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Grenoble, capitale du royaume!

A) Louis XIII et Grenoble :

a) L’héritier d’Henri IV:

Les relations qu’entretenait Louis XIII avec Grenoble sont particulières à double titre. D’abord parce que depuis François Ier (1515-1547), le roi de France, avec ou sans héritier mâle, était aussi dauphin du Viennois, comte de Valentinois et Diois3. Ensuite, parce que Louis XIII compta dans sa jeunesse parmi ses mentors, le futur connétable de Lesdiguières. Un de ces « barbons », ancien compagnon d’armes d’Henri IV, fidèle serviteur du roi autant que grand prince en Dauphiné4.

Ce dernier, depuis l’enfance de Louis, participa à la formation politique et militaire du jeune roi. Formation emprunte à la fois, des souvenirs des guerres d’Italie, de néostoïcisme, et d’un pragmatisme privilégiant avant tout la rapidité d’ac-

1 Richelieu, Mémoires…, t.8 pp. 227-228.

2 Ces derniers comme l’année précédente, mirent le siège devant Casal que défendait Toiras. 3 Alain BELMONT in Dauphiné France…, contributions réunies par Vital CHOMEL, p. 122. 4 Stéphane GAL, Lesdiguières…, p. 197.

tion et le recours à la force, sans pour autant être dénué d’un certain sens de l’hon- neur.

Les leçons prodiguées par Lesdiguières au jeune roi, influencèrent sans doute ses premiers pas dans les affaires du royaume : de son « coup de majesté » de 1617, aux barricades de Suse en 16295. Il n’est donc pas non plus surprenant que durant ces années, la fonction guerrière du roi héritée du Moyen Âge domina6. Cela dans les faits (le roi ne cessa pas d’être à la tête de ses armées jusqu’en 1635) autant que dans les représentations, où c’est l’image d’un roi guerrier (revêtu de l’armure en queue d’écrevisse)7 qui fut le plus souvent mise en avant, durant les quinze premières années de son règne effectif.

En retour, Louis XIII avait trouvé en Lesdiguières un personnage qui avait non seulement connu son père, mais qui continuait à faire vivre celui-ci à travers la parole autant que l’image. En particulier par le biais de sa galerie de tableaux du château de Vizille, que le roi visita lors de son premier passage en Dauphiné en 1622. Louis, qui de surcroît ne fut jamais le fils préféré de Marie de Médicis8, vécu ses premières années dans l’idéalisation d’un père qu’il avait très peu connu, et dont il se voulait le continuateur de l’œuvre politique. L’écharpe blanche qu’il arborait com- me Henri IV dans ses portraits, signifiant ainsi autant le passage de témoin du père au fils, que l’emblème de la dynastie des Bourbons 9.

La relation qu’entretenait donc Louis XIII avec Lesdiguières, et à travers lui, avec le souvenir de son père, ne pouvait à la mort du connétable en 1626, que se transférer sur l’espace qui gardait le plus l’empreinte du grand seigneur dauphinois : la capitale de la province de Dauphiné, Grenoble. Pourtant il est possible que les choses aient été un peu différentes en 1629 et 1630, en raison de l’influence gran- dissante d’un autre acteur depuis 1624 : le cardinal de Richelieu.

Mais comme les autres villes du royaume, Louis XIII tenait à ce que la ville de Grenoble soit constamment tenue informée, des faits et gestes de sa personne.

5 Stéphane GAL, Lesdiguières…, pp. 198-199. 6 Joël CORNETTE, Le roi de Guerre…, p. 199.

7 Annexe 13 : portrait de Louis XIII par Philippe de Champaigne, p. 188. 8 Christian BOUYER, Louis XIII…, p. 16.

b) Information et propagande royale:

Les premiers Bourbons, à contrario des derniers Valois, avaient compris tous les avantages que la monarchie pouvait tirer d’une communication habile, et des po- tentialités offertes à celle-ci par l’imprimerie. La première, par le biais de la seconde, devant nourrir le besoin toujours plus croissant des populations en matière d’infor- mation, mais aussi, de participation au débat politique.

Ainsi s’il ne faut pas surestimer la portée de l’écrit au sein de populations en- core largement analphabètes, il ne faudrait pas pour autant la sous-estimer. Particu- lièrement en ville où le pourcentage de gens sachant lire était plus élevé, et où les lieux où pouvaient être pratiquée la lecture publique étaient plus nombreux (comme les places, les cabarets, ou tout simplement les églises). De plus, les imprimés étaient parfois accompagnés d’images, comme celles de graveurs comme Jean Valdor10, ce qui les rendait de cette manière plus accessibles à la population non lettrée.

