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Grenoble après Lesdiguières

DEUXIÈME PARTIE Grenoble dépossédé !

A) Des communautés spoliées :

a) Chronique d’une expédition désastreuse:

Selon Richelieu, « il falloit au moins douze mille hommes de pied et deux mille chevaux » ainsi que « dix canons, quatre cents chevaux d’artillerie, et au moins pour tirer dix mille coups » pour pouvoir dégager Casal. Sans oublier trois mois de solde d’avance pour les soldats, et enfin « pourvoir à ce qu’ils ne pussent manquer

de vivres en quelque part qu’ils allassent »2. Mais le duc de Mantoue, par manque de

moyens, ne put lever qu’une armée de 8 000 hommes et 800 cavaliers, qui « [n’]avoit

ni artillerie suffisante, ni munitions de guerre » 3.

Sous la conduite du marquis d’Uxelles, cette armée entra en Dauphiné au mois de juin 1628, « avec grand désordre, & se rendit vers Embrun, où le long

1 Charles-Emmanuel Ier demandant entre autres une partie du Montferrat, et le soutien de la France

pour accéder à une couronne royale. RICHELIEU, Mémoires…, t.8, pp. 154 et 175.

2 Ibid., op. cit., p. 115. 3 Ibid., op. cit., p. 116.

séjour de trente-six journées fit connoistre aux ennemis la route » qu’elle voulait prendre. L’armée du duc de Mantoue fut finalement refoulée et se débanda dans les vallées alpines, après s’être « entièrement dissipée à la veuë du Fort Saint-Pierre,

sans combat »4 selon monsieur de Guron (alors en ambassade pour le roi de France,

auprès de Charles-Emmanuel Ier ).

Toutefois, d’après Richelieu, l’échec de cette expédition résidait principa- lement dans les problèmes de ravitaillement que cette armée rencontra en Dauphiné. Manquant de tout, le marquis d’Uxelles fut en effet contraint « de faire séjour avec

ses troupes (…) à la foule du peuple »5, à vivre sur le pays.

b) Foules en Dauphiné :

Les allégations de Richelieu se vérifient, quand l’on consulte l’enquête qui fut ouverte par les autorités royales en septembre 1628, suite aux plaintes des commu- nautés qui eurent à subir « violences, excès et vollerie commises par les gens de guerre ». Ces dernières se plaignant en particulier :

« [d’]avoir fourni plusieurs grandes sommes, mesme au delà des ordres qui estoient donnez au capitaines, pour les inventions qu’ils ont trouvé de les faire

contribuer à leur gré » 6.

Ces vols et ces violences n’étant pas circonscrits à la seule route et aux lieux d’étapes de l’armée du duc de Mantoue. Les gens de guerre s’étant « espanduë dans les bourgs et villages » alentours, changeant de route et logeant où bon leur semblait7.

Mais cela n’est pas tout. Profitant de cette situation de grand désordre, des in- dividus auraient alors demander illégalement des sommes d’argent à certaines com- munautés, cela bien sûr, en vertu de leur contribution aux étapes de l’armée du duc8. S’il était courant qu’une armée vive sur le pays en Dauphiné, en particulier depuis le XVIe siècle, la pratique de levées « illégales » ne l’était pas moins. Cette

4 GURON in Divers mémoires concernant les dernières guerres d’Italie, t.2, Anonyme, op. cit., p. 35. 5 RICHELIEU, Mémoires…, t.8, op. cit., p. 180.

6 AMG, CC 772, affiche : Lettres du comte de Soissons, gouverneur de la province. 7 AMG, CC 772, affiche : ibid.

méthode était employée parfois par les autorités royales elles-mêmes, qui dans l’urgence des nécessités de la guerre anticipaient ainsi, l’approbation des États de la province9 !

Toutefois, ici les choses semblent un peu différentes. Le duc de Mantoue ayant à sa charge le ravitaillement de son armée, il aurait dû théoriquement verser une somme aux autorités provinciales pour financer les étapes de celle-ci. Mais voyons ce qu’il en fut au travers des documents consultés.

c) Des responsabilités partagées ?:

Selon le cardinal de Richelieu, une somme de 20 000 écus fut versée par le marquis d’Uxelles pour le financement des étapes de l’armée du duc de Mantoue en Dauphiné10. Somme suffisante pour dix-sept jours, si l’on s’en tient au taux de huit sols par jour et par soldat fixé par le maréchal de Créqui, lors des étapes des compa- gnies du régiment de Talllard. Alors que deux semaines et demie était un délai suf- fisant (sur une base de cinq lieues par jour), pour joindre les vallées alpines du Haut Dauphiné en partant du sud de Lyon.

Le cardinal nous dit dans ses Mémoires, que le roi ne voulait pas que ces troupes entrent en Dauphiné « si auparavant on ne s’obligeoit aux commis du pays

pour le paiement des étapes »11 (ces derniers rappelons-le, étant les représentants des

assemblées de pays).

À la suite de ce versement les étapes furent dressées, sans pour autant que les magasins du munitionnaire, avec qui le duc de Mantoue avait passé contrat, soient remplis12. Le cardinal ne manquant pas d’être assez critique vis à vis du comte de Sault, avec qui le marquis d’Uxelles traita en l’absence à cette date du maréchal de Créqui13.

Ce dernier n’étant pas plus épargné que son fils par les critiques de Richelieu, puisque, selon le cardinal, Créqui « ne contribua pas peu à cette défaite, n’ayant pas assisté le marquis d’Huxelles comme il pouvoit, ni, du commencement, voulu

9 Daniel HICKEY, Le Dauphiné devant la monarchie absolue…p. 63. 10 RICHELIEU, Mémoires…, t.8, p. 180.

11 Ibid., op. cit., p. 180. 12 Ibid., pp. 180-181. 13 Ibid., p. 180.

recevoir la charge de cette armée, comme le Roi avoit désiré »14. Le maréchal n’aurait pas en effet, fourni les renforts demandés par le marquis d’Uxelles15. Sans doute préféra-t-il utiliser ses troupes contre le duc de Rohan, du côté du Rhône, qui représentait un danger beaucoup plus immédiat pour la province en 1628, que la Savoie et les Espagnols. Quant à son refus de prendre le commandement de cette armée, Nicolas Chorier nous en donne une explication qui paraît plausible tout en reprenant certains points que nous venons de développer :

« La mauvaise opinion que le Mareschal avoit de celle-cy ; et l’éloignement de ses meilleurs troupes, aux-quelles il se seroit fié, furent la cause qu’il n’en prit

pas le commandement »16.

L’armée du duc de Mantoue fit effectivement parler d’elle par l’indiscipline qui régnait dans ses rangs, avant même son entrée en Dauphiné17. Ce fait, conjugué à

l’engagement du gros des forces du maréchal de Créqui du côté de Loriol et du Pouzin, participant ainsi à dissuader ce dernier de prendre part à une telle aventure.

Pour Richelieu, Créqui avait désobéi principalement parce que le roi refusait « de lui donner un pouvoir signé sur toutes les troupes qui auroient à passer en Italie

et de pourvoir à l’argent nécessaire »18. Ce refus du roi paraissant vraisemblable, si

l’on s’en tient à la stratégie de guerre couverte adoptée par la France contre l’Espagne, autant qu’à son impossibilité financière à pouvoir s’engager sur deux fronts. Quant aux exigences du maréchal, elles semblent tout aussi vraisemblables, particulièrement sur la question du financement : le duc de Mantoue n’avait pro- bablement pas les derniers nécessaires, et le maréchal aurait eu d’énormes dif- ficultés en Dauphiné (avec les États ), à chercher à lever des fonds pour une guerre qu’il ne mènerait pas de manière officielle au nom du roi de France.

Mais malgré les torts qui lui étaient imputés, Créqui échappa aux foudres du roi. Selon Nicolas Chorier, grâce à l’intervention en sa faveur, du futur surintendant

14 RICHELIEU, Mémoires…, t.8, p., p. 177. 15 RICHELIEU, ibid. , t.8, p. 116.

16 Nicolas CHORIER, Histoire de la vie de Charles de Créquy…, t.1, op. cit., p. 253.

17 GURON in Divers mémoires concernant les dernières guerres…, t.2, Anonyme, op. cit., p. 35. 18 RICHELIEU, ibid, op. cit., p. 179.

des finances Claude de Bullion, qui déjà « puissant dans le ministère, luy fut un

bouclier contre les traits de l’ennuie » 19.

Néanmoins, que dire de la responsabilité du roi et du cardinal dans cette affaire ? Le caractère confus du soutien apporté par ces derniers à l’armée du duc de Mantoue ne fut-il pas la première cause de l’échec de cette expédition ? L’attitude de Louis XIII vis à vis de Créqui, à la suite de ces évènements, semblant sonner comme un aveu. Puisque le roi en plus de pardonner sa désobéissance au maréchal, lui confia les préparatifs des opérations et le commandement des troupes de la campagne alpine de 1629. Louis XIII usant là au dire de Richelieu, «d’une extraordinaire bonté, en lui donnant lieu par ce moyen de réparer la faute qu’il avoit faite, ainsi qu’il témoignoit

de vouloir faire »20 .