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CHAPITRE II. DE 1880 A 1980 : DESTABILISATION DE LA RECUPERATION ET INDUSTRIALISATION DU

3. LA PROFESSION SE RECYCLE

3.2. FEDERALISME, SECONDE GUERRE, ET TRENTE GLORIEUSES

DIRIGISME ETATIQUE ET FEDERALISME

L’Etat français imposa pendant la guerre de 39-45 un dirigisme à la profession alors que pèse la tyrannie de l’occupant sur le commerce et l’industrie. Il fallait récupérer tous les déchets susceptibles d’être réutilisés mais les prix de vente aux industries consommatrices étaient fixés par l’Etat sous conditions draconiennes et l’occupant pouvait se servir de ces matières pour alimenter ses industries de guerre147. Les récupérateurs sont censés être les seuls maîtres sur leurs chantiers mais « une partie de leurs stocks est affectée sur ordre des répartiteurs,

décision qui fausse la marche normale de l’entreprise que vienne encore aggraver les enlèvements de stocks de métaux non ferreux sans paiement ou sans délivrance de bons que l’occupant pratique sans vergogne »148

. Ce dirigisme imposé à des professionnels plutôt connus pour leur individualisme fut considéré comme un tournant et les récupérateurs prirent conscience de l’importance d’être organisés collectivement pour défendre leur profession. De 1940 à 1941, des lois promulguées obligeaient les chambres professionnelles à passer sous l’autorité de l’Etat et elles comprenaient la création d’un service spécial et la nomination d’un comité technique. C’est l’heure de la « récupération totale » et les secteurs sont différemment concernés mais les ferreux et non ferreux sont très touchés. A partir de l’été 1941, les récupérateurs sont pillés par la sidérurgie allemande et le marché n’existe presque plus puisque le Bulletin Officiel des services et des prix dicte les cours149. A partir de 1944, les prémices de la fin de la guerre apparaissent et les exportations reprennent rapidement leurs cours.

Dans la confusion générale, les chambres syndicales mirent tout en œuvre pour éviter une dissociation préjudiciable de la profession à la merci des usines consommatrices et décidèrent sous l’occupation, mais dans la période terminale du pétainisme, le 21 janvier 1944, de se regrouper pour accroitre la force de la profession en une fédération présidée par Robert Anglès : la Fédération Nationale des Syndicats des Industries et Commerce de la Récupération (FEDEREC). Les propos d’Emile Savigner, premier président élu, annonce une autre perspective : « Notre union sera notre force. On devra désormais compter avec nous

147

FEDEREC, Op.cit., p47 148

« 100 ans », Recyclage-Récupération, Op.cit., p33 149 Ibid., p34

[…]. Dans ses relations avec les pouvoirs publics, la fédération devra d’abord se faire connaître. Ensuite inspirer confiance et, cette confiance acquise, la conserver »150. La Fédération est alors composée de neuf syndicats régionaux regroupant chacun les huit branches techniques pour affirmer leur empreinte territoriale.

Carte 3 : Syndicats régionaux de FEDEREC (Source : FEDEREC)

Cette approche du découpage nationale et de proximité locale représente une longueur d’avance sur son temps. De même, avant la création de la C.E.C.A. (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier), Robert Anglès est à l’initiative de la mise en œuvre du B.I.R. (le Bureau International de la Récupération) en 1948 qui va mettre en réseau les différents secteurs du recyclage dans un premier temps à l’échelle de l’Europe (Grande-Bretagne, Luxembourg, Hollande, Belgique et France) puis suivi en 1949 par l’entrée dans l’organisme corporatif des Etats-Unis, de l’Italie et de la Suède. La libéralisation des échanges commerciaux transfrontaliers contre le repli protectionniste des marchés intérieurs représente

150

E. Savigner, Discours à la FEDEREC, 21 janvier 1944, cité dans « 100 ans »,

le crédo de cette organisation et la première Bourse internationale se tient à Londres le 7 juillet 1949151.

LA RECUPERATION DANS LES TRENTE GLORIEUSES

A la sortie de la guerre, les récupérateurs sont deux fois plus contents de la libération et des morceaux de ferraille à recycler que seules ces périodes peuvent produire. Cependant, les prix souffrent d’incertitude quand la production d’insuffisance. Le marché des exportations s’est effondré entre 1938 et 1945 (-42% pour les lapins et sauvagines, -70% pour les chiffons de laine sans mélange, -28% pour tous les autre chiffons, -95% pour les vieux papiers, -99% pour le cuivre, -88% pour les autres ferrailles152) et 24 hauts-fourneaux sidérurgiques restent en fonctionnement sur les 124 d’avant guerre du fait du manque de combustibles. Ainsi, les ferrailles sont réservées au marché intérieur et une qualité des lots et des prix sont exigés par le secteur de la sidérurgie. La modernisation des chantiers est en cours, l’achat de camions croit fortement et le commerce des matières secondaires se structure. Parallèlement, le contrôle des prix (notamment de ferrailles) et le rationnement des flux extérieurs pénalisent la filière de la récupération-recyclage qui a besoin d’un marché mondial pour pérenniser son activité.

