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Grenoble après Lesdiguières

DEUXIÈME PARTIE Grenoble dépossédé !

A) La milice n’obéit plus !:

a) L’autre demande des centeniers :

Les délibérations du conseil de quarante du 19 avril 1628, nous avaient déjà appris les intentions du maréchal de Créqui, de faire procéder à une réorganisation de la milice bourgeoise137. Celle-ci répondant en particulier, à une demande des cente- niers de la ville. Durant ce même conseil, le premier consul François du Menon devait aussi présenter les modalités de cette réorganisation. Ces dernières émanant d’une autre proposition, faite par les centeniers au maréchal, auraient consisté à «comettre monsieur de Brigaudières leur colonnel pour avec les centeniers de ladite

ville procéder à ladite esgalization »138. Une fois encore selon François du Menon,

Créqui aurait accédé à la demande des capitaines de la milice, ajoutant :

« D’aultant qu’il c’est apperçu, que lesdits sieurs colonnel et centeniers veullent non seullement procéder à l’esgalization de leurs centeyznes, mais encore

procéder à accroysement de nouvelles centeznes et nominations de centeniers » 139.

Ceux-ci devant être ensuite présentés au maréchal de Créqui, pour que leur nomination obtienne son assentiment.

Du Menon laissant entendre, que Créqui, tout en répondant à la demande des centeniers, aurait en même temps trouvé là une nouvelle occasion, d’empiéter sur les libertés de la ville. Ce qu’il avait en effet déjà fait quelques jours plus tôt, en ne désignant pas directement le premier consul, comme chef de la compagnie que Grenoble devait fournir, pour un éventuel engagement extra-muros140.

Pour François du Menon, cette nouvelle « nouveaulté » étant comme la précé- dente, inacceptable. Car cette dernière allant « contre les libertés et privilège de la maison de [ville, était] ung acheminement dans [la] division du corps de ceste ville que cette compagnie représente ». Et d’expliquer, que « ladite esgalisation et nomi-

137 Voir pp. 42-43.

138 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.1, p.133 ; AMG, BB 95, f°68v°. 139 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 68v°.

nation des hommes pour chefs de centezne » fut de tout temps, du ressort du corps consulaire et de la maison commune141. Le conseil abondant dans ce sens, demanda aux consuls, sur autre proposition du premier d’entre eux, de présenter une requête au maréchal de Créqui :

« afins qu’il lui plaise de conserver la ville en ses libertés et privilèges, touchant la susdite esgalization, nomination et présentation audit seigneur des chefs

qu’il voudra choysir pour commander aux susdites centeynes »142.

Une copie du document juridique relatif à ce droit de la ville, devant être transmise au maréchal avec cette requête.

Ainsi pour François du Menon, par cette autorisation, le maréchal de Créqui semblait ignorer les libertés de la ville, et jouait peut-être même, la carte de la divi- sion au sein même de celle-ci. Les événements qui allaient suivre, devaient effecti- vement confirmer les craintes du premier consul.

Le 24 avril 1628, alors que le maréchal de Créqui et le comte de Sault étaient absents de la ville, une revue générale de la milice bourgeoise en armes, fut organi- sée à l’initiative du comte de Canaples, place du Breuil. Le colonel de Brigaudières et les centeniers devant procéder au cours de celle-ci, « à nouveau despartement et division des autrement centeynes, et establir des nouveaux cappitaines et of-

ficiers »143. Les consuls mis au fait de cette initiative, décidèrent alors d’intervenir

« pour arrester le cours et execution d’ycelle deslibération, et esvicter par maux et

préjudices que le public en peult recepvoir, tant de présent qu’a l’advenir »144.

Les délibérations du conseil de quarante réuni d’urgence le lendemain de cette intervention, nous apprennent que celle-là fut des plus houleuses pour les repré- sentants de la ville.

b) Bousculade place du Breuil :

Formant une petite délégation, les représentants de la ville s’étaient trans- portés de la rue Porte-Traine à la place du Breuil, vers les quatre heures de l’après-

141 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.1, p.133 ; AMG, BB 95, f° 69r°. 142 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 69v°.

143 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 77v°. 144 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 78r°.

midi. Cette délégation était composée du premier, du troisième, et du quatrième consul (le second étant à Paris à cette date). Venaient ensuite le juge politique Jac- ques Sourin, un conseiller de la ville et un procureur du Parlement. Suivaient enfin, des huissiers et le secrétaire de la ville, ainsi que celui du premier consul.

Place du Breuil, les centenies s’étaient assemblées de leur côté, aux sons des tambours, drapeaux déployés, se rangeant « en bastaillon carré pour attendre la

présence dudit seigneur de Canaples »145. A l’arrivée des consuls, les nouvelles

centenies étaient déjà formées et leurs officiers désignés. Le colonel de Brigaudières, au milieu de ces derniers, s’apprêtait à leur faire prêter serment, quand les consuls l’interpellèrent afin qu’il leur dise « de quelle authorité il procédoit à l’establis- sement nouveau desdites trois centeynes et voulloit recepvoir aux charges d’icelles lesdits : Drevet, d’Avignonet, de Charemy, de Calignon, Gérente, Clapasson, Robert,

Perrin et autres »146.

