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Grenoble après Lesdiguières

B) Nourrir hommes et bêtes :

a) Du pain pour des milliers d’hommes :

En mai 1628, la province est mise à contribution pour le paiement des four- nitures des 4 000 hommes de pied commandés par le comte de Sault121. Ces soldats

« incontinent pourveu », devant marcher sur la place du Pouzin pour se joindre à ceux du duc de Montmorency, afin d’en déloger les hommes du duc de Rohan.

La ville de Grenoble devant verser une somme de 612 livres 12 sols et six deniers, comme les trente-neuf autres lieux mis à contribution pour cette occasion. Une partie de cette somme étant destinée au paiement de la solde des officiers encadrant « lesdits gens de guerre » (soit 112 livres 12 sols et six deniers), alors qu’une autre, d’un montant de 500 livres, était destinée au paiement du pain de munition122.

Si en mai 1628, pour les 4 000 hommes de pied du comte de Sault, la contri- bution des villes et autres lieux désignés se traduisit par un versement en deniers, ce dernier pouvait être aussi en nature. Comme le 23 avril 1630 pour Grenoble, quand le premier consul Pierre de Bardonnèche annonça en conseil ordinaire, que la ville devait fournir pas moins de 2 000 pains par jour :

119 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 2, pp. 171-172 ; AMG, CC 771, affiche : ordonnance. 120 A. PRUDHOMME, ibid., p. 170 ; AMG, CC 768, ff° 106v°-107v°.

121 A. PRUDHOMME, ibid., p. 173 ; AMG, CC 772, imprimé: État des quarante lieux (suivi d’une

ordonnance) 6 pages, in-4°.

122 Ce dernier étant composé théoriquement, d’une farine à parts égales de froment et de seigle. Jean

« et ce durant huict jours à comancer des demains pour l’entretement des trouppes quy vont à la vallée, lesquel l’on doibvent venir faire séjouné à Domenne

attendu l’ordre de sa Majesté »123.

Quelques jours plus tard, le 4 mai 1630, le même comte de Sault enjoignait « aux consulz (…) de fournir a l’entretien et nourriture des trois cens hommes jettés

de nouveau par surcrois dans le fort de Barraulx »124.

Dans les deux cas, la ville semblerait avoir fourni ce qu’on lui demandait, même si ces demandes ne manquèrent pas de susciter des tensions entre la maison commune et le lieutenant général d’une part, et d’autre part, entre celle-ci et les boulangers de Grenoble! Ces derniers pressant la ville de leur payer les 2 000 pains, qu’ils avaient de surcroît, eux-mêmes livrés à Domène. Les consuls impécunieux, proposèrent alors que les sommes dues aux boulangers, leur soient rendues sous la forme d’une déduction d’impôt125.

b) L’exemple des rations des soldats du régiment de Sault :

Si le pain était l’aliment principal du soldat, autant que de la majorité de la population, les soldats du régiment du comte de Sault, durant leur séjour à Grenoble d’octobre 1628 à février 1629, bénéficièrent aussi de rations quotidiennes de vin et de viande :

« Savoyr chacung soldat effectif par jour, deux livres de pain, ung pot et

demy [de] vin, une livre et demy de chert mouton, basse moictié motton »126.

Portion copieuse pour la viande (sans doute prélevée dans les gigots du mou- ton) puisque la moyenne était alors d’une demi-livre127. Le montant de cette ration étant déduit de la solde quotidienne des soldats.

123 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 1, p. 136 ; AMG, BB 97, ff° 56r°-56v°. 124 A. PRUDHOMME, ibid., p. 136 ; AMG, BB 97, ff° 63v°-64r°.

