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Grenoble après Lesdiguières

A) Des maçons sur les murs :

a) Les visites de monsieur de Beins :

En raison des évènements, les autorités royales demandèrent aux consuls, de faire procéder à des travaux de réfection sur l’enceinte de la ville. Cela en suivant le devis dressé par un ingénieur délégué à ces fins, Jean de Beins.

30 AMG, BB 95, f° 78v°.

31 David PARROTT, Richelieu’s army, War, Government and Society in France,1624-1642, pp. 50-

D’origine parisienne et ancien soldat, Jean de Beins fut ingénieur et géo- graphe du roi Henri IV, puis de Louis XIII. Il cartographia dans les premières années du XVIIe siècle le « Dauphiné avec les confins des païs et provinces voisines » 32, mais surtout à partir de la fin des années 1590, participa au vaste programme de fortification des Alpes initié par Lesdiguières, et encouragé par Sully. Puymore, Embrun, Château-Queyras, Château-Dauphin, Exilles… autant de places que Jean de Beins visita et dont il fit les plans33. En 1606, il participait à l’élaboration de l’en- ceinte bastionnée de la ville de Grenoble, produit des progrès de la poliorcétique et de l’arrivée des canons sur les champs de bataille34. En mars 1628, il était de retour sur les remparts de la ville, où à la demande des autorités royales, il dressa le devis des travaux à faire pour remettre ceux-ci en état35.

Au début du mois d’avril 1628, le maréchal de Créqui devait demander « aux consulz de [Grenoble] et à leur déleigués » de faire entreprendre « les ouvrages et réparations qui [étaient] à faire tant en massonerie qu’en charpenterye aux bastions de ceste ville qui [étaient] imparfaits, portes et pontz levis, nécessaire pour la suretté

de ladite ville suyvant le devis faict par monsieur Bains [sic] »36.

b) Une enceinte à l’abandon:

Suite à une ordonnance du maréchal de Créqui, qui demandait à ce que l’on libère l’enceinte de tout ce qui pourrait gêner la défense de la ville37, les consuls suivant l’exemple de Jean de Beins, y allèrent aussi de leur visite38. Ils devaient constater ainsi la présence de « vergiers et jardins » de particuliers, entourés de palissades dans les fossés et sur les contrescarpes des bastions, alors que des « motons [sic] » paissaient sur les glacis de ceux-ci. Mieux encore, ils constatèrent des maisons adossées aux murailles, en particulier à la porte de Bonne, celle « d’ung

32 Annexe 2 : Jean de Beins, Carte et description générale de Dauphiné…, p. 175. On doit aussi à ce

dernier les dessins de certains combats, comme celui du pas de Suse (annexe 20 et 20bis pp. 196-197). 33 Stéphane GAL, Lesdiguières…, op. cit., p. 144.

34 Jean-Pierre BOIS, Les guerres en Europe , 1494-1798, p. 245 ; voir annexe 8bis : l’enceinte de

Lesdiguières, p. 182.

35 Auguste PRUDHOMME , Inventaire…, t. 1., p. 133 ; AMG, BB 95, ff° 56v°et 60. 36 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 56v°.

37 AMG, BB 95, f° 58v°.

nommé le Schereyn, fette contre le dessus de la tour ». Fort de ce constat, et présentant en conseil de quarante, les facilités qu’un éventuel assaillant aurait pour entrer dans la ville en passant par ces maisons39, les consuls demandèrent leur destruction. Et de même, celle de tout ce qui encombrait les fossés et contrescarpes des bastions . Les moutons quant à eux, furent interdits de pâture le long de l’en- ceinte40.

Construite de 1591 à 1620, et dont certaines finitions restaient encore à faire en 1628, l’enceinte bastionnée nécessitait un entretien permanent et coûteux pour Grenoble et ses habitants41. Les intempéries et les inondations causées par les crues du Drac, accélérant l’altération de celle-ci, que le Parlement de Dauphiné avait même proposé de faire détruire après la mort de Lesdiguières42.

