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CHAPITRE II. DE 1880 A 1980 : DESTABILISATION DE LA RECUPERATION ET INDUSTRIALISATION DU

2. LA PERTE DE DEBOUCHES POUR LES MATIERES RECUPEREES

Une rupture importante de l’évolution de la récupération est sans nul doute liée au manque de débouchés des matières recyclées du fait de la concurrence accrue de nouvelles matières : « From the 1870s onward, the doctrine that the recycling of by-products is a condition of

industrialization, food production and salubrity, was undermined by the mobilization of new resources and raw materials »131. Bien que les Matières Premières Urbaines (MPU) aient contribuées à l’essor de l’industrie comme l’a montré le chapitre précédent, cet affaiblissement déstabilise fortement la récupération.

2.1. LA CONCURRENCE DE NOUVELLES MATIERES

En même temps que la réglementation se durcit pour les récupérateurs, les débouchés des matières de la récupération urbaine se tarissent à partir des années 1870. L’industrie et 128 Ibid., p130 129 D. Guiot, Op.cit., p122 130 Ibid., p123

131 S. Barles, History of waste management and the social and cultural representation of waste , 2010, dans World Environmental History, [Eds. M. Agnoletti, E. Johann, S. Neri Serneri], dans Encyclopedia of Life Support Systems (EOLSS), Developed under the Auspices of the UNES CO, Eolss Publishers, Oxford, UK, [http://www.eolss.net] [Retrieved November 20, 2010]: « A partir des

années 1870, la doctrine du recyclage des co -produits est une condition de l’industrialisation, de la production de nourriture et de la salubrité, fut af faiblie par l’utilisation de nouvelles ressources et de matières vierges ».

l’agriculture s’éloignent des solutions que leur offre la ville et la gestion du développement économique urbain se désagrège. Sabine Barles défend ainsi la thèse d’une « désurbanisation

des matières premières »132. Alors que les flux circulaient en boucle fermée, cet équilibre est modifié par plusieurs mécanismes : les débouchés disparaissent, la valeur marchande des MPU souffre et les entités se cloisonnent.

D’abord, les industriels commencent à rechercher des substituts au chiffon. Le gisement du vieux tissu montre ses limites alors que les cours du chiffon ne montrent pas de frontière. La recherche fait émerger de nouveaux matériaux tels que la paille, l’alfa et le bois. L’industrie papetière trouve un allié à proximité dans l’agriculture avec la valorisation des terres grâce à la production de paille. L’alfa connaît un très bon rendement et permet d’obtenir une excellent pâte mais la production est éloignée et les frais de transport sont élevés de l’Algérie et autres pays méditerranéens, où la plante est endémique.

L’exploitation du bois est revisitée car la technique existait déjà chez les Chinois qui avaient déjà conçu du papier à partir de fibres d'écorces et de bambous. Friedrich Gottlob Keller fabrique de la pâte mécanique au moyen d'une meule et dépose un brevet en 1844 et Keller cède en 1846 son invention à un autre Allemand de Saxe, Heinrich Voelter. Ce dernier perfectionne le système, met au point le « défibreur Voelter » en 1860, puis s’associe avec J.-M. Voith, fondateur de la puissante firme allemande, pour la construction de matériel papetier133.

La substitution du chiffon par ces nouvelles matières premières n’est pas immédiate, mais permet d’augmenter par deux entre 1900 et 1920 la production française de papier. Par ailleurs, la récupération du chiffon décroit fortement : « D’après les syndicats patronaux et

ouvrier, la consommation de chiffons a été divisée par deux entre 1880 et 1900 »134 même si les cours de chiffons de très bonne qualité se maintiennent. Le chiffonnage qui prospérait jusqu’en 1870 décline brutalement avec l’avènement des nouveaux procédés de fabrication de la pâte à papier. Tandis que l’industrie papetière se développait à grande vitesse, son développement aboutit à l’étranglement de l’industrie du recyclage du chiffon.

132 S.Barles, Op.cit., 2005, p138 : 133

G. Coste, Le papier, un matériau complexe, 2004, Disponible sur <http://cerig.efpg.inpg.fr/dossier/papier -materiau/page01.htm> 134 S. Barles, Op.cit., p139

De même que pour les chiffons, les os connaissent une baisse de débouchés et une concurrence accrue de nouvelles matières. Les matières plastiques, tels que les celluloïds, remplacent progressivement les os dans la tabletterie et la boutonnerie. La production de plastique est favorisée, car il est un sous-produit de la fabrication du pétrole en pleine expansion. De même, d’autres co-produits de la production de pétrole concurrencent fortement les déchets de la filière animale (sang, poils, cornes) pour la fabrication de colorants. L’agriculture s’éloigne aussi progressivement des gisements urbains de déchets 135.

Progressivement, l’industrie, jusque là dépendante du gisement urbain, va s’éloigner de ces ressources territoriales afin d’accélérer son développement économique. Elle a en outre moins besoin des matières récupérées en ville car les matières concurrentes offrent souvent des prix plus faibles, une production plus stable et une meilleure qualité.

2.2. DES PRATIQUES QUI CHANGENT

La « désurbanisation des matières premières » est également en marche pour d’autres raisons. Le cycle de récupération n’intègre plus la ville car les industries de production s’en sont éloignées géographiquement. Par exemple, les abattoirs se rapprochent des centres d’élevage et attirent l’industrie des co-produits136

. La récupération de l’os urbain est détrônée par les conserveries étrangères qui gardent les grands os et les exportent. De même, les vieux papiers sont importés pour la cartonnerie. Ainsi, une partie des activités industrielles s’éloigne géographiquement de la ville, ce qui montre un désintérêt croissant pour les matières urbaines.

Par ailleurs, les ménages modifient leurs pratiques de consommation. Les chaussures recyclées se vendent moins bien et la consommation de viande diminue (et avec elle la production de déchets d’os)137

. Les vieux papiers sont interdits pour l’emballage de denrées alimentaires et les nouveaux sacs d’emballage sont faits à partir de vieux papiers de qualité :

135. Pendant cette même période, les flux d’azote rencontrent aussi de nouvelles voies et le marché de l’engrais évolue. Le sulfate d’ammoniac, utilisé pour la fertilisation azotée, est produit en

quantité trop limitée et instable, depuis que cet élément est utilisé pour la fabrication d’explosifs. En conséquence, on s’intéresse aux engrais chimiques qui offrent de meilleurs rendements agricoles que les engrais humains et l’industrie chimique va chercher ailleurs ses matières premières.

136

Ibid., p147.

« rien de ce que pourrait fournir les chiffonniers »138. Ainsi, les industriels deviennent de plus en plus exigeants sur la qualité et les catégories de matière recherchée. Ces mutations engendrent forcément des difficultés pour les chiffonniers qui n’en ont pas besoin après les règlementations dont ils sont l’objet.