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CHAPITRE III. L’OBJET DEEE

2. LE CYCLE DE VIE D’UN OBJET IMPACTANT

2.2. LES MATERIAUX CONSTITUTIFS ET LES FLUX CACHES

Bien que regroupés sous une seule catégorie d’appareils, les équipements électriques sont constitués de matériaux très variés. La complexité de cet assemblage est une caractéristique commune aux EEE. Il est ainsi très difficile de reconstituer cette complexité avec précision. Un ordinateur fixe d’une trentaine de kilos est conçu avec trente matériaux tels que des plastiques, de l’aluminium, du plomb, de l’or, du cuivre, du baryum, du nickel, du zinc, du fer, de l’argent, etc.235

Dans un simple téléphone portable, il peut y avoir entre 500 et 1000 substances comme le montre le graphique ci-dessous. Qu’est-ce qu’un téléphone portable ? Pranshu Singhal, expert en éco-conception chez Nokia, se pose cette question et met en relief la complexité de la composition globale d’un téléphone portable (de la marque Nokia) dans l’optique de comprendre les impacts liés à la constitution en matériaux du produit236

.

235 Microelectronics and Computer Technology Corporation (MCC),1996, cité dans ACRR, The

management of WEEE, A guide for local authority, 2003, p10

236

P. Singhal, Integrated Product Policy Pilot Project – Stage I, Reports, 2005, Nokia, Espoo, Finland, p7.

Figure 26 : Matériaux constitutifs d'un téléphone portable (Source : P. Singhal)

Il est difficile de trouver des données très précises concernant la composition des équipements électriques du fait de la variété des équipements et de la confidentialité des données sur les procédés. Cependant, leur composition peut être classée en matières présentant des dangers pour l’environnement (fluides frigorigènes, piles et accumulateurs, tubes cathodiques, condensateurs au PCB237, écrans à cristaux liquides, relais ou commutateurs au mercure, câbles, cartouches et toners d'imprimante, etc.) et en matières non dangereuses. Ces dernières concernent des plastiques (ABS, PP, PVC238), des métaux ferreux, des métaux rares (cuivre, aluminium, zinc, etc.) mais aussi des métaux précieux (or, argent, platinium, etc.) qui représentent des éléments indispensables à la fabrication des nouveaux équipements mis sur le marché de part leurs propriétés spécifiques. Les fonctionnalités s’additionnant, les équipements renferment de plus en plus de métaux spéciaux. La progression des ventes des EEE a ainsi provoqué de fortes demandes dans ces matériaux : « par exemple, 80% de la

demande mondiale de l’indium sont utilisés pour les écrans LCD, 80% du ruthénium pour les

237 Ce sont les polychlorobiphényles, aussi appelés « pyralène », connus pour leur toxicité comme perturbateurs endocriniens.

238

Ce sont des polymères thermoplastiques (ABS : acrylonitrile butadiène styrène ; PP : polypropylène ; PVC : polychlorure de vinyle)

disques durs et 50% des antimoines pour les retardateurs de flammes »239. Cette demande croissante a aussi pour effet une hausse des prix considérable de ces métaux.

Les analyses de cycle de vie (ACV) des produits sont des outils adaptés aux démarches d’éco-conception. Tous les impacts environnementaux sont comptabilisés à toutes les étapes du cycle de vie des produits (fabrication-production-distribution-consommation-gestion en fin de vie). Cet outil est dorénavant encadré par la norme AFNOR ISO 14040. Cette dernière spécifie ainsi la procédure de constitution d’une ACV en cinq phases :

- la définition des objectifs et du domaine d'application, qui correspond au périmètre de l’étude ;

- la phase d'inventaire du cycle de vie. Cet inventaire décrit les étapes successives de la conception jusqu’à la fin de vie, en passant par la fabrication, la production, la distribution, la collecte et le traitement du déchet ;

- la phase d'évaluation de l'impact du cycle de vie, qui concerne la comptabilisation des impacts pour chaque étape présentée précédemment ;

- la phase d'interprétation, qui est une phase d’analyse et de pondération des résultats. Il faut ajouter que ces résultats sont appréciés suivant des critères génériques tels que l’épuisement des ressources, l’eutrophisation de l’eau, l’effet de serre additionnel, la consommation d’énergie, etc. Ces critères sont donc censés donner du contenu aux résultats afin qu’ils soient plus appropriables ;

- la revue critique effectuée par un tiers afin de vérifier la crédibilité de l’étude, c’est à dire la mobilisation de la méthodologie, l’utilisation des données, la présentation des résultats et la critique de l’analyse.

Une démarche d’analyse du cycle de vie d’un produit a l’avantage d’inclure aussi les flux cachés qui se définissent en amont de la phase d’utilisation. Les flux cachés concernent la consommation de matière et d’énergie qui est mobilisée pour la production des matériaux constitutifs de l’objet ainsi que pour sa fabrication. Il est ainsi possible de conclure que la production d’un ordinateur fixe nécessite 240kg d’énergie fossile, 22 kg de produits chimiques et 1500 kg d’eau240. L’ADEME a réalisé l’ACV d’un téléphone portable et montre que la phase de fabrication est plus impactant que la phase d’utilisation quel que soit le critère

239

http://www.step-initiative.org/initiative/what -is-e-waste.php 240 R. Kuehr, E. Williams, Op.cit., p24

choisi241. Cela signifie que la fabrication enregistre les valeurs les plus élevées selon l’ensemble des critères choisis, ce qui implique un impact environnemental plus important (voir ci-dessous).

