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Grenoble après Lesdiguières

B) La maison de la rue Porte-Traine :

a) Chez le sieur de Brigaudières :

Jusqu’à la fin du XVIesiècle, les consuls et conseillers de la ville se réunis- saient dans la tour de l’Isle. Mais en raison de la transformation de la tour en arsenal par Lesdiguières, ils durent trouver un autre lieu. Le projet de construction d’une maison de ville13 au temps du connétable n’ayant pas abouti14, c’est la maison d’un particulier qui devait faire, et ce jusqu’à la fin du XVIIe siècle, office de maison de ville. Ainsi durant la période étudiée, la ville loue rue Porte-Traine (près de l’ac- tuelle place Claveyson)15 deux étages de la maison de Gaspard Chapuis, sieur de Brigaudières, « conseiller du Roy en sa cour de parlement » (et lui-même ancien consul), comprenant une « salle, chambre et cabinet ». Cela pour un loyer annuel d’un montant de 240 livres16.

Une Veue du pont de Grenoble et des rives de l’Isère, d’Israël Silvestre, datant de la première moitié du XVIIe siècle17, peut nous donner une idée de l’aspect que pouvait avoir alors la maison du sieur de Brigaudières. Une maison toute en hauteur, mitoyenne de ses voisines, située dans un des anciens quartiers de la ville. Maison dont l’espace intérieur devait-être relativement restreint, même si celle-ci fut jugée somptueuse par le conseil municipal, lors de son installation en 162618.

Au second étage de cette maison, deux chambres faisaient sans doute office de lieu où étaient rangés les documents relatifs aux affaires de la ville. Attenant à ces chambres devait se trouver le cabinet de travail du personnel administratif19, et du secrétaire de la maison de ville, Pierre Chounet20. C’est dans la salle basse au pre- mier étage, qu’étaient organisées les réunions du conseil. Réunions au premier rang

13 Nous emploierons aussi à l’occasion pour désigner celle-ci, le nom de maison commune.

14 Maison qui se serait située place du Bon Conseil (aujourd’hui place aux Herbes). Stéphane GAL, Lesdiguières…, p. 149 ; voir annexe 8 : plan de Grenoble vers 1630, p. 181.

15 Robert AVEZOU, Louis BASSETTE et Aimé BOCQUET, Le vieux Grenoble : ses pierres et son âme, t.1, p. 59 ; voir annexe 8 : ibid.

16 R. AVEZOU & Co., Ibid. ; AMG, CC 768, ff° 28v°-29r°. 17 Annexe 6: Israël SILVESTRE, Veue du pont de Grenoble, p. 179. 18 R. AVEZOU & Co., ibid.

19 Ibid.

desquelles siégeaient les premiers magistrats de la ville, les consuls, dont le nombre à Grenoble était de quatre.

b) Les quatre consuls:

Élus pour une année par une assemblée générale des habitants de la ville, les quatre consuls étaient théoriquement choisis sur une liste de plusieurs candidats dres- sée par leurs prédécesseurs au même poste. S’ils pouvaient parfois être reconduits dans leurs fonctions, depuis l’entrée en vigueur de l’Édit de Nantes en 1598, certains d’entre eux devaient être choisis parmi la communauté protestante de Grenoble21, mais nous y reviendrons… Pour les trois années qui nous intéressent les consuls furent donc par ordre de préséance :

Pour l’année 162822:

- François du Menon, seigneur de la Motte en Champsaur et de Bivier. - Moïse Roland, procureur au Parlement.

- Laurent Roux, apothicaire et marchand.

- Pierre Rossin, procureur au bailliage de Grésivaudan.

Pour l’année 1629 : ces derniers furent reconduits dans leur charge23.

Pour l’année 163024:

- Pierre de Bardonnèche, avocat au Parlement. - François Perrin, procureur au Parlement. - Daniel Archier, apothicaire et marchand. - François Firmand, praticien.

La profession de ces personnages est un bon indicateur pour connaître le poids des différents groupes sociaux-professionnels dans les affaires de la ville au début du XVIIe siècle. Autant par la présence de certains que par l’absence d’autres.

21 Olivier COGNE, Les élites protestantes de Grenoble sous le régime de l’Édit de Nantes, vers 1590 - vers 1685, pp. 22-23.

