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CHAPITRE IV. LA CONSTRUCTION DU RECYCLAGE DANS L’ARSENAL LEGISLATIF : ANALYSE DES POLITIQUES L’ARSENAL LEGISLATIF : ANALYSE DES POLITIQUES

2. LE CADRE FRANÇAIS DU RECYCLAGE DES DECHETS

2.2. LA LOI DE 1992 : LA SITUATION « ULTIME »

L’élaboration de la loi de 1992317

correspond à la transposition de la directive européenne de 1991 et la réforme de la loi française de 1975. Contrairement à la loi de 1975, la loi de 1992 est votée une année après la réforme de la directive de 1991 ce qui atteste d’une transposition tardive. La France accuse un retard et n’est plus anticipatrice comme en 1975. Il ne s’agit pas seulement d’une tendance française mais du renforcement de la politique européenne : « chaque gouvernement ou ministre de l’Environnement contribue à la politique européenne

et infléchit la politique nationale suivant sa sensibilité, mais les objectifs fondamentaux et les

314

P. Lascoumes, La gestion technocratique des risques industriels , 1998, p285, dans B. Barraqué, J. Theys (sous la dir.), Les politiques de l’environnement. Evaluation de la première génération :

1971-1995, Paris, Recherches, 391p.

315 Ibid., p284

316 Cf. Partie I, A. Guillerme, Lefort A. -C., Jigaudon G., Dangereux, insalubre et incommodes –

Paysages industriels en banlieue parisienne XIXe - XX siècles, Champ Vallon, 2004,

317

Loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement.

tendances lourdes fixées de plus en plus au niveau européen en déterminent grandement les contenus et assurent la continuité des politiques nationales, globale ou sectorielles »318. Le contexte à partir de la fin des années 90 est proche d’une situation de crise du fait du risque de pénurie d’exutoires – c’est à dire d’installations d’élimination finale (considérées en France comme les centres d’enfouissement). Cette pénurie s’exprime doublement : en termes de maillage territorial et de capacité de traitement. De plus, l’implantation de nouveaux sites est fortement ralentie par l’opposition riveraine (mouvements NIMBY319

). La réforme de la loi de 1975, votée le 13 juillet 1992, intervient dans ce contexte d’urgence. Elle a pour objectifs principaux de prévenir la production de déchets, de limiter les distances de traitement, de valoriser les déchets et d’assurer l’information au public. La première mesure de cette loi consiste à interdire, à partir du 1er juillet 2002, l’enfouissement aux déchets non ultimes définis comme suit : "Est ultime au sens de la présente loi un déchet, résultant ou non

du traitement d'un déchet, qui n'est plus susceptible d'être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux"320.

La limitation de l’enfouissement aux seuls déchets ultimes va avoir comme effet non pas de développer les filières de recyclage, mais d’instituer l’incinération qui s’offre aux collectivités comme la solution la plus adaptée et ce, malgré une circulaire de 1998 tentant de la limiter. Ainsi, la réforme de 1992 ne différencie pas, dans la hiérarchie des modes de traitement, valorisation énergétique (l’incinération) et recyclage. Gérard Bertolini montre qu’en plus de cette injonction, l’image de la décharge en subit les conséquences : « Les dispositions

relatives à la mise en décharge (Centre d’Enfouissement Techniques) marquent un « virage idéologique » par rapport aux positions antérieures du Ministère de l’Environnement ; elles risquent de « disqualifier » la décharge, dont l’image est déjà très négative, sauf à en renouveler fortement les conceptions et les pratiques ; elles risquent également d’aboutir à un fort développement de l’incinération, à défaut d’un développement de valorisation matière »321. En sus de cette interdiction, la loi de 1992 instaure une taxe sur la mise en

318 M. Attar, La gestion des déchets ménagers, une responsabilité partagée , 1999, Journal officiel de la République française. Avis et rapports du Conseil économique et social, p9.

319 NIMBY : Not In My Back Yard (Pas dans mon jardin). 320

Article II de la Loi n° 92 -646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement.

décharge - dont le taux augmentera progressivement – qui alimentera le Fonds de Modernisation de Gestion des Déchets (FMGD). Ce fond est géré par la nouvelle Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (ADEME) qui remplace l’ANRED et va permettre aux collectivités d’être subventionnées pour leurs efforts de valorisation tels que l’investissement en équipements de déchèteries et de centres de tri des déchets.

La politique de gestion des déchets s’oriente vers une territorialisation de plus en plus prégnante. Le principe de proximité concernant l’élimination des déchets articule l’obligation de planification départementale pour les déchets ménagers et régionale pour les déchets industriels. « La mise en œuvre de la loi de 1992 repose sur l’interprétation au niveau local

de principes d’actions et de notions tels que le déchet ultime ou le principe de proximité. A cette fin, un outil majeur est rendu obligatoire : les documents de planification, fruits d’une élaboration concertée entre les acteurs concernés, doivent définir la politique local de gestion des déchets. Ainsi, est affirmée cette volonté de « territorialiser » la politique déchet, le législateur fournissant des outils à même d’organiser une certaine réappropriation territoriale du problème déchets »322. Sous la responsabilité de l’Etat, un panel d’acteurs locaux (représentants des communes et de leurs groupements, des professionnels concernés et des associations agréées de protection de l'environnement) est sollicité pour réaliser la concertation nécessaire à destinés à coordonner et programmer les actions de modernisation de la gestion de ces déchets à engager à cinq et dix ans notamment par les collectivités locales. Ainsi, ces plans ont pour but la mise en œuvre d’une autonomie des territoires (départements et régions) en matière de capacités de traitement. Ils fixent les objectifs de recyclage et de valorisation à atteindre, les collectes et équipements à mettre en œuvre à cette fin, les échéanciers à respecter et évaluent les investissements correspondants. Par ailleurs, une procédure de consultation du public entérine ce document opposable au tiers, que les collectivités doivent donc respecter. La réforme de 1992 marque ainsi l’intégration du public dans la gestion des déchets par son rôle multiple et prépondérant dans l’acceptabilité des installations de traitement ou la participation au tri à la source des déchets. Nous verrons ainsi dans le chapitre suivant que c’est à partir des années 1990 qu’émerge la collecte sélective (ou séparée) des déchets ménagers.

322 L. Rocher, Op.cit., p83