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CHAPITRE IV. LA CONSTRUCTION DU RECYCLAGE DANS L’ARSENAL LEGISLATIF : ANALYSE DES POLITIQUES L’ARSENAL LEGISLATIF : ANALYSE DES POLITIQUES

2. LE CADRE FRANÇAIS DU RECYCLAGE DES DECHETS

2.1. L’APPORT NORMATIF DE LA LOI DE 1975

Les politiques éparses françaises concernant les déchets se munissent d’une loi fondatrice, la loi de 1975305, qui organise un cadre normatif sur la question des déchets. La loi de 1975 est signée le même jour (le 15 juillet 1975) que la directive-cadre européenne sur les déchets306. Ainsi, les obligations de la directive sont déjà intégrées dans le cadre de la loi. Les principaux apports de cette loi concernent la définition de la notion de déchet, les compétences des collectivités, la création de l’Agence nationale pour la récupération et l’élimination des déchets (ANRED) et l’instauration des principes de responsabilité des producteurs et de valorisation.

305

Loi n° 75-633 du 15/07/75 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux 306

Cela témoigne d’un apport proactif du législateur français. En effet, la loi française de 1975 influence la directive européenne.

L’instauration d’un cadre local de gestion des déchets est prégnante à cette période et dès 1969, la circulaire du 27 novembre propose l’élaboration de « schémas départementaux de collecte et d’élimination des déchets ménagers », réaffirmée par la loi de 1975. Ces politiques territoriales sont signées et instruites par le Préfet de département en collaboration avec les services déconcentrés de l’Etat (DDA, DDE, DRIR, DDASS307

). Ces schémas doivent réaliser un diagnostic des gisements de déchets, et identifier les services qui les collectent et les installations qui les éliminent sur le département. Ils ont ainsi pour objectif d’obtenir un rendement optimal de la gestion des déchets ménagers sur le département et « de parvenir à

une desserte harmonisée de l’ensemble du territoire, notamment de rattraper le retard que connaissaient les espaces ruraux en matière de service de collecte et de traitement »308. Mais sans caractère obligatoire ou opposable, leur portée est limitée et peu contraignante. Toutefois, ces politiques, en s’appuyant sur la planification territoriale, engendrent une dynamique d’une part de travail d’observation des services de collecte et d’élimination et d’autre part de concertation territoriale au travers de constitution de groupes de travail coordonnant les schémas départementaux toujours dans le but de rationnaliser et rentabiliser le maillage des équipements. Le choix de l’échelle départementale de ces schémas est dicté par l’Etat qui voit dans les départements une organisation déconcentrée de ses services. C’est ainsi ce découpage administratif qui prime pour les déchets contrairement à son homologue sur la gestion planifiée des eaux où le découpage en bassins versants est envisagé dès 1964. De surcroit, l’organisation territoriale opérationnelle est dictée par les regroupements intercommunaux promus par les décideurs publics avec l’obligation de la loi de 1975 pour les communes d’assurer le service public de collecte et élimination des déchets. Les échelles de gestion semblent dès lors multiples mais le périmètre de fonctionnement s’appuie sur l’intercommunalité.

UN TOURNANT POUR LE SECTEUR DU RECYCLAGE

Deux principes s’inscrivent dans le droit français grâce à la loi de 1975. Le principe de valorisation est instauré comme un pilier de la gestion des déchets permettant de « faciliter la

récupération des matériaux, éléments ou formes d’énergie réutilisables » et ce texte est

pionnier en matière de responsabilité des producteurs : « il peut être fait obligation aux

307 DDA : Direction Départementale de l’Agriculture, DDE : Direction Départementale de l’Equipement, DRIR : Direction Régionale de l’Industrie et de la Recherche, DDASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales

producteurs, importateurs ou distributeurs de ces produits ou éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pouvoir contribuer à l’élimination des déchets qui en proviennent »

(Titre II, art. 6). Ces deux principes sont précurseurs dans l’ancrage économique de la réglementation des déchets et va permettre ainsi aux acteurs économiques d’intégrer ces filières de déchets.

Sur fond de guerre du Kippour, le cours du pétrole et des matières premières flambent dès 1973 et le rapport « The Limits to Growth » du Club de Rome en 1972 alerte sur la perspective de pénuries de ressources. Gérard Bertolini explique que « la politique des

déchets se sublime alors en une politique des « matières premières secondaires » […] On souligne ainsi les conjonctures entre gaspillage et pollution, récupération-recyclage des déchets et économies d’énergie et de matière premières, et les synergies possibles entre politique de l’environnement et politique économique : effets positifs sur la balance commerciale ainsi que sur l’emploi, par une nouvelle politique industrielle et le développement des « éco-industries »309. Le Ministère de l’Environnement est créé en 1970 et les déchets entrent dans le jeu politique après être devenu un enjeu économique. Le Ministère de l’Industrie, pour insuffler la dynamique, crée une délégation aux économies de matières premières (DEMP). Néanmoins, son rôle deviendra moindre avec l’avènement de l’ANRED et sa triple tutelle (Ministère de l’Environnement, de l’Industrie et du Budget). En tant qu’Etablissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), l’organisme dispose d’importants moyens financiers pour appliquer ses objectifs et ceux des ministères.