125 AMG, BB 97, ff° 62v°-63r°. 126 AMG, BB 95, f° 193v°.

Ces rations furent diminuées un temps par le comte de Sault, dans les der- nières semaines du séjour de la troupe. Passant à « une livre de chair motton, bas moytié motton, ung pot de vin et deux pains pesant chascung que troys onces (environ 100 grammes) »128. Diminution sûrement liée à des difficultés rencontrées par la ville durant cet hiver. Notons que de telles mesures de restriction à l’égard de la troupe n’étaient pas sans risque. Les soldats pouvant être tentés de compléter leur ration en se servant de force chez l’habitant, voire de déserter.

Si à contrario des compagnies du régiment de Tallard, nous n’avons pas de renseignements sur les chevaux du régiment du comte de Sault, il est probable que Grenoble dut aussi nourrir ces derniers… comme ceux de la cavalerie de l’armée royale qui traversait la province pour l’Italie, en l’hiver 1628-1629.

c) De l’avoine pour la cavalerie :

En prévision de l’arrivée prochaine du roi et de Richelieu à la tête d’une armée d’environ 25 000 fantassins et de 2 000 cavaliers129, une ordonnance du ma- réchal de Créqui datée du 24 janvier 1629, ordonnait la levée dans l’ensemble de la province, d’une charge d’avoine « composée de six beynes, mesure de Grenoble pour chacun feu » (soit 286, 20 litres). Le lieutenant général évoquant la rudesse du climat hivernal, pour justifier cette levée :

« La mauvaise saison à réduit non seulement la plaine, mais encore toutes les montagnes où ladite armée doit longtemps séjourner, dans lesquelles la gelée les a

toutes consommées, comme il est à tous notoire »130.

Ces mesures pour « treuver la quantité d’avoine qu’il faut distribuer à la

cavalerie »131, semblaient effectivement se justifier à la mauvaise saison. D’autant

plus que les récoltes des mois précédents avaient été mauvaises (en raison des

128 AMG, BB 95, f° 237v°.

129 David PARROTT, Richelieu’s army..., p. 185.

130 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 3, p. 177 ; AMG, EE 59, affiche: ordonnance. 131 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, EE 59, affiche: ordonnance.

conditions climatiques)132, et que les passages d’une première armée durant l’été 1628, avaient laissé la route des étapes exsangue133.

Le maréchal de Créqui, sans doute conscient des difficultés que rencon- treraient les communautés à réunir cette avoine, prit la précaution dans son ordon- nance, d’annoncer que celle-ci serait payée à son tarif du moment. Soit environ 40 sols le quartal (18,33 litres) sur le marché de Grenette à Grenoble. Prix des plus élevés, puisqu’en période de relative abondance, comme en 1627, le prix du quartal d’avoine était seulement de 15 sols134!

Il est probable que la pratique de tels tarifs ne pouvait qu’éveiller la suspicion et pourrait expliquer en retour, les accusations faites par Richelieu dans ses

Mémoires, à propos de ce « contrat au double du prix de la valeur des denrées »135,

dont ces charges d’avoine pourraient bien faire partie.

À Grenoble, pour répondre à l’ordre du maréchal de Créqui, « les consulz [furent alors] priés et commis » par le conseil, « de faire recepte des villages du des- partement de ceste ville (…) et pour remettre et deschargé ladite avoine » de louer plusieurs magasins136.

Nous voyons donc par ces mesures, que la nourriture des chevaux des cornettes de cavalerie, représentait aussi, et particulièrement durant l’hiver 1628- 1629, un coût non négligeable pour la ville et la province.

Mais la guerre dans les régions alpines, nécessitait en plus (et plus qu’ail- leurs) un grand nombre d’animaux de trait et de bât…

132 RICHELIEU, Mémoires…, t. 9, p. 116 ; Emmanuel LE ROY LADURIE, Histoire du climat depuis l’An mil, t.1, p. 71.

133 RICHELIEU, ibid. ; René FAVIER, Les villes du Dauphiné…, p. 151.

134 Mireille MEJEAN, Grenoble et les conséquences de la peste (1628 -1632), p. 5. 135 RICHELIEU, ibid., op. cit., p. 115 ; voir p. 59.