De 1628 à 1630, les Grenoblois pouvaient de cette façon prendre con- naissance des faits et gestes du roi, voire de son ministre, par des textes qui étaient imprimés (et publiés) souvent dans la ville même. Cela chez des imprimeurs comme Pierre Verdier, ou encore Pierre Marniolles11. À la production des imprimeurs grenoblois, il faut encore ajouter celle provenant d’autres villes du royaume, comme Paris, Reims, et sans doute Lyon.

Ces textes pouvaient se présenter sous la forme : d’affiches, de placards, de feuillets, de canards, voire de livrets et de livres plus ou moins volumineux.

Nous pouvons classer ces textes en deux catégories : les textes à caractère informatif, et ceux dits de propagande, même si la frontière restait étroite à l’époque, entre information, désinformation et propagande12. Les premiers pouvant compter plusieurs dizaines de pages, alors que les seconds étaient généralement plus courts et connus sous le terme générique de « libelle ».

L’auteur de ces textes pouvait être le roi lui-même, quand il s’agissait de lettres informatives. Ces lettres étaient généralement adressées à un personnage comme le maréchal de Créqui, ou à une institution comme le Parlement, qui faisaient ensuite imprimer et diffuser la parole du roi, au sein de la population grenobloise.

10 Annexe 15 : Louis XIII devant les barricades de Suse, p. 190.

11 D’origine lyonnaise, Pierre Marniolles obtint ses lettres de bourgeoisie en avril 1628. Auguste

PRUDHOMME, Inventaire…, t.1, p. 132 ; AMG, BB 95, ff° 54v°-55v°.

Mais le plus souvent, l’auteur de ces textes était un serviteur de « Sa Majesté », ou appartenait à la clientèle du cardinal de Richelieu. Comme François Gerson, auteur d’une Histoire Rocheloise en 1629, ou le sieur de Bresillac, pané- gyriste, auteur d’une Ode au Roy à la même date13.

Richelieu, homme de lettres à ses heures14, disposait en outre de son propre cabinet d’écriture, d’où partaient bon nombre de textes tout à sa gloire et celle du roi, comme autant de philippiques contre leurs adversaires15.

En retour, l’action de la monarchie en Dauphiné comme ailleurs dans le royaume, pouvait susciter des réactions, écrites ou orales, qui à leur tour pouvaient être imprimées et diffusées dans la province et au-delà16. Cela fut le cas pour le discours fait au roi en 162917, par le président des États du Dauphiné, l’évêque de Grenoble monseigneur Scarron, sur lequel nous reviendrons.

Cette entreprise de communication du pouvoir royal devait ainsi participer à Grenoble, tant à légitimer cette dynastie encore jeune qu’était celle des Bourbons, qu’à renforcer le sentiment d’appartenance au royaume de France, d’une population grenobloise encore très attachée à sa patrie de Dauphiné.

Mais le récit de la geste royale passait aussi à Grenoble par des fêtes, en particulier durant la période étudiée, lors des victoires de La Rochelle en 1628.

c) Des victoires fêtées avec fastes:

Le 27 mai 1628, lors d’un conseil ordinaire « extraordinairement assamblé », le quatrième consul Pierre Rossin annonça que le maréchal de Créqui « luy auroyt commandé de faire fer ung feuz de joie sur la réjouissance de la retraicte que les

13 Alors que le cardinal pas en reste, se voyait dédier de dithyrambiques louanges Guerrières par de

Matel, toujours en 1629.

14 Il plaisait ainsi à Richelieu, d’être représenté plume à la main à sa table de travail (voir annexe 14,

p. 189).

15 À l’instar de ce libelle intitulé, La rencontre de l’ombre du duc de Savoye avec celle du marquis de Spinola, en l’autre monde, visant post mortem un Charles-Emmanuel Ier, qui se voyait reproché aux

enfers, ses tromperies à l’égard du roi de France…

16 De telles publications, n’étaient pas toujours sans danger pour la monarchie en ce début de XVIIe

siècle, où les révoltes des grands et des pouvoirs provinciaux, répondaient fréquemment à la montée de l’absolutisme royal. La monarchie devait néanmoins en prendre la mesure, en particulier à partir du ministère de Richelieu, par la mise en place progressive de la censure.

angloy et les ennemy du Roy on faict estant venus pour secourir La Rochelle »18. Dans le même temps, le maréchal faisait imprimer chez Pierre Marniolles, la lettre du roi qui informait les Grenoblois de cette victoire19, afin qu’elle fût diffusée dans la ville et la province.

La célébration de la victoire royale comprendrait une procession générale, puis après « vespres » (c’est à dire en fin d’après midi), un Te Deum chanté pour célébrer la gloire des armes du roi20. Cette cérémonie étant un puissant moyen de manifester la force de l’État royal dans toutes les paroisses du royaume, sans que le roi fût présent21. Enfin, près du palais (celui du Parlement) où la foule des Grenoblois serait réunie, on allumerait le feu de joie (une masse de fagots installée sur un char)22. Les festivités devant se prolonger ainsi dans la nuit, le tout accompagné par des musiciens23.

