de la diversité des alliages produits en raffineries ou fonderies et des cours qui suivent fidèlement les fluctuations des métaux neufs. Pour donner un aperçu de la variété de cette catégorie, citons aussi les métaux spéciaux considérés comme des déchets dangereux (mercure, cobalt) et les métaux précieux (or, argent, platine).

Figure 14 : Utilisation de l'aluminium recyclé entre 1950 et 1999 (Source : World Aluminium Trend)

155 « Lopiner » de lopin : morceau de fer destiné à être façonné. 156

S. Barles, Op.cit., p215 157

FEDEREC, Op.cit.,, p99 158 S. Barles, Op.cit., p103

Les vieux papiers

Les vieux papiers contiennent des fibres cellulosiques que l’industrie papetière utilise comme complément du bois, qui lui est issu des chutes de scierie ou des sous-produits de la sylviculture (élagages et éclaircies)159. Une fois triées, effilochées, malaxées dans l’eau, les pâtes sont transformées par cisaillement et les impuretés sont écartées tels que les plastiques, fils de fer, trombones, les colles. La dernière étape consiste à désencrer les pâtes qui répondent enfin aux exigences de propreté pour réintégrer un nouveau cycle de production de papier. L’industrie papetière emploie 47% de ces fibres comme matières premières pour la fabrication de papier d’impression – écriture, d’emballage et de sanitaire. Cependant, le papier n’est pas recyclable à l’infini car la fibre se raccourcit. Ainsi le recyclage ne se fait pas en boucle fermée et il faut toujours des fibres vierges pour alimenter les papeteries. Même si la récupération du papier a évolué depuis 1953, le nombre de qualités triés a diminué de cent cinquante qualités dénombrées en 1960 à une soixantaine aujourd’hui160

.

Tableau 1 : Recyclage de papiers-cartons entre 1950 et 2002 en France (Source : G. Bertolini)

Le verre

Le verre récupéré peut se recycler à l’infini. Broyé, calibré, débarrassé de toutes les impuretés, il devient du calcin, part la plus importante dans la fabrication du verre, remplaçant le carbonate de soude. A la suite des chocs pétroliers des années 70, les verriers étant de gros consommateur d’énergie (l’énergie représente la part la plus importante dans leur Chiffre d’Affaire), le recyclage qui permet de fortes économies s’est développé de façon spectaculaire et chaque usine verrière a à ses côtés un récupérateur de verre. Actuellement, une bouteille sur deux est recyclée et cela est considéré comme une réussite pour ce qui est de la sensibilisation

159

C. de Silguy, Histoire des hommes et de leurs ordures , 1996, le Cherche Midi Editeur, p154 160 FEDEREC., Op.cit., p102

du grand public161. Mais le travail des recycleurs est de plus en plus compliqué sous les exigences des maîtres verriers qui imposent continuellement moins d’impuretés et progressivement un tri par couleur pour le verre blanc qui ne peut se fabriquer à partir de verre coloré.

LE MATERIEL DE COLLECTE

La collecte des déchets a aussi beaucoup évolué depuis le Moyen-âge jusqu’au 20ème siècle. L’avènement des tombereaux qui permettent de charger les boîtes à ordures, dont on a parlé, est la première étape vers la modernisation de la collecte et la privation de la matière récupérée par les chiffonniers. Ainsi, même si au début du siècle, se présentait systématiquement un chiffonnier aux abords du tombereau, son rôle n’était plus le même et il est absent du convoi de camion de collecte lorsqu’« au lendemain de la Première Guerre

mondiale, les tombereaux hippomobiles disparurent du décor parisien et furent remplacés par des camions automobiles électriques»162. Avec l’apparition des premiers camions de collecte d’ordures ménagères, le métier du recyclage se trouve une nouvelle voie, se décharge de la collecte municipale et évolue à sont tour.

Le transport de marchandises vers des usines productrices proches ne se fait plus à l’aide de la charrette à chevaux mais de camions puis de semi-remorques chargées d’abord avec des monorails électriques puis à la grue. Ces grues, à roues ou à chenilles, ont d’ailleurs révolutionné les chantiers de ferrailles où toute la marchandise était auparavant chargée à la pelle et la sueur des ouvriers. « Avec l’aide des professionnels de la récupération, les

constructeurs de matériels mirent alors au point des grappins adaptés à la manipulation des ferrailles. Ces grappins équipés de quatre ou six dents, chacune avec un vérin particulier, donnèrent une souplesse et une sûreté d’emploi sans précédent »163

.