Figure 27 : Analyse du cycle de vie d'un téléphone po rtable (Source : ADEME)

A l’opposé de ce constat, deux chercheurs des sociétés BSH BOSH et SIEMENS montrent que la phase d’utilisation de gros électroménagers représente la part la plus grande (plus de 90%) de la consommation énergétique des produits242. Ils concluent ainsi à l’importance de continuer à fournir des efforts sur les technologies pour les conduire vers une réduction de consommation d’énergie à l’utilisation et la sensibilisation des consommateurs et utilisateurs.

241 ADEME, Analyse du cycle de vie d’un téléphone portable, Rapport de synthèse, 2008, CODDE, p7.

242

R. Otto, A. Ruminy, H. Mrotzek, Assessment of the Environmental Impact of Household

Appliances, 05/2006, APPLIANCE Magazine, disponible sur

Figure 28 : Consommation d'énergie primaire lors des phases principales du cycle de vie de différents produits électroménagers (Source : R. Otto, A. Ruminy, H. Mrotzek)

Le graphique ci-dessous243 présente de manière pédagogique l’impact en équivalent CO2 du cycle complet d’un ordinateur. Emmanuelle Bournay a représenté l’effet « climatique » de la vie d’un ordinateur pour l’ « United Nations Environment Program » (UNEP). La modélisation permet ainsi d’initier une réflexion sur les modes de consommation dans le rapport « Kick the Habit, A United Nations guide to climate neutrality »244. L’UNEP est ainsi impliqué dans l’éducation du plus grand nombre aux effets du réchauffement climatique et par l’incitation à abandonner ses mauvaises habitudes. Ce rapport sert ainsi d’inventaire des sources de consommation d’énergie, dont l’utilisation d’ordinateurs fait partie, et il est rédigé afin d’offrir une information détaillée mais accessible pour un individu, une entreprise, une organisation ou un gouvernement : « Whether you are an individual, a business, an

organization or a government, there are many steps you can take to reduce your climate

243

A. Kirby, Kick the Habit, A UN guide to climate neutrality , 2008, UNEP, Disponible sur <http://maps.grida.no/go/graphic/life -cycle-emissions-of-a-computer>

footprint »245. L’analyse de cycle de vie présentée dans la représentation graphique ci-dessous permet ainsi d’apporter un regard neuf et ludique sur les gaz à effet de serre qu’impliquent la commercialisation et l’utilisation d’un produit.

245

« Peu importe que vous soyez un individu, une entreprise, une organisation ou un gouvernement,

il y a différentes manières de réduire votre empreinte énergétique », Préambule de Ban Ki-moon,

Les ACV ont l’avantage de comptabiliser et d’exposer les impacts environnementaux tout au long de la vie du produit et sont souvent utilisées dans une démarche d’éco-conception, c'est-à-dire d’intégration des aspects environnementaux dès la phase de conception. L’objectif est ainsi de réduire ces impacts sans les transférer vers une autre étape. Cependant, il n’existe pas systématiquement une ACV par produit du fait notamment du coût onéreux pour réaliser ce type d’étude, de la confidentialité des procédés et du manque de données. D’autres limites des ACV sont reprises par Fabrice Flipo et al. dans le rapport EcoTic 246 :

- La qualité des impacts : les effets de certains polluants sont inconnus et la pondération entre les impacts est subjective ;

- L’hétérogénéité des méthodes utilisées et des champs d’étude. Si les périmètres d’inventaire des impacts ne sont pas comparables, les ACV n’aboutissent pas aux mêmes recommandations ;

- La complexité des produits implique une difficulté à retracer les chaînes d’approvisionnement des substances.

Par ailleurs, Greenpeace a lancé une campagne depuis 2006 qui classe les fabricants de l’informatique, des télécoms et de l’électronique, du plus « vert » au moins « éco-responsable » selon des critères qui ont évolué jusqu’aux trois critères actuels : l’élimination des substances dangereuses des produits, le recyclage des produits devenus obsolètes et la réduction des conséquences de leur activité pour le climat247. Il ne s’agit pas directement d’analyses de cycle de vie, mais les informations sont appropriables par le consommateur sur la base de l’adage « du berceau au tombeau » et participent de l’information du grand public sur les impacts environnementaux des EEE.

246

F.Flipo, C. Gossart, F. Deltour, B. Gourvennec, M. Dobré, M. Michot, L. Berthet, Projet Ecotic -

Rapport final, Technologies numériques et crise environnementale : peut -on croire aux TIC vertes ?, 11/2009, p62.

Figure 30 : Classement des entreprises High -tech responsables - 15ème édition, 2010 (Source : Greenpeace)

L’exercice d’inventaire des matériaux constitutifs et des flux cachés est donc périlleux. Malgré des outils avancés comme l’ACV, il est impossible de conclure sur des compositions et des impacts de manière précise au vu de la diversité des équipements, des marques et des nouveautés mis sur le marché. Néanmoins, si les EEE ont attiré l’œil, c’est notamment du fait des dangers sanitaires et environnementaux de certains matériaux constitutifs.