Ce genre de fête organisée en l’honneur d’un succès des armées royales devant la Rochelle, n’était pas une première à Grenoble. En novembre 1627 déjà, la reprise de l’île de Ré aux mêmes Anglais, avait donné lieu à des festivités presque similaires. Le maréchal de Créqui allumant le feu de joie en personne24, et des feux d’artifice étant tirés25.

En novembre 1628, pour « la réduction de La Rochelle », une nouvelle fête fut organisée, variant peu des précédentes dans son déroulement, avec comme en 1627, des feux d’artifice dans le final. Toutefois à cette occasion, la procession (évêque et Saint Sacrement en tête) fit « le grand tour, passant par la rue de Bonne

qui [fut] tapissée de chaque costé des rues et dessus »26. Ces décors comprenaient

aussi huit statues de plâtre, dont celle du roi en Jupiter, menaçant de son foudre celle

18 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.1, p. 133 ; AMG, BB 95, f° 112. 19

Lettre du Roy à Monseigneur le Mareschal de Crequy sur la relation véritable de la retraite des Anglois qui estoient venus au secours de la Rochelle…

20 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 112v°. 21 Joël CORNETTE, Le roi de guerre…, op. cit., p. 226. 22 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, ff° 112v°-113r°.

23 Ceux de la ville, avec parfois même ceux du comte de Sault (comme en novembre 1628) . A. PRU-

DHOMME, ibid. t.2, p. 170 ; AMG, CC 768, ff° 21 et 96v°.

24 En atteste «ung flambeau de six branches [baillé] à monseigneur le maréchal de Créquy l’hors qu’il mis le feu au feu de joye ». AMG, CC 768, ff° 97v°-98r°.

25 A. PRUDHOMME, ibid., t.1, p. 132.

qui représentait de manière allégorique la rébellion. Cette dernière, des serpents dans une main, étant entourée de quatre marmousets27. Il est probable que ces petits personnages grotesques aient un rapport avec quatre grands tableaux représentant eux-aussi la rébellion, et qui furent peints pour ces mêmes décors. Décors comman- dés par la ville aux peintres, A. Van Halder, Jehan de Loenen et Jean Nitbael dit Ninor. Des peintres flamands que Lesdiguières avait fait venir en Dauphiné, et qui étaient passés au service du maréchal de Créqui à la mort du connétable28.

La commande passée à ces peintres en novembre 1628, représentait à elle seule, une coquette somme de 290 livres. Somme à laquelle il fallait encore ajouter un peu plus de 120 livres pour l’installation des statues et des grands tableaux29. Ces festivités, et particulièrement celles de 1628, généraient donc elles aussi des frais pour la ville, à un moment où celle-ci était en outre confrontée comme nous l’avons vu, à des difficultés financières et sanitaires.

Toutefois, à aucun moment les consuls et le conseil de ville ne semblent avoir protesté, au sujet des dépenses que le roi et le maréchal imposaient à la ville, pour célébrer les victoires de la Rochelle. Tout au plus demandèrent-t-ils un délai de quel- ques jours en novembre 1628, mais encore seulement pour avoir le temps de préparer correctement les festivités. Si ce délai leur fut accordé, il semblerait néanmoins qu’il fut très court (moins d’une semaine ).

La magnificence des festivités, autant que la bonne volonté de la maison de ville pour organiser ces dernières (et de la meilleure façon possible), nous indique donc que la prise de La Rochelle fut accueillie avec joie par les consuls et le conseil le 13 novembre 1628 (nous resterons néanmoins réservés sur les sentiments de Moïse Rolland, présent à cette séance)30.

Il est probable que la ville avait tout intérêt, en fêtant ces victoires comme toutes les bonnes villes du royaume, de faire oublier qu’elle était encore (au moins de

27 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.2, p. 171 ; AMG, CC 771, liasse n° 217, Mémoire de ce que nous avons faict pour messieurs les consuls… Nous noterons aussi parmi ces statues, celle d’un

dragon. Allégorie double de ces deux menaces que représentaient pour Grenoble, la rébellion protes- tante et le Drac.

28 Stéphane GAL, Lesdiguières..., p. 154.

29 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.2, p. 171 ; AMG, CC 771, liasse n° 217, Mémoire de ce que nous avons faict pour messieurs les consuls…

manière théorique) place de sûreté protestante31. Ces fêtes étant en outre une occa- sion supplémentaire pour les catholiques, d’en imposer sur les protestants de la ville. Mais surtout, ces réjouissances semblent dénoter un réel attachement des Grenoblois à la personne du roi, et sûrement déjà à travers celle-ci, à la France.

La venue de Louis XIII à Grenoble en 1629 et 1630, devrait leur donner une nouvelle occasion de montrer cet attachement, tout en montrant néanmoins, qu’ils tenaient encore à leurs anciennes libertés.