22 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 1, p. 132 ; AMG, BB 94, ff° 184v°-185v°. 23 A. PRUDHOMME, ibid., p. 134 ; AMG, BB 95, f° 15r°.

Le premier consul est alors toujours un noble : noblesse d’épée, comme en 1628 et 1629, ou de robe comme en 1630. Le second est un membre du parlement, généralement un procureur qui n’appartenait pas à la noblesse. Le troisième est un marchand, et le quatrième un marchand ou un homme de loi.

Si à l’origine chaque consul devait représenter une des composantes de la société grenobloise, ce n’est donc plus le cas au début du XVIIe siècle. En effet, depuis le milieu du XVIe siècle, c’est une oligarchie dominée d’abord par les marchands, puis rejoints en cela par les juristes, qui va diriger la ville (excluant progressivement, vignerons et artisans)25. La forte présence des juristes parmi les consuls s’expliquant par celle du Parlement à Grenoble, mais aussi par l’inflation du droit à partir du XVIe siècle26. Inflation qui devait se traduire à son tour par celle de la « basoche », c’est à dire des huissiers, des notaires, des clercs et autres « gratte- papier », évoluant dans la périphérie des parlementaires27.

Les consuls devaient se consacrer entièrement aux affaires de la ville durant l’année de leur mandat. Ils leur étaient donc interdits pour cela, d’exercer leur profes- sion au cours de celle-ci. S’ils bénéficiaient pendant leur mandat d’une exemption des tailles28, leurs rémunérations relativement faibles ne permettaient néanmoins, qu’aux plus aisés d’occuper ce type de fonction. C’est donc les notables de la ville qui géraient les affaires de Grenoble29. Ces derniers composant en outre l’ensemble des deux principaux conseils, le conseil ordinaire et celui des quarante notables. c) Conseils et conseillers :

Les conseils se déclinaient sous plusieurs formes en raison de l’importance des sujets abordés, et leur fréquence était variable :

- Le conseil ordinaire : où l’on traitait des affaires courantes. Il se réunissait en moyenne une fois tous les dix jours.

25 Stéphane GAL, Grenoble au temps de la Ligue, étude politique, sociale et religieuse d’une société en crise, p. 79.

26 Daniel HICKEY, Le Dauphiné devant la monarchie absolue…, pp. 127-128. 27 Kathryn NORBERG, Rich and Poor in Grenoble,1600 -1814, p. 16.

28 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 2, p. 47. 29 S. GAL, ibid.

- Le conseil des quarante notables : convoqué pour les affaires importantes, comme celles touchant à la taille, aux étapes ou au logement des soldats. Il était réuni autant de fois que nécessaires.

- Le conseil général ou universel : convoqué (sur l’avis du conseil de quarante) pour des décisions qui ne pouvaient être prises sans l’assentiment du plus grand nombre d’habitants, comme pour l’élection des nouveaux consuls. Il était réuni trois à quatre fois par an.

Les consuls ne peuvent pas prendre en théorie de décision sans le consentement des conseillers. Ceux-ci pouvant comme les consuls faire des propositions, et poursuivre ces derniers s’ils considèrent que leur action est préjudiciable pour la ville.

Le conseil diffère par le nombre de ses membres voire sa composition, selon qu’il soit ordinaire, de quarante notables ou général.

Un conseil ordinaire comprend les quatre consuls et un premier cercle de dix conseillers. Ce dernier est composé de deux représentants du premier ordre (deux chanoines) de deux membres de la noblesse, de deux du tiers état, et de quatre consuls et conseillers de l’année précédente (dont un chanoine et un noble)30.

Pour un conseil des quarante notables, viennent s’ajouter à ces quatorze, vingt six autres personnes, toujours issues des couches les plus aisées de la population grenobloise31.

Un conseil général ou universel, comptant lui théoriquement en plus des qua- rante notables, tous les chefs de famille de la ville32.

A chacune des séances de ces différents conseils de ville, étaient aussi présents d’autres personnages, comme les avocats, les deux juges politiques33de celle-ci, ainsi que son secrétaire. Ce dernier notant consciencieusement dans un registre les différents sujets abordés durant les séances, et le nom de tous ceux qui y assistaient.

