• Aucun résultat trouvé

Grenoble après Lesdiguières

B) Étape à Grenoble :

a) Loger la troupe :

Lors du conseil de quarante du vendredi 28 avril 1628, le premier consul représenta que les cinq compagnies avaient été « lougées par billettes chez des hostes

et cabarestiers » de la ville78. Sur chacun de ces billets étaient théoriquement

indiqués l’adresse et le nom du logeur, le nombre et le nom des soldats qu’il logeait, ainsi que celui de leur chef. Ces billets étant ensuite rendus aux consuls par les logeurs, contre remboursement79.

Si les sources consultées ne nous ont pas indiqué l’adresse ni le nom des personnes chez qui ces compagnies logèrent, il est toutefois probable que ces

« hostes et cabarestiers » se trouvaient encore concentrés, comme à la fin du XVIe

siècle, rue Perrière et rue Saint-Laurent, sur la rive droite de l’Isère80. Cela princi-

palement, pour tenir les soldats à l’écart de la majeure partie de la ville et des quar- tiers où logeaient les notables, situés rive gauche.

En 1628, Grenoble a donc désormais une certaine expérience dans le domaine du logement des gens de guerre, et cela au moins depuis le siècle précédent. Ce qui expliquerait cette apparente organisation. Le passage des soldats, amis ou ennemis, qui faisaient halte dans la ville pour une journée ou plusieurs semaines, étant en effet devenu chose courante depuis la première guerre de Religion (1562-1563)81. Cela malgré le fait qu’elle ait été officiellement exemptée du logement des gens de guerre, en 153682. En outre, à partir des guerres religieuses, la ville devait faire appel et loger dans ses murs des mercenaires, comme complément de sa milice bourgeoise pour assurer sa sécurité83.

78 AMG, BB 95, ff° 87v°-88r°.

79 Nicolas SOUBEYRAND, Gens de Guerre et citadins : étude sociale lors de la première guerre de religion à Grenoble à partir des livres de foules (1562-1563), t.1, p. 39.

80 Stéphane GAL, « Gens de guerre et gens des villes, entre haine et nécessité : l’exemple de la

défense de Grenoble dans la seconde moitié du XVIe siècle », acte du colloque de Villeneuve d'Ascq, novembre 2001…, pp. 189-190.

81 N. SOUBEYRAND, ibid., t. 1, p. 3. 82 S. GAL, ibid., p. 187.

Mais que les soldats logent chez l’habitant ou chez un « cabarestier », parfois en représailles contre une communauté religieuse84, voire contre la ville entière (nous y reviendrons), cette présence, en raison du manque de discipline de la troupe, est toujours vécue par les citadins comme une contrainte. Contrainte d’autant plus forte, quand les soldats prennent leur temps pour quitter la ville !

Le samedi 22 avril à midi, les cinq compagnies du régiment du vicomte de Tallard, n’avaient en effet toujours pas quitté Grenoble pour la Mure. Pour cette matinée supplémentaire, leurs logeurs demandèrent un supplément de quatre sous à la ville85. Si les raisons exactes de ce retard nous sont encore inconnues, il est probable qu’il fut lié à la recherche de dix charrettes dans Grenoble, par les capi- taines et leurs hommes. Cela, pour officiellement « conduire leurs armes audit lieu de Champs pour deux jours ». Ces charrettes une fois trouvées, leurs furent baillées « à raison de quarante soubs » par charrette et par jour, soit en tout quarante livres86

. Un prix élevé, probablement lié à la cherté alors, de ce type de matériel. Passant avec armes et bagages d’une rive à l’autre de l’Isère, par l’unique pont qui reliait les deux parties de la ville87, les compagnies quittèrent finalement Grenoble « fort tard » (sans doute par la porte de Bonne) pour aller coucher à Champ88.

b) Grenoble et son « despartement » :

En avril 1628, le montant total du séjour des compagnies du régiment du vicomte de Tallard à Grenoble s’éleva à 355 livres 2 sous et 6 deniers, « que ladicte

ville auroyt avancé pour le logement desdittes cinq compagnie »89. La ville devant

être remboursée du montant qui excédait sa cote part, par d’autres communautés de son « despartement ». Soit en tout pour l’étape à Grenoble des cinq compagnies, « cens feux moins une quarante huictiesme de feu » qui devaient payer chacun après régalement « trois livres un sol six deniers »90.