Le recyclage change aussi d’image pour les industriels en raison des enjeux économiques d’apport de ressources car il est évident que ces filières sont une source d’économie d’énergie et de matière dans la production. Cette crise mondiale va faciliter les acteurs des filières de recyclage en tant que fournisseurs de matières premières locales. Le recyclage du verre devient prépondérant : les verriers voient dans cette activité une nouvelle forme indispensable de compétitivité et créent des partenariats avec un récupérateur-recycleur à proximité. La Verrerie Ouvrière d’Albi (VOA) pousse un récupérateur local (Briane Environnement) à trier les verres souillés des ménages. Malheureusement, la qualité de ce verre est bien inférieure aux standards des fours. Briane Environnement et VOA construisent ainsi une filière de

309

G. Bertolini, La politique française de gestion des déchets depuis 1973 , 1998, p171, dans B. Barraqué, J. Theys (sous la dir.), Les politiques de l’environnement. Evaluation de la première

récupération avec l’aide de la Mairie et tâtonnent cinq années entre les difficultés de collecte du verre (d’abord en camion puis en caisson par apport volontaire) et la création de la première chaine de traitement (trémie, broyeur, aimant, soufflet) du verre en 1977310. Désormais associée à l’élimination des rebuts, la filière de recyclage passe sous la coupe de deux Ministères (Environnement et Industrie) et prend place dans les discours des élus. Concernés jusque là seulement par le marché des matières premières, les récupérateurs découvrent de nouveaux interlocuteurs (mairie, police et préfet) et se voient confier une mission d’intérêt environnemental et sociétal car recycler les déchets revient à minimiser la pollution !

Ces années représentent aussi l’intérêt des grands groupes311 pour cette nouvelle activité. Christophe Defeuilley étudie ainsi l’intérêt de ces grands groupes pour la gestion des déchets et leur fonctionnement : « La gestion des déchets ménagers constitue l'un des axes importants

de diversification des grands groupes à partir du milieu des années 70, c'est à dire dès que le secteur devient un service public (avec la loi de juillet 75) et est soumis à un cadre réglementaire et contractuel similaire (sans être totalement identique) à celui qui fonctionne dans les services plus anciens (comme la distribution de l'eau). La Générale et la Lyonnaise reprennent les mêmes modalités d'action que dans la distribution de l'eau pour former une structure industrielle oligopolistique dans la gestion des déchets »312. Le recours à la délégation des services publics permet l’intervention du secteur privé dans une forme contractuelle et le marché se concentre autour de quelques acteurs. La Lyonnaise des Eaux et la Générale des Eaux connaissent un parcours similaire en rachetant des entreprises (SITA pour le premier et la CGEA pour le second) et en diversifiant leurs activités à tous les secteurs du déchet313. Ils deviennent ainsi incontournables sur ces nouveaux marchés.

Avec la loi sur les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement en 1976, la portée de ce régime tend à la prise en compte de l’environnement et des sites par les Directions Régionales de l’Industrie de la Recherche (DRIR) alors qu’il était essentiellement

310 Entretien avec le PDG de Briane Environnement, 27/03/09

311 Nous parlons ici de ces groupes qui exercent des activités dans le domaine de l’eau (distribution et assainissement) dans le cadre de concession du service public.

312 C. Defeuilley, Le service public au défi de l'efficacité économique - Les contrats de délégation

dans la gestion des déchets ménagers, 1996, Thèse pour le doctorat de Sciences Economiques,

Université Paris VII - Denis Diderot, p121. 313 Id., p121

dirigé à la sureté du voisinage en 1810 puis à la sécurité et la salubrité publique en 1917314. Cependant, les DRIR ont aussi un intérêt dans le développement industriel et ces intérêts sont concurrents mais l’attente réside dans leur articulation et renforcement mutuels. L’inspecteur des installations des DRIR a ainsi un rôle de magistrat fonctionnant au cas par cas, soumis à la pression des acteurs locaux et partagé entre rationalité légale et technique. Cette situation délicate fait dire à Pierre Lascoumes qu’il s’agit « de dilemmes d’action qui semblent

expliquer une grande partie des problèmes observés dans la mise en œuvre de la législation des installations classées »315. Le compromis entre exigence de développement industriel et défense des milieux de vie est un art auquel doivent répondre les inspecteurs. Dans le cadre de cette législation, les centres de transit de déchets urbains (rubrique 167a du régime) et les chantiers de ferrailles (rubrique 286 : stockage de métaux) considérés historiquement comme des établissements « dangereux, insalubres et incommodes »316, sont soumis sans seuil à un dossier de demande d’autorisation à la Préfecture. Les contraintes sont très fortes pour les modestes chantiers industriels de récupération car l’activité déchet impose systématiquement une procédure administrative longue et coûteuse. Cependant, cela représente un moyen de faire le tri dans les entreprises du recyclage et de valoriser les efforts de mise aux normes consentis par les plus sérieux.