• Aucun résultat trouvé

Grenoble après Lesdiguières

C) Munitionnaires et commissaires :

Pendant la période étudiée, les autorités royales passent par deux catégories d’individus en Dauphiné, afin de procéder aux réquisitions et prélèvements afférant aux étapes et au soutien logistique des armées : les munitionnaires et les commis- saires. Les premiers étant des sous-traitants, les seconds, des agents de la monarchie. a) Les munitionnaires:

Depuis le milieu du XVIe siècle, les rois de France avait pris pour habitude, de faire sous-traiter par des commissaires généraux des vivres, appelés plus couram- ment « munitionnaires », le ravitaillement de la troupe. Un tel recours, permettait de pallier les déficiences du système de la contribution en nature, répartie sur les communautés96.

Ce système avait en effet atteint ses limites dès le milieu du XVIe siècle, en raison de l’augmentation des effectifs des armées, alors que de son côté, la production agricole n’augmentait pas. Il n’était pas rare au XVIe siècle, et encore au XVIIe siècle, que l’on demande aux communautés de fournir dans un délai très bref, de grandes quantités de pain, de viande et autres denrées97. Ce que celles-ci, même en s’endettant (comme en Dauphiné), ne pouvaient pas toujours fournir. Les munitionnaires étaient donc chargés de collecter, voire d’acheter les vivres néces-

95 René FAVIER, in Dauphiné France…, op. cit., p. 128, contributions réunies par Vital CHOMEL. 96 Jean CHANIOT in Dictionnaire de l’Ancien Régime, Lucien BÉLY (dir.), p. 867.

saires au ravitaillement de l’armée, pour les stocker dans des magasins. À charge aussi pour eux, de faire fabriquer le pain de munition (d’où leur nom de « munition- naire »)98.

Ces individus étaient généralement des entrepreneurs, c’est à dire dans son acception du XVIIe siècle, ceux avec qui l’on avait passé un marché. L’entreprise étant alors le nom que l’on donnait à celui-ci99. Ces entrepreneurs furent d’abord des marchands, puis le plus souvent à partir du XVIIe siècle, des financiers. Ces derniers étaient généralement très proches des officiers royaux, et par le jeu des alliances matrimoniales, formaient ainsi un réseau radioconcentrique, dont le centre était composé de quelques familles appartenant à la noblesse de robe parisienne100.

Toutefois si le recours à ces entrepreneurs avait des aspects pratiques, il n’était pas sans inconvénient. En effet, celui-ci va largement contribuer à l’endet- tement de l’État à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, et rendre la monarchie

de plus en plus tributaire des financiers. En outre, les munitionnaires n’hésitaient pas à réclamer leur dû si leur règlement venait à tarder, voire au cas échéant, de menacer de « couper les vivres » à la troupe101.

Durant la période étudiée, les autorités royales passent ainsi plusieurs fois par un munitionnaire dénommé Jean Charbonneau, pour assurer le ravitaillement de l’armée en Dauphiné.

b) Les « entreprises » de monsieur Charbonneau :

S’il est probable qu’il fit partie du monde des financiers, le nom de Jean Charbonneau revient plusieurs fois dans des documents relatifs à la contribution aux étapes de la ville de Grenoble et des autres lieux de la province, en particulier :

- En mai 1628 : pour la troupe de 4 000 hommes aux ordres du comte de Sault, envoyés du côté du Rhône, et dont par : « [L’]estat des quarante lieux de la province de Dauphiné, baillez en payement à Jean Charbonneau,

98 Jean CHANIOT in Dictionnaire de l’Ancien Régime, Lucien BÉLY (dir.), p. 867. 99 Jean CHANIOT, ibid.

100 David PARROTT, Richelieu’s army..., op. cit., p. 254. 101 D. PARROTT, ibid., p. 253.

entrepreneur & adjudicataire du fournissement des pains de munition »102 de cette armée. Grenoble et « tous lesdits lieux », devant : « Porter, payer, bailler, et délivrer comptant es main dudit Charbonneau munitionnaire, à ses procureurs, ou aux porteurs de ses quittances la somme de [612 livres 12 sols et six deniers ]»103.

- Et en janvier 1629 : pour des bennes d’avoine destinées aux cornettes de cavalerie de l’armée royale104.

Cette dernière entreprise pourrait être ce « contrat au double du prix de la

valeur des denrées, où les principaux du pays étoient intéressés »105, évoqué par Ri-

chelieu dans ses Mémoires. Le cardinal entendant sans doute sous le terme de principaux du pays, les représentants des assemblées de pays avec qui en Dauphiné, les munitionnaires négociaient aussi les clauses de leurs contrats.

Il est donc possible que Jean Charbonneau fît aussi les frais de ces accusa- tions d’usure, son nom n’apparaissant plus lors des levées suivantes106. Cependant il existerait aussi une autre hypothèse, que nous développerons ultérieurement.

c) Pierre Nicoud des Imberts :

Durant la période étudiée les autorités royales utilisaient aussi des com- missaires, afin d’assurer les réquisitions pour l’armée. Ces derniers pouvant être eux- mêmes délégués par les intendants aux fournitures de l’armée (personnages sur les- quels nous reviendrons). Un commissaire était détenteur d’une commission, qui lui étaient confiée par une lettre du même nom, et qui lui attribuait des pouvoirs pour une action déterminée et révocable107. En 1629, s’il n’est pourtant jamais désigné sous ce nom de commissaire, il semblerait qu’un dénommé Pierre Nicoud des Im- berts ait occupé en tous les cas une fonction similaire à Grenoble, et peut-être ailleurs en Dauphiné :

102 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 2, p. 173 ; AMG, CC 772, imprimé : État des quarante lieux… (suivi d’une ordonnance), p. 1 (in-4°).

103 A. PRUDHOMME, ibid., t. 2, p. 173 ; AMG, CC 772, imprimé : ordonnance, p. 5. 104 A. PRUDHOMME, ibid., t. 3, p. 177 ; AMG, EE 59, affiche: ordonnance.

105 RICHELIEU, Mémoires du cardinal de Richelieu…, t.9, op. cit., p. 115. 106 BMG, R 6067, État des dépenses des gens de guerre.

- Au mois d’avril et de mai : où il est demandé aux villes et villages du Grésivaudan par ordonnance du cardinal de Richelieu « de faire fournir promptement et dilligement au sieur des Imberts », des mulets pour le transport du blé destiné à l’armée108.

- Au mois d’octobre : où ce dernier est chargé de réceptionner des bœufs pour transporter des couleuvrines. Des Imberts devant veiller en outre, à ce que les animaux soient rendus à leur propriétaire dans le même état que lors de leur arrivée109.

- Ce même mois d’octobre: Pierre Nicoud des Imberts est chargé d’acheter du blé pour l’armée à Grenoble110.

Comme pour Jean Charbonneau, nous n’avons que peu d’informations sur des Imberts en dehors de sa fonction. Cependant il semblerait qu’il ne fût pas désar- genté. En témoigne une somme de 100 pistoles, avancée par lui à la ville en juillet 1629111.

2.2 Fournir, épauler l’armée :