De Brigaudières leur aurait alors répondu, « qu’il n’avoit à faire de [leur] respondre » et qu’ils devaient se retirer. Face au refus de ce dernier, et voulant lui rappeler qui ils étaient, les consuls se firent alors mettre par les « huissiers de la ville, [leurs] chapperons consulaires sur les espaules ». Le colonel refusa tout autant de les entendre, leur disant avec ses officiers de manière unanime, « qu’ils ne [les] cognoissoient point » et qu’ils devaient se retirer. Le sieur de Laffrey, sergent major de la ville, aurait alors commandé « à haulte voix, que les sergents desdites centaines [les] fissent sortir de ladite place à coups d’allebardes ». Ajoutant encore : « Chas- sés ses gentz et empechés qu’ilz ne nous abordes ». Les sieurs Jean André Mauvaix et Antoine Maegaud, capitaines des rues Chenoise et de Saint-Laurent, mettant même

« la main à leurs espées, icelles sorties à moytié de leurs fourreaux »147.

Face à une telle opposition, les consuls auraient pu s’en retourner vers la maison de ville. Toutefois, selon les délibérations du conseil et le procès verbal qui s’en suivirent, il n’en fut rien… et même au contraire !

N’écoutant sans doute que son courage, le premier consul François du Menon, se serait alors jeté « à travers desdits cappitaines et autres [de] leurs osfi- ciers, ayant rompu leur foulles pour joindre ledit de Brigaudière, quy pour ce

145 AMG, BB 95, f° 78v°.

146 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.1, p.133 ; AMG, BB 95, f° 79r°. 147 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 79.

garantir de [ne] faire responce, alloit vollant ca et là par la dite place » jusqu’à devant « ladite hostellerie du Dauphin »148. Malgré ses efforts, le premier consul ne parvint pas à le rejoindre, en raison des officiers qui parvinrent à s’interposer à nouveau entre lui et le colonel, alors que le sergent major commandait toujours aux sergents, de chasser les consuls avec leurs hallebardes.

Les choses auraient pu en rester là, mais pour une seconde fois le premier consul força le passage, parvenant cette fois à attraper le sieur de Brigaudières par le bras, disant à ce dernier : « Monsieur je ne vous relacherey que ne m’ayant randu responce ». Enfin disposé à l’entendre, le colonel demanda au premier consul ce qu’il avait à lui dire. Ce dernier lui rappela alors qu’il n’avait pas la compétence d’établir les nouvelles centenies, ni de nommer leurs officiers. Ajoutant, « [qu’] au cas qu’il ne disfera » à l’opposition des consuls, ils en appelleraient à « la procédure

comme de personne incompétante à ce faire sans l’authorité de ladicte ville »149.

Alors que le premier consul était parvenu à dire au sieur de Brigaudières ce qu’il encourrait s’il persistait dans son erreur, le troisième et le quatrième consul eurent quelques ennuis avec une « douzaine de sergentz », et les pointes de leurs hallebardes. Ces derniers leur disant « qu’ilz ne recognoissoit en rien les consulz et

que les armes commandent »150.

Quelques personnes parmi la foule qui s’était alors amassée autour de la place, allèrent se plaindre au sergent major, de la manière dont les sergents traitaient les premiers magistrats de la ville. Le sergent major leur aurait alors répondu, « qu’il

leur avoit commandé et qu’ilz avoient bien faict »151.

Après cette série d’incidents, les consuls parvinrent à quitter la place indem- nes, mais il en était tout autre pour leur autorité sur la milice bourgeoise…

Le lendemain, le conseil de quarante décida de faire des remontrances à un comte de Canaples étrangement absent lors de ces évènements, ainsi que d’en avertir le maréchal de Créqui, alors à Valence. Les incidents de la veille étant ensuite soi- gneusement consignés en détail dans un procès verbal, avec les noms des différents protagonistes et témoins de cette affaire, sans doute en prévision de poursuites en justice. 148 AMG, BB 95, f° 79v°. 149 AMG, BB 95, f° 80r°. 150 AMG, BB 95, f° 80r°. 151 AMG, BB 95, f° 80v°.

c) De Brigaudières récidive :

Le 2 mai 1628, au retour de Valence de la délégation de la ville conduite par le quatrième consul Pierre Rossin, les résultats de sa rencontre avec le maréchal de Créqui furent exposés en conseil de quarante. Ainsi apprend-on, qu’à l’issue de son entretien avec le maréchal, ce dernier avait fait rédiger une ordonnance par son secré- taire Louis Videl. Dans ce texte, après avoir très sommairement résumé l’action des capitaines et les demandes de la ville et des consuls à être rétablis dans leurs droits, le maréchal ordonnait « que lesdits consuls et cappitaines des quartiers » comparais- sent devant lui à son retour à Grenoble152. Mais en attendant :

« par provision, sans attribution d’aulcunes nommination, droistz et sans préjudice d’iceulx, les choses demeureront en l’estat, jusques à ce que aultrement

soit ordonné »153.