Par la suite, les électro-aimants adaptés aux grappins sont venus donner encore plus de maniabilité aux grues hydrauliques. Puis l’apparition des camions-bennes dans les années 60-70 bouleversa la collecte traditionnelle et offrit de nombreuses possibilités pour les récupérateurs qui purent déposer directement des bennes chez des usines et réaliser des

161 Ibid., p105 162

A. Bréchot, Hygiène publique et industrielle, vol. 1 : Collecte, transport et traitement des

ordures ménagères, 1924 cité dans C. de Silguy, Op.cit., 1996, p35

rotations. De même, les camions grues, c'est-à-dire des camions équipés de grappins, sont devenus monnaie courante chez les récupérateurs malgré l’investissement que cela représente.

LES TECHNIQUES DE RECYCLAGE

Depuis 1890, le matériel s’est beaucoup développé mais inégalement selon les métiers. L’industrie du chiffon a suivi l’évolution des presses manuelles jusqu’aux presses électriques dont le mécanisme n’a plus besoin d’énergie humaine mais est remplacé par l’hydraulique. Les chiffons étaient ensuite traités dans une blanchisserie puis passés par une lessiveuse-essoreuse avant d’être revendus. Pour les tissus, l’effilochage ainsi que l’essuyage et la friperie - activités du recyclage des tissus - étaient effectués par des machines.

Figure 15: Tri des chiffons et effilochage (Source : F EDEREC)

La branche de la ferraille a connu le développement le plus lourd dans ses techniques de recyclage. Avant la guerre de 1939, la découpe des ferrailles se réalisait à l’aide du chalumeau d’abord à oxyacétylénique puis au mélange air / propane. Par la suite, les cisailles « crocodiles » américaines sont apparues sur quelques chantiers de ferrailleurs en France. Elles permettaient de découper les ferrailles longues avec l’inconvénient d’être très lourdes et

dangereuses. A partir de 1945, les moteurs de ces machines sont devenus plus maniables, plus légers et plus sûrs – notamment grâce à la possibilité de l’arrêt instantané. Par la suite, la cisaille guillotine engendra de nouvelles possibilités de découpe de la ferraille car d’une part, elles étaient chargées à la grue et d’autre part, la productivité s’est accrue avec la présentation des ferrailles en continu dans le caisson d’entrée. Ce matériel est toujours très présent sur les chantiers.

Figure 16:Cisaille crocodile à ferraille (Source : FEDEREC)

A partir des années 1950, le matériel de compactage a connu une évolution régulière et son apogée avec les fours Martin. « Ces presses à ferrailles devaient répondre à diverses

conditions inhérentes soit aux qualités de ferraille à travailler, soit aux utilisations par les usines : -dimensions de la caisse de réception, - double ou triple compression, -puissance de la pression d’écrasement, -densité et taille des paquets, -dispositifs de chargement des déchets et d’évacuation des paquets »164

. De plus, les paquets de ferraille n’étaient pas adaptés par les fours électriques du fait de la fusion trop lente des paquets. D’où une recherche de solutions qui aboutira la mise au point des broyeurs. Les broyeurs de matériaux de carrière ont servi de modèles et ont été adaptés pour les tournures d’acier, puis pour les carrosseries de voitures. Les systèmes ont été mis au point depuis les années 60 pour devenir

de véritables orchestres de broyeurs à marteaux avec des systèmes de dépoussiérage et de tri magnétique où les ferrailles naviguent via des tapis roulants, dumpers, et trémies d’alimentation pour devenir des granulats répondant aux exigences des aciéries électriques. Ces unités sont maintenant complétées par des tris magnétiques, granulométriques par électroaimant ou par flottation pour les ferreux.

D’autres branches ont profité de ces avancées technologiques comme la filière des métaux non ferreux et du verre. Le courant de Foucault pour les non-ferreux, le tri aéraulique ou tri granulométrique pour les éléments légers, et le tri au laser pour le verre de couleurs sont venus renforcés une qualité du produit fini toujours recherchée par quelques récupérateurs acharnés et afin de s’adapter à de nouvelles contraintes des usines consommatrices et à de nouveaux produits mis sur le marché. « A partir des années 1950, de nouveaux matériels sont

apparus : le matériel de découpage : les cisailles, le matériel de compactage : les presses, et le matériel de broyage : les déchiqueteurs »165. Ces machines représentaient une révolution dans la branche et il fut possible de traiter énormément plus de tonnages. Cependant, elles représentaient un investissement lourd qui correspondait à un choix stratégique important pour les entreprises de la récupération.

Figure 17 : Broyeur à ferrailles (Source : Baudelet Environnement)

165 FEDEREC, Op.cit. , p117