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Grenoble après Lesdiguières

C) Les bœufs de Saint-Val et les mulets du cardinal :

a) Quatre-vingt-dix-huit paires de bœufs :

Le 18 septembre 1629, dans une ordonnance publiée après enregistrement, par la Chambre des vacations du Parlement de Grenoble, Georges Pignollet, écuyer, sieur de Saint-Val et commissaire ordinaire de l’Artillerie de France, annonça :

« Qu’en suite de la commission à luy donnée par Monsieur le grand Maistre de l’Artillerie de France, il luy est nécessaire d’avoir le nombre de charriots, bœufs et bouviers, mulets et chevaux pour faire le transport des pièces d’artillerie, munition et équipages mentionnez dans ladite commission dès cette ville jusques à

celle d’Embrun »137.

Le recours à des levées d’animaux dans les communautés, était une pratique courante de ce corps indépendant des autres, qu’était alors l’artillerie royale138. Ici, le Grand maître demandait en particulier qu’une trentaine de communautés voisines de Grenoble fournissent quatre-vingt-dix-huit paires de bœufs ainsi que plusieurs chariots à son commissaire, le sieur de Saint-Val. Ces paires de bœufs devant être accompagnées de quarante-neuf hommes, soit un bouvier pour deux bêtes. Le tout devant servir « pour les charroy des six colovrines [sic] » et de leurs munitions, de Grenoble à Champ, le jeudi 4 octobre 1629139.

En rapport au nombre de paires de bœufs réquisitionnées, il est possible que le poids maximum de chacune de ces couleuvrines fut de 15 000 livres. Puisqu’une pièce de ce poids nécessitait un attelage composé de quinze paires de bœufs, pour la tracter sur un terrain sec et plat. Le chemin de Grenoble jusqu’à Champ (certes parfois humide) n’étant pas des plus accidentés, les huit paires restantes auraient pu servir au transport des munitions, voire de paires d’appoint, pour celui des couleuvrines. Ces pièces (qui tiraient des boulets d’environ 80 livres) étant des armes principalement utilisées pour les sièges140, et d’un calibre supérieur aux canons

137 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 3, p. 138 ; AMG, EE 18, affiche : ordonnance. 138 David PARROTT, Richelieu’s army..., pp. 69-70.

139 AMG, EE 18, feuillet (non numéroté) : « Estat du desnombrement des communautés…».

140 Évaluation faite par le biais des données de l’ouvrage de Thomas F. ARNOLD, Atlas des guerres. Les guerres de la Renaissance, pp. 30 et 34.

utilisés pour les batailles en lignes, comme ceux laissés au château de Virieu par Louis XIII, à son retour du Languedoc en 1622141.

Malgré des garanties apportées par l’assemblée de pays et le gouverneur de la province142, cette demande de l’artillerie royale fut très mal reçue par le conseil de ville de Grenoble (pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons). Toutefois nous pouvons penser, faute d’informations complémentaires sur le sujet, que la demande de l’Artillerie de France fut satisfaite, et que les couleuvrines arrivèrent à Champ.

Mais si des bœufs, comme nous venons de le voir, furent parfois réquisi- tionnés, il est un animal qui le fut plus encore: le mulet.

b) Les mulets du cardinal :

Animal indispensable pour le transport en région de montagne, le mulet était utilisé en temps de guerre comme de paix. Des caravanes muletières, passant parfois les cent têtes, sillonnaient ainsi les Alpes entre le Dauphiné, la Savoie et l’Italie143.

Véritable cheville ouvrière du transport et du commerce alpin, le mulet fut largement utilisé pour le ravitaillement de l’armée pendant la période étudiée.

Le 30 avril 1629, le cardinal de Richelieu alors lieutenant général des armées du roi, ordonnait :

« aux consuls et habitants des villes, bourgs, bourgades et villages des baillages de Graisivaudan et Saint-Marcellin en Dauphiné de faire fournir promptement (…) deux bestes à bast par feu avec les hommes nécessaires pour (…)

conduire et voyturer du bled (…) dans la ville de Briançon »144.

Le cardinal qui se trouvait alors à Suse, avait semble-t-il accordé une attention particulière au bon ravitaillement de l’armée royale. Ce dernier ne voulant pas voir se reproduire l’échec de la première armée qui tenta de secourir Casal en

141 Voir annexe 10 : les canons du château de Virieu…, p. 185.

142 En particulier de verser une caution aux propriétaires des bœufs, alors que Pierre Nicoud des

Imberts était chargé, tant de leur verser celle-ci après réception des bêtes, que de veiller à ce que les animaux soient rendus en bon état (voir aussi p. 60).

143 Stéphane GAL, Lesdiguières…, p. 123.

144 Auguste PRUDHOMME, Inventaire…, t. 3, p. 176-177 ; AMG, EE 58, affiche : ordonnance ; voir

1628, dont l’une des causes principales avait été à ses yeux, une carence en matière de ravitaillement145.

Si là aussi, Grenoble ne semble pas avoir fourni de bêtes, ses communautés voisines, comme Bresson, la Tronche ou encore Corenc, fournirent pour le transport du blé, mulets et muletiers. Ces derniers prenant chargement du blé à Brié pour aller jusqu’à Bourg d’Oisans, puis la Grave, pour enfin rejoindre Briançon. Cela en payant :

« par jour à chasque beste de voyture et son conducteur, portant trois cents vingt cinq livres pesant, et à proportion la somme de quarante sols par jour, à commencer du jour qu’ils arriveront audit Brié, jusques à ce qu’ils y soyent retournez , (…) pourveu que lesdits mandements ne soyent esloignez que de six lieux

dudit Brié »146.

Si le nombre de mulets composant cette caravane n’est pas précisé, il est possible que ce blé transporté faisait partie des 50 000 écus de céréales provenant de Valence, que le cardinal dans ses Mémoires, dit avoir acheté à Dijon en février 1629147.

Mais il est aussi possible que ces mulets ne transportèrent pas que du blé. En effet, ces derniers pourraient avoir aussi servi à transporter la solde des soldats, qui était encore à l’époque versée en numéraire148. Richelieu connaissant mieux que tout autre le vieil adage « pas d’or pas de suisses », tenait particulièrement à ce que les soldats soient payés sans retard. Cela afin d’éviter que l’armée se disperse, chose courante encore au XVIIe siècle.

145 RICHELIEU, Mémoires…, t. 8, p. 166.

146 AMG, EE 58, affiche : ordonnance ; voir annexe 11: ordonnance du cardinal de Richelieu, p. 186. 147 RICHELIEU, Mémoires…, t. 9, p. 116.

Conclusion

D’avril 1628 à juillet 1630, la ville de Grenoble participa ainsi aux opérations militaires, en fournissant des hommes, mais essentiellement en logeant et en ravi- taillant l’armée. Parallèlement à cet effort, la ville organisa sa défense de manière plus ou moins égale, augmentant et réorganisant la milice bourgeoise dès les pre- mières semaines de sa mise en état de défense, alors que les réparations entreprises sur l’enceinte et les chaînes de l’Isère traînèrent en longueur.

Si ce retard s’explique en partie pour les secondes, pour l’enceinte en revanche, les choses paraissent moins claires. Cela nous conduit à penser, que ce retard fut peut-être une des conséquences (directes ou indirectes), de la situation de guerre qui régnait dans la province, d’un de ces maux qui accompagnaient ou suivaient les armées au XVIIe siècle.

Mais quels étaient ces derniers, et dans quelles mesures ceux-ci touchèrent- ils la ville durant la période étudiée?

DEUXIÈME PARTIE