Outre la brièveté de cette ordonnance, à aucun moment (même de manière al- lusive) le nom du propriétaire de la maison rue Porte-Traine n’apparaît. Ne faut-il pas déjà voir là, le signe d’une collusion entre le sieur de Brigaudières, colonel de la milice Bourgeoise, et le maréchal ? Cet oubli et les conclusions de l’ordonnance, pourraient le laisser penser. Les suites données à cette affaire semblent corroborer cette hypothèse.

D’abord, nous n’avons trouvé aucune trace dans les documents consultés, d’une éventuelle comparution devant le lieutenant général, des consuls et des capi- taines de quartier. Plus encore, la maison de ville ne relança à aucun moment le ma- réchal de Créqui sur le sujet, lors de son retour à Grenoble (à l’été 1628 semble-t-il). Enfin et surtout, le colonel de Brigaudières était toujours à la tête de la milice Bourgeoise en 1629, et il semblerait qu’il en fut de même, pour les capitaines des nouvelles centenies choisis par ce dernier en avril 1628. Ainsi cela était le cas du sieur d’Avignonet, centenier de la rue de Bonne, qui devait être à l’origine d’une nouvelle affaire en février 1629.

En effet, peu de temps après le départ de Créqui et de ses fils, avec le roi et son ministre pour l’Italie, le premier consul avait fait placer « des habitants de ceste

152 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.1, p.133 ; AMG, BB 95, f° 91v°. 153 A. PRUDHOMME, ibid. ; AMG, BB 95, f° 91v°.

ville en armes et en garde à la porte de France ». Cela, «pendant que les trouppes du Roy passoyt ». Le sieur d’Avignonet serait alors intervenu pour les retirer de leur poste, disant « que ce n’est au consulz à commander aux habitants désarmés [sic]154 »155. Le premier consul ajoutant, lors de sa présentation des faits au conseil de quarante du 9 mars 1629, que cela était « contre tout debvoyr des habitants, que de tout temps leur on command[ait] ». Le conseil décidant alors dans ses conclusions, de faire juger ceux qui en suivant l’ordre du capitaine d’Avignonet, avaient « contre-

venu au règlement de saineté156 ». Mais surtout, il devait décider de réunir les

consuls avec «les plus notables de ceste ville » et les capitaines centeniers, « pour savoyr leur intention. Et desmerer [sic] entre tous de bonne intelligence pour la

conservation de ceste ville »157.

Ainsi à cette date, l’attitude des centeniers était restée la même vis à vis des consuls, alors que ces derniers pensaient toujours avoir une autorité sur la milice bourgeoise !

Le dimanche 11 mars 1629, le colonel de Brigaudières réunissait de sa propre initiative, les capitaines centeniers à son logis, « pour résoudre entre eulx qui don- neroyt l’ordre en ceste ville en l’absance du gouverneur ». Ceux-ci décidant alors communément, qu’ils avaient désormais « juridiction et consignes sur les habitants » en l’absence du représentant de l’autorité royale dans la ville158.

Cette nouvelle affaire nous confirmant donc, que le maréchal de Créqui était bien à l’origine de tous ces évènements. Le sieur de Brigaudières et les capitaines centeniers, n’auraient pas pu sans doute outrepasser ainsi leurs droits deux fois de suite, sans l’aval du maréchal.

Pour le conseil de quarante réunis le 16 mars, les choses étaient maintenant claires : ils n’avaient plus aucune autorité sur la milice159. Quelques jours auparavant,

154 Sans doute faut-il entendre là « des armées » plutôt que « désarmés ». Pierre Chounet ayant proba-

blement fait une confusion, en voulant noter littéralement les propos du premier consul.

155 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t.1, pp.134-135 ; AMG, BB 96, f° 38r°.

156 Rappelons que les consuls, membres et souvent seuls à la tête du conseil de santé, avaient parmi

leurs responsabilités, de faire appliquer les décisions prises par ce conseil. Ici d’empêcher les soldats de l’armée royale d’entrer dans la ville, car suspectés entre autres, d’être porteurs de la peste.

157 AMG, BB 96, f° 38.

158 A. PRUDHOMME, ibid., p.134 ; AMG, BB 96, f° 39. 159 AMG, BB 96, f° 39.

le sieur de Laffrey, sergent major de la ville, s’était emparé manu militari de la clef de la chaîne sur l’Isère de la porte Saint-Laurent160.