84 Stéphane GAL, Grenoble au temps de la Ligue…, p. 163. 85 AMG, BB 95, ff° 87v°-88r°.

86 AMG, CC 772, «Parcelle des frais supportés...», f° 1v°.

87 Voir annexe 6: Israël SILVESTRE, Veue du pont de Grenoble… p. 179.

88 AMG, CC 772, ibid. ; voir annexe 9bis : carte de la route des cinq compagnies, p. 184. 89 AMG, CC 772, « Compte de Sieur Laurent Roux…», f° 2 v°.

Ces communautés étaient des villages et des bourgs plus ou moins proches de Grenoble (comme Domène, Goncelin ou Vizille), eux mêmes subdivisés en feux, et qui partageaient avec la ville le poids du passage des armées. Dans ces commu- nautés comme à Grenoble, ne contribuaient bien sûr que ceux qui étaient taillables, c’est à dire ceux appartenant aux tiers état et qui ne bénéficiaient pas d’une exemp- tion quelconque91.

Mais cette répartition pouvait être elle-même très inégalitaire entre villes et villages. Des villages pouvant payer la même somme que des villes, alors que le nombre de leurs feux taillables était proportionnellement très inférieur à celui de ces dernières. Ainsi cela fut le cas en mai 1628, pour le paiement des fournitures d’une troupe de 4 000 hommes aux ordres du comte de Sault, se rendant du côté du Rhône. Les quarante lieux appelés à contribution, dont les dix villes du Dauphiné, devant tous fournir une somme de 612 livres 12 sols et six deniers92.

Il est probable que cette iniquité fut liée au fait que les autorités royales passaient encore en mai 1628, par les états de la province au sein des assemblées de pays93, pour négocier une levée et faire organiser sa répartition. Cet extrait de l’ordonnance du maréchal de Créqui ordonnant la levée, semblant l’attester :

« Le sieur procureur des Estat ou maistre Augustin Bernard, advocat en la cour son substitut, assisté de messieurs les commis desdits Estats : après meure délibération, et la conclusion ce jourd’huy prinse en leur assemblée (…) pour faire

la fourniture… »94.

91 Les consuls et les syndics des communautés prenaient toutefois soin de choisir ceux qui avaient

réellement les moyens de fournir les sommes demandées. Car au cas ou les personnes imposées ne s’avéraient pas solvables, c’étaient les chefs de communauté qui se trouvaient poursuivis et contraints de fournir les deniers manquants.

92 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 2, p. 173 ; AMG, CC 772, imprimé : État des quarante lieux… (suivi d’une ordonnance), pp. 1-3 (in-4°).

93 Ces assemblées avaient pour fonction de faire appliquer les décisions prises par les États et de sup-

pléer ces derniers. En particulier en matière de levées d’hommes et de subsides exceptionnelles. René FAVIER in Dauphiné France. De la principauté indépendante à la province (XIIe

–XVIIIe siècles), op. cit., pp. 127-128, contributions réunies par Vital CHOMEL.

Dominées par les privilégiés, majoritairement des citadins95, ces assemblées de pays n’avaient donc aucun intérêt à procéder à une répartition par feux taillables entre villes et villages. Ces procédés ne pouvaient ainsi que contribuer à nourrir le vieux conflit, qui opposait des villes comme Grenoble à leurs communautés voisines au sujet de la répartition de la taille, et compliquer ainsi, le bon règlement des montants que certains villages devaient verser à la ville, en guise de remboursement des sommes avancées par cette dernière. En particulier nous le verrons, suite au passage dans ses murs des cinq compagnies du régiment de Tallard.