Le financement de l’entretien des fortifications de la ville, était théori- quement, comme celles du reste de la province, du ressort des autorités royales43. Le

manque chronique de fonds pour cet entretien, autant qu’un désintérêt momentané des autorités vis à vis des fortifications, pourrait expliquer le délabrement et l’état d’abandon de celles-ci en 1628.

c) Les travaux et leur coût :

À partir de la fin du printemps, des artisans des métiers du bâtiment vont ainsi commencer à s’afférer sur les murs et les portes de l’enceinte de Grenoble. À l’instar de Claude Mollier « masson de ceste ville », chargé « de faire les parapets et cordons

des bastions de ladite ville » 44, ou encore de Jean Vachier, charpentier chargé de

réparer les portes et ponts-levis de la ville45.

Pour le financement des travaux, faute de fonds destinés aux fortifications, le maréchal de Créqui demanda à la ville de faire « les advances des deniers à quoy

39 À l’instar de Lesdiguières, en novembre 1590. Stéphane GAL, Lesdiguières…, p. 147. 40 AMG, CC 768, ff° 66v° et 68v°.

41 Maurice MERCIER, Histoire des fortifications de Grenoble, pp. 70-71 ; S. GAL, ibid., pp. 147-148. 42 Demande zélée, répondant autant à la campagne de destruction des places fortes de l’intérieur du

royaume, mise en place par Richelieu, qu’à un souci d’exister politiquement dans l’espace laissé libre par le feu connétable. Toutefois cette demande n’aboutit pas. René FAVIER, Les villes du Dau-

phiné… , op. cit., pp. 141-142.

43 Nathalie LIAUD, Les relations entre Lesdiguières et les consuls de Grenoble…, p. 24. 44 Auguste PRUDHOMME , Inventaire…, t. 2., p. 170 ; AMG, CC 768, ff° 63v°-64r°. 45 AMG, CC 768, ff° 70v°-71r°.

[monteraient] lesditz pris faictz » préalablement fournis « par messieurs les tré-

zoriers généraux de France»46.

Les trésoriers généraux de France (ou trésoriers de France) étaient des officiers de finance chargés de l’administration du domaine royal47, dont les fortifications faisaient partie. Ces derniers travaillaient en Dauphiné en collaboration avec les États, en particulier quand il s’agissait de lever des fonds pour l’entretien du domaine48. Il paraît donc naturel de les voir intervenir dans cette affaire…

Le montant des prix-faits fournis par les trésoriers s’élevait à une somme de 16 300 livres49. Ne disposant pas des deniers nécessaires, la ville dut emprunter ceux- ci à quatre notables grenoblois50 :

- À Arthus Coste, conseiller au Parlement : 7 200 livres.

- À Jean-Baptiste de Franc, conseiller du roi et trésorier général de France en la généralité de Dauphiné : 6 400 livres.

- À Izabeau de Bourges, veuve de François Fradel, conseiller du roi et contrô- leur du taillon de son vivant : 1 500 livres.

- À Mathieu d’Horcière, dit de Loche (charge ou office non indiqué) : 1 200 livres.

Nous noterons parmi les créanciers de la ville, la présence d’un de ces tréso- riers généraux de France qui fournirent les prix-faits. Pratique qui n’était pas sans risque, puisque pouvant faciliter les collusions.

Toutefois, si la ville se montre prête à avancer les sommes pour financer les réparations de son enceinte, pas question pour elle de prendre aussi en charge celles de la Bastille. Ainsi le 28 avril 1628, quand « Monsieur de Chichilianne, com- mandant à la Bastille (…) [demanda] que [la ville] ayt à faire des resparations à ladite Bastille suyvant l’ordonnance de Monseigneur le mareschal de Cresqui et

46 AMG, BB 95, f° 60v°.

47 Jean-Louis HAROUEL in Dictionnaire de l’Ancien Régime, Lucien BÉLY (dir.), pp. 186-187. 48 Comme en 1611 pour l’amélioration des grands chemins. Stéphane GAL, Lesdiguières…, p. 139. 49 Somme relativement importante, quand on sait que les gages d’une chambrière s’élevaient à une ou

deux livres par mois. S. GAL, ibid., p. 246.

devis de Monsieur Bains », les consuls furent priés par le conseil, « de fer humble

resmontrance » au maréchal, afin qu’il décharge la ville de ces réparations51.

Mais si les travaux de réfection de l’enceinte représentaient un coût, il sem- blerait que dans leur déroulement, tout ne se soit pas passé comme prévu.