30 Stéphane GAL, Grenoble au temps de la Ligue…, p. 80. 31 Ibid., p. 82.

32 Ibid., pp. 82-85.

33 A la tête de chacune des deux juridictions de la ville (rive gauche et rive droite de l’Isère), ils

A l’instar des consuls, les dix conseillers et les juges politiques étaient renouvelés (au moins partiellement pour les premiers) toutes les années34. Toutefois, les conseillers n’assistaient pas forcément à toutes les séances.

En effet, il était très courant que des personnes soient absentes lors des conseils de ville, et cela n’allait pas toujours sans problème. Les décisions prises par une assemblée qui comptait trop d’absents, voire l’absence de certains de ses membres les plus éminents, pouvant être invalidées à la demande d’un de ces derniers. Cela fut le cas pour les conclusions du conseil ordinaire tenu le samedi 27 octobre 162935. Les membres du premier ordre, les chanoines Pourroy et Hugon, n’assistant pas à celui-ci (pour une raison indéterminée) portèrent réclamation ce même jour. Ces derniers demandant l’invalidation des décisions prises lors de ce conseil en raison de leur absence, mais aussi de celle de deux consuls (pourtant présents ce jour là dans la ville). Un conseil des quarante notables (ne comptant qu’une quinzaine d’individus !) fut alors réuni le lendemain36. Ce dernier devait

accéder à la demande des chanoines, et demanda à l’un des avocats de la ville, de rédiger un règlement pour qu’un tel incident ne se reproduise plus. Les sujets abordés la veille furent ensuite rediscutés, pour en venir dans leurs grandes lignes, aux mêmes conclusions !

Toutefois, malgré ces contretemps (résultant autant d’un goût pour la procédure que d’un attachement au respect de la préséance) il nous est possible de voir par le biais du nombre de conseils de quarante tenus dans une année, si celle-ci fut « tranquille » ou plus mouvementée pour la ville37. Ainsi, si l’on compare les années 1628, 1629 et 1630 à l’année 1627, nous nous rendons compte que le nombre de conseils de quarante, passe de douze séances en 1627 à vingt-sept en 1628, vingt- huit en 1629 et vingt-cinq en 1630. Le nombre total de séances par année (toutes séances confondues) augmentant lui aussi sensiblement, sauf en 1629, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons en deuxième partie.

La mobilisation de la ville à partir d’avril 1628, et les évènements qui vont suivre, n’étant sans doute pas étrangers à cette augmentation des réunions de ses différents conseils, et plus particulièrement, de celles de son conseil de quarante.

34 Stéphane GAL, Grenoble au temps de la Ligue…, , p. 79.

35 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 1, p. 135 ; AMG, BB 96, ff° 86 r°-87r°. 36 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 96, ff° 87 v°-89r°.

PREMIÈRE PARTIE

Grenoble mobilisé !

Introduction

Au printemps de l’année 1628, les incursions des troupes protestantes du duc de Rohan en Dauphiné, vont décider les autorités royales dans la province, à prendre toute une série de mesures préventives et défensives. Cette situation devait perdurer jusqu’à la fin de la période étudiée, avec le conflit contre l’Espagne et la Savoie.

Grenoble, par sa position stratégique au carrefour des routes menant au Rhône, à la Savoie et l’Italie, était une ville qu’il était donc important de défendre pour le roi de France. Et cela même, si elle n’était qu’une place de seconde ligne derrière Barraux et Exilles, puis de troisième ligne du côté de l’Italie, après la prise de Pignerol en mars 16301.

La ville, avec la guerre aux frontières de la province, retrouvait ainsi pendant la période étudiée, le rôle qu’elle jouait au temps des guerres d’Italie, voire des guerres de Religion. C’est à dire celui d’une base arrière, qui contribuerait de diffé- rentes manières aux opérations militaires.

Mais quelles furent les mesures prises pour assurer la défense de la ville, et comment celle-ci participa-t-elle de 1628 à 1630, à la guerre conduite par Louis XIII et Richelieu dans les Alpes ?

1. En deçà des murs

A partir du mois d’avril 1628, des mesures furent prises, afin de protéger la ville contre un éventuel coup de main protestant. C’est ensuite des Savoyards et des Espagnols, que la ville devrait devoir se garder. Ces mesures devaient se traduire par la mobilisation (ou l’éviction !) de certains Grenoblois, alors que parallèlement des travaux s’engageaient, pour remettre en état l’enceinte et les chaînes de la ville.

1.1 État de défense