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De la notion de genre de vie, au mode de vie et à l’habitus A) Le genre de vie : concept clé mais insuffisant A) Le genre de vie : concept clé mais insuffisant

d’un genre de vie aux modes de vie

I. De la notion de genre de vie, au mode de vie et à l’habitus A) Le genre de vie : concept clé mais insuffisant A) Le genre de vie : concept clé mais insuffisant

Le genre de vie est une notion vidalienne qui rompt avec le déterminisme, c'est-à-dire avec une vision simpliste de la relation homme/milieu (Vidal de la Blache, 1911). Le déterminisme en Géographie considère que l’influence du milieu est déterminante et explique à lui seul l’installation durable de l’homme à la surface de la Terre. Bien que cet état de fait ne soit pas renié, en ce sens qu’il est certain que les conditions extérieures (géographiques, climatiques…) ont favorisé l’implantation des sociétés, celles-ci ne sont pas toujours aussi strictement dominantes. Elles le furent certes lors de la préhistoire où les configurations physiques terrestres furent d’une importance capitale quant au choix de l’installation des groupes hominidés, et plus récemment lors des tentatives de colonisation du « nouveau monde ». Mais la géographie des ruines (Ratzel, 1882) nous rappelle à l’ordre et démontre qu’à elles seules les conditions physiques ne peuvent pas engendrer une pérennisation de la présence humaine. Lucien Febvre insiste à ce propos sur l’importance « d’éviter de se soumettre à des lois contestables, des affirmations massives dont on fait un emploi hâtif » (Febvre, 1922). Pour Febvre et Vidal de la Blache, la Géographie ne saurait à elle seule pouvoir expliquer les raisons profondes de l’adaptation des sociétés humaines et de leur pérennisation à un espace. Il convient de puiser ces causes dans d’autres corps scientifiques tels que l’histoire, la sociologie et l’ethnographie. Cette recherche pluridisciplinaire servirait à décrire et analyser des structures stables d’organisation sociale, matérielle et psychologique de groupements humains. D’ailleurs, le fait géographique appuyé par les autres sciences sociales pour expliquer les relations étroites entre l’homme et le milieu permit à Vidal de la Blache (Vidal de la Blache, 1902; Vidal de la Blache, 1911) de définir le concept de genre de vie. Celui-ci lui servit à dégager des « personnalités géographiques » de pays et de caractériser leurs différentes structures à travers la culture, les mentalités, les moyens de subsistance et le façonnement du paysage. Ils constituent le produit de siècles de relations réciproques entre un groupe social et son milieu :

« un genre de vie constitué implique une action méthodique et continue, partant très forte, sur la nature, ou pour parler en géographe, sur la physionomie des contrées » (Vidal de la Blache, 1911).

L’auteur ajoute que le genre de vie prend en compte les modalités ou conditions de prise de possession d’un espace par les collectivités humaines. Il représente « un facteur explicatif de la

différenciation des contrées, un facteur de modification de la nature par la société, une notion inscrite dans la longue durée, mobilisant les normes et les valeurs (« habitudes ») des sociétés ».

Cette notion concerne des modes d’habitation, des modes d’exploitation, des façons de se nourrir, de s’habiller, de parler. Pour lui :

« la force d’habitude joue un grand rôle dans la nature sociale de l’homme. Si, dans son désir de perfectionnement, il se montre essentiellement progressiste, c’est surtout dans la voie qu’il s’est déjà tracé, c’est-à-dire dans le sens des qualités techniques et spéciales que les habitudes, cimentées par l’hérédité, ont développées en lui. (Il s’agit) d’habitudes organisées et systématiques, creusant de plus en plus profondément leur ornière, s’imposant par la force acquise aux générations successives, imprimant leur marque sur les esprits, tournant dans un sens déterminé toutes les forces du progrès ».

Le concept de genre de vie est ainsi conçu comme « une dialectique des rapports entre les

hommes et leur environnement, qui aboutit à limiter le poids du déterminisme physique ». Il devint

le précurseur du possibilisme dont le fondement repose sur le fait qu’il existe dans la nature des possibilités que l'Homme peut ou non développer selon ses besoins ou son niveau technique.

Selon M. Benoit, il n’y a de genres de vie que collectifs (Benoit, 1998). L’auteur définissait cette notion comme un ensemble d’habitudes qui permet au groupe qui les pratique d’assurer son existence. Pour lui cette notion exprime une interactivité constante. Le genre de vie serait une combinaison de techniques qui s‘opérerait d’une façon dynamique pour permettre un rééquilibrage permanent entre un stock d’hommes variable et des ressources parfois limitées à court terme (Benoit, 1979).

