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CHAPITRE II. DE 1880 A 1980 : DESTABILISATION DE LA RECUPERATION ET INDUSTRIALISATION DU

4. L’INDUSTRIALISATION DU RECYCLAGE

4.1. ABANDON DU CHIFFONNAGE URBAIN ET TECHNIQUES MODERNES

LA VILLE EXPEDIE LES CHIFFONNIERS

Au début du 20ème siècle, l’activité du chiffonnage dans les villes est rendue extrêmement difficile. Après l’arrêté Poubelle, ils peuvent continuer à trier quelques chines mais doivent le réaliser dans la plus grande propreté, c'est-à-dire en ne renversant rien en dehors du casier sur les trottoirs urbains. Ces conditions draconiennes rendent la pratique de la récupération des

166

S. Barles, Op.cit. , p183 167

Cité dans S. Barles, Op.cit., p171 168 S. Barles, Op.cit. , p183

rues quasiment impossible. « En 1903, un rapport officiel du Ministère du Commerce et de

l’Industrie précise que l’industrie du vieux chiffon prélève entre 10 et 15 % des déchets ménagers» 169. L’âge d’or des chiffonniers trente ans plus tôt est déjà bien loin ! Cette

situation perdure et affame les chiffonniers qui endurent un dernier coup en 1946 à Paris où le Préfet de la Seine Charles Luizet fait passer un court arrêté interdisant complètement le chiffonnage sans préavis ou consultation alors que cela concerne 10 000 chiffonniers. Une fois de plus l’argument hygiéniste fait office de solution car fouiller dans les poubelles est interdit au motif que ces activités « facilitent la propagation des germes et des maladies transmissible ».

Malgré une forte mobilisation du syndicat des chiffonniers dissous sous Vichy – une manifestation de 6 000 chiffonniers devant la Bourse du Travail le 5 décembre 1946 - et une victoire avec l’abrogation de cet arrêté, la bataille est perdue et les chiffonniers disparaissent dans les années 1950. L’argument du caractère économiquement viable de leur activité ne fait pas le poids. L’autorité publique ne les soutenant à aucun moment, « les chevaliers du crochet

et de la hotte ont disparu du paysage urbain, leur temps est révolu » 170. La circulation des ordures ménagères du 20ème siècle ne convient plus aux nouvelles dispositions de la propreté urbaine.

Ainsi, la gestion des déchets se renouvelle complètement, la collecte artisanale est abandonnée et d’autres solutions de traitement sont promues par les autorités publiques et les hygiénistes. Il s’agit de dégager, éloigner de la vue, circuler : « Dans l'hygiénisme il s'agit

d'évacuer le sale, de faire circuler l'ordure (être ou choses) ; nettoyer c'est désinfecter, anticiper sur la menace microbienne »171. Le volume croissant des déchets urbains va modifier la pratique de la collecte des ordures ménagères et engendrer l’adoption de « la

benne-tasseuse, employée à Paris à partir de 1936, [qui] entraîne la disparition des autrefois si précieux chiffonniers-tombereaux, dont l’utilité avait été compromise par l’utilisation de bennes fermées » 172. L’effet rebond de cette rupture dans la filière des déchets est l’apparition de matières recyclables dans le tonnage des déchets urbains.

169 K. Sperandio, Op.cit., p87 170 C. de Silguy, Op.cit., 1996, p82 171

M. Kokoreff, La propreté du métropolitain, Vers un ordre post -hygiéniste ?, 1991, Annales de la recherche urbaine, p2

LES DECHETS DANS LES BANLIEUES

Ces mutations accompagnent un processus d’urbanisation et un étalement de la ville. C’est le développement des banlieues qui accueillent populations et industries. Le traitement des ordures ménagères de Paris est ainsi délocalisé dans la banlieue. Plusieurs antennes de dépôt, de broyage, de carbonisation et d’incinération forment un réseau pour éliminer les immondices de Paris. « Paris a choisi de pousser hors les murs ce service indispensable à la

vie d’une grande agglomération, comme elle a exporté ses industries les plus polluantes. »173

L’essor de cette industrie en banlieue n’est pas fait pour plaire aux riverains de ces installations ou ceux situés sur le trajet des flux d’ordures ménagères : « tombereaux qui

circulent trop chargés, mal bâchés, mal vidés et ressortent de l’usine ma balayés et non désinfectés ; retard dans l’évacuation des gadoues, par manque de wagons ; indiscipline des chiffonniers admis dans les fabriques : dégagement de poussières des usines d’incinération »174. La première installation d’incinération de Paris est mise en route en 1907 à Saint-Ouen avec l’idée d’utiliser la chaleur produite pour le fonctionnement des appareils de broyage, des machines à vapeur ainsi que pour les batteries des tombereaux. Malgré cette idée ambitieuse, le procédé sera abandonné car trop coûteux175.

173 A. Guillerme, A.-C. Lefort, G. Jigaudon, Dangereux, insalubre et incommodes – Paysages

industriels en banlieue parisienne XIXe - XX siècles, Champ Vallon, 2004, p230

174

Ibid., p230

Figure 18 : Eugène Atget - Porte d'Italie : la zone (Source : BNF)

Le déménagement urbain des industries polluantes de Paris se fait au détriment d’une politique d’aménagement de banlieues parisiennes qui en auraient véritablement besoin. Des agglomérats industriels, « de véritables îlots insalubres »176 se mettent en place créant une ségrégation spatiale entre industriels et résidentiels, aboutissant à la colère des banlieues face à l’indifférence de la ville. Après avoir été exclu de la ville, les biffins connaissent des difficultés d’implantation dans les banlieues et sont la source de conflits entre le préfet de Police, qui les autorise trop facilement à exercer dans ces espaces, et des élus de banlieue car selon eux, « ces activités présentent d’incontestables gênes pour le voisinage sans

contreparties en matières d’emploi et de ressources fiscales »177

. Pour les bourgeois du centre ville, la zone devient odorante, repoussante, infestée d’une frange infréquentable de la population: « La ville cache tant qu’elle peut ses foules de pieds sales dans ses longs égouts

électriques […] Les chiffonniers de la zone brûlent depuis des saisons les mêmes petits tas

176

A. Guillerme, A.-C. Lefort, G. Jigaudon, Op.cit., p309 177 Ibid., p255

humides dans les fossés, à contre vent. C’est des barbares à la manque des biffins pleins de litrons et de fatigue »178.