Les trente glorieuses (1945-1975) débutent par la crainte d’une troisième guerre mondiale avec le conflit larvée de la guerre de Corée. Entre boom spéculatif lié aux programmes de réarmement et crainte du retour de règles sévères de l’Etat, le secteur a des difficultés à y voir clair dans le jeu du marché. Alors que la C.E.C.A. inaugure le marché commun des ferrailles, l’Etat français impose un flux contingent de ferraille à l’industrie sidérurgique du territoire et le nouveau marché européen fixe les prix par région ce qui aboutit à une distorsion de concurrence notamment avec les entreprises italiennes. Si la ferraille est liée à de forts enjeux stratégiques nationaux, les peaux sont assujetties aux épidémies et la myxomatose fait autant de dégâts (chute de 10% de la production de lapin en 1953153) que l’imprévisibilité de la mode des chapeaux et pelisses. La croissance explose néanmoins dans les économies occidentales et l’apparition de lourdes machines mécaniques (grue, cisaille, presses) est un indicateur de cet essor économique et du leadership pris par la filière de la ferraille. C’est le début des

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« 100 ans », Recyclage-Récupération, Op.cit., p39 152

Le chiffonnier de Paris, 7 février 1948

investissements lourds pour les professionnels qui sont passés du statut d’indépendant débrouillard à récupérateur industriel s’inscrivant dans une dynamique économique et de liens interprofessionnels auxquels il faut s’adapter.

Alors que la pénurie de papier devient un problème nationale et que la France demande au peuple de ramasser et récupérer ses papiers pour enrayer les importations coûteuses, les ramasseurs et chineurs sont en grande difficulté ce qu’indique le blâme de l’éditorialiste du

Chiffonnier de Paris devenu Le Récupérateur en 1958: « Le prix, extrêmement réduit, des peaux, des chiffons, des ferrailles, interdit à un chineur de travailler. Nous savons que certains fonctionnaires estiment que le chineur est un animal préhistorique, que l’on devrait mettre au musée avec une étiquette rappelant son rôle social. Il est bien évident qu’au siècle du fonctionnarisme, il est ridicule de courir les campagnes pour gagner sa vie dans la neige, la pluie ou le soleil, alors que l’on peut toucher chaque fin de mois sa paie en ouvrant les portes dans un ministère ou en poinçonnant des tickets de métro. Mais si tout le monde en faisait autant, les fonctionnaires ne pourraient peut-être plus manger, surtout pas du lapin »154. Malgré les espoirs de libre-échange placés dans l’arrivée de Pinay avec De Gaulle, l’interventionnisme de l’Etat, quant aux restrictions des exportations et des importations de pays à bas prix, contraint l’activité des chineurs, chiffonniers et ramasseurs plus que la dureté du métier, dans le même temps où l’industrie leur propose des emplois convenablement rémunérés.

Le développement de l’industrie touche la filière de récupération-recyclage. D’abord, l’innovation dans le secteur du chiffon propulse l’avènement des fibres synthétiques qui remplacent les fibres naturelles. Ce mélange des fibres synthétiques avec des chiffons pure laine ou coton ne permet pas leur séparation et freine la revente d’un produit devenu trop composite. De même, les peaux perdent continuellement de leurs valeurs car les foires aux sauvagines font face à des campagnes écologistes vers la fin des années 60 et l’élevage industriel a pour conséquence la baisse de la qualité de peaux des chevrons notamment. De plus, l’homme et la femme de cette époque ne se couvrent plus systématiquement d’un chapeau de feutre, principal débouché des peaux de lapin, alors que la fourrure perd peu à peu de sa prestance et que même les matières synthétiques tendent à remplacer le feutre des chapeaux.

154 Ibid., p54

Bien que la période soit favorable sur le plan économique, la filière de récupération-recyclage subit de nombreux soubresauts dus à des effets de surstockage, en raison de la concurrence, de perte de débouchés ou d’inondations des marchés extérieurs provoquant fréquemment le gel des achats. Enfin, les usines consommatrices ne se sont jamais attachées à engager un dialogue avec les récupérateurs concernant le rééquilibrage du négoce entre fournisseurs et consommateurs, ce qui aurait aussi pour conséquence de sécuriser leurs approvisionnements de matières secondaires. Le rapport de force est disproportionné entre cette nébuleuse de petites et moyennes entreprises de la récupération et les grands industriels sidérurgistes et papetiers qui s’en remettent systématiquement aux pouvoirs publics en période délicate. Les petites marges des récupérateurs se réduisent aussi considérablement avec l’avènement des nouvelles charges sociales suite aux évènements de 1968 (hausse du Smig et des salaires, semaine de 40 heures et congés payés) et l’impact des différentes grèves notamment chez les sidérurgistes. Tous s’interrogent sur leur capacité à les répercuter sur la hausse des prix de ventes et s’ils doivent aussi y inclure la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) – véritable casse-tête pour la profession - généralisé au 1er janvier 1968.

3.3. LES NOUVEAUX MARCHES DES MATIERES RECYCLEES ET LES