L’importance du possibilisme dans les genres de vie est soulignée par A. Bailly (Bailly, 2004). Pour lui, « le genre de vie est l’ensemble des modalités matérielles et sociales d’existence de groupes

humains où domine une activité vitale, ou la prégnance d’un milieu géographique ». Il permet de

cerner à la fois les fondements écologiques et sociaux des faits de répartition.

Ainsi, la géographie des genres de vie est d’abord une « écologie ». Il s’agit de l’expression de l’interaction entre les éléments naturels et socio-culturels. Elle met en évidence les contraintes qui pèsent sur les groupes, mais recherche davantage les modes d’appropriation et d’exploitation de la ressource, l’organisation (et les marqueurs) des pratiques, les habitudes, les aptitudes, les goûts traditionnels, les idées dont le but est d’assurer la survie du groupe. Toutes ces caractéristiques servent à faire avancer le groupe dans le même sens : celui du progrès. Ainsi nous garderons à l’esprit que, comme le dit Febvre lorsqu’il mentionne l’alimentation des groupes :

« ce n’est pas la diversité des nourritures, à vrai dire, qui est source de distinction entre les hommes ; c’est la diversité des habitudes, des pratiques et des goûts qui incite tels groupements humains à rechercher plutôt cette sorte d’aliments que cette autre ».

La différence entre les genres de vie est par conséquent à rechercher dans leur mode de fonctionnement et leur organisation à tous les niveaux (social, économique, politique), issu de siècles d’adaptation au milieu, plutôt que dans la diversité intrinsèque du milieu que les hommes ont appris à apprivoiser, modeler, aménager et dompter.

Ainsi comme l’analyse Febvre (Febvre, 1922), la nature résulte en partie, telle qu’elle est, d’un certain genre de vie.

La composante sociale est donc déterminante dans la notion de genre de vie. Tel que précisé par P. Claval (Claval, 2001) le genre de vie s’applique à définir des groupes humains. Il se caractérise par « les techniques mises en œuvre par la grande majorité de leurs membres pour exploiter

l’environnement et en tirer tout ce qui est nécessaire à la survie du groupe ». Selon ses

explications, « le genre de vie rythme la vie des groupes à travers les travaux qu’il impose mais

laisse des moments de détente, où les formes de sociabilité peuvent s’épanouir. L’accent est porté sur l’ensemble des objets dans lequel s’expriment les habitudes, les dispositions et les préférences des divers groupes ».

E. Demolins lui attribue une empreinte plus sociologique (Demolins, 1906). Pour lui, le genre de vie est un rapport de cause à effet entre des conditions de lieu, autrement dit des ressources naturelles, des conditions de travail, ou si l’on préfère, du type économique, et, en dernier lieu, du type social spécifique (les formes de la propriété, les habitudes et les mœurs de la famille, l’éducation des enfants, le mode d’existence matériel, les cultures intellectuelles, la religion, la vie publique, l’émigration).

Le genre de vie, bien qu’apportant un éclairage nouveau en Géographie sociale constitue un outil méthodologique pour la compréhension des relations entre les sociétés et leur milieu. Mais les limites de la notion sont apparues dans un monde évoluant et se complexifiant à tous les niveaux, alors que les comportements ont tendance à s’homogénéiser. Pour A. Bailly, les genres de vie sont des notions aisément applicables à des régions à contraintes physiques fortes. A ce propos et selon P. Claval (Claval, 1984), les élèves de Vidal de la Blache ont eu la tâche difficile de déterminer les genres de vie des régions de France, dans un milieu trop homogène, pour que des contrastes saisissants puissent permettre de sentir ce qui oppose les sociétés et d’en définir des

genres de vie à part entière. A l’inverse, la notion de genre de vie ne peut s’appliquer à des sociétés complexes comme le sont les sociétés urbaines qui ne tissent plus de liens verticaux avec la Terre14, mais horizontaux lorsque ces liens nouent des groupes humains entre eux. C’est ce que relate M. Sorre (Sorre, 1948) dans son article « La notion de genre de vie et sa valeur actuelle ». P. Claval considère que la faiblesse du point de vue de Vidal de la Blache est de mal saisir ce qui est lié à la division sociale et aux contrastes dans les fortunes et dans les statuts.

Ainsi, la notion de genre de vie est tombée en désuétude dans les années 1960, faute de pouvoir utiliser un outil plus souple pour appréhender les relations des groupes avec leur environnement (Claval, 1984). La modernisation progressive touchant l’ensemble du territoire français ne permit plus aux géographes de l’école française d’appréhender les problèmes de leur temps faute de démarches adéquates. La solution fut trouvée avec le développement de la notion de rôle imaginée par Ralph Linton (Linton, 1968) et George Mead (Mead, 1963) ou encore par